L’alliance Iran/Irak menace-t-elle le leadership pétrolier saoudien ?
février 21, 2014
Le Matin.dz – 10/02/2014
L’alliance Iran/Irak menace-t-elle le leadership pétrolier saoudien ?
http://www.lematindz.net/news/13595-lalliance-iranirak-menace-t-elle-le-leadership-petrolier-saoudien.html
Les tendances actuelles du marché de l’énergie ne sont pas bonnes pour
l’Arabie saoudite.
Pour commencer, l’Agence internationale de l’Energie a publié récemment
des projections qui indiquent que les Etats-Unis pourraient bien rafler
au géant pétrolier du Golfe la première place de producteur de la
première énergie mondiale à l’horizon 2020. Mi-mai 2013, cette même
agence a révélé que l’Amérique du Nord, grâce au développement rapide de
son industrie pétrolière de nouvelle génération, devrait dominer la
production globale de pétrole dans les cinq années qui viennent. Ces
développements imprévus ne représentent pas seulement un coup porté au
prestige de l’Arabie saoudite, mais également une menace potentielle à
l’encontre de la prospérité économique du pays sur le long terme et tout
particulièrement dans le contexte actuel post-printemps arabe, qui voit
une augmentation des dépenses gouvernementales. Mais si l’avenir du
royaume apparaît décidément sombre, sa réponse apparaît des plus
confuses. En l’espace de cinq jours, en avril 2013, deux hauts
représentants saoudiens ont dressé des portraits diamétralement opposés
des plans de production pétrolière de leur pays.
Le 25 avril, dans un discours prononcé à l’université de Harvard, le
prince Turki al-Fayçal, ancien responsable de la principale agence de
renseignement d’Arabie saoudite et actuel président du centre de
recherches et d’études islamiques Roi Fayçal a annoncé que le royaume
entend accroître sa production et la faire passer de 12,5 millions de
barils par jour à 15 millions en 2020, soit une production qui
continuerait aisément de faire de l’Arabie saoudite le principal
producteur de pétrole mondiale. Mais cinq jours plus tard, lors d’un
discours prononcé devant le centre des Etudes stratégiques et
internationales à Washington, DC, le ministre saoudien des Ressources
minérales et pétrolières, Ali al-Naimi, a fait passer un tout autre
message et a rejeté la déclaration de Turki. Il a confirmé devant un
parterre d’experts que le chiffre de 15 millions n’était même pas à
l’ordre du jour. Que faire alors de cet écart de 2,5 millions de barils
par jour ? Si l’on considère la dépendance mondiale à l’égard du pétrole
et la hausse prévisible de demande de pétrole, un tel changement
n’aurait rien d’anodin. Pour être précis, 2,5 millions de barils par
jour est grossièrement l’équivalent de la production des principaux
producteurs de pétrole, comme le Mexique, le Koweït, l’Irak, le
Venezuela et le Nigeria.
La décision de l’Arabie saoudite d’augmenter ou pas sa production de
pétrole aura un impact sur tous les foyers du globe. On pourrait être
tenté d’écarter les projections grandioses de Turki au motif de son
ignorance technique du sujet, et se focaliser sur la déclaration de la
personne en charge de l’industrie pétrolière du pays. C’est certainement
une des lectures possibles de cette cacophonie gouvernementale. Mais en
Arabie saoudite, le volume de production pétrolière est avant tout une
décision politique. Au contraire de Naimi, ingénieur du secteur
pétrolier qui a monté une à une les marches de la société saoudienne
Aramco, Turki est un membre de la maison royale saoudienne et pour tout
ce qui concerne la politique, son avis n’à pas moins d’importance. La
dispute entre les deux hommes n’est finalement que le reflet de la
décision stratégique majeure que doit prendre l’Arabie saoudite au cours
des années qui vienne: devra-t-elle creuser davantage de puits de
pétrole ou pas ? Ne disposant d’aucune rentrée fiscale liée à l’impôt
sur le revenu et avec une population de 28 millions de personnes dont
40% ont moins de 15 ans, sans oublier une population masculine employée
pour l’essentiel dans un secteur public hypertrophié, l’Arabie saoudite
est très dépendante des revenues du pétrole pour fournir tous les
services sociaux qu’elle offre à ses habitants, du berceau à la tombe.
Et les difficultés financières de l’Etat se sont encore aggravées après
que le printemps arabe ait contraint le régime à combattre le
mécontentement populaire et distribuant encore davantage de cadeaux et
de subventions. Pour encore compliquer les choses, l’Arabie saoudite est
le sixième consommateur mondial de pétrole, consommant donc plus de
pétrole que l’Allemagne, la Corée du Sud et même le Canada. Avec tout le
pétrole qu’il consomme, le pays n’exporte que 7 millions de barils par
jour, alors même que les dépenses gouvernementales ne cessent de
croître. Une des autres raisons de la répugnance de Naimi à augmenter la
production pétrolière est qu’il sait que Sadad al-Husseini, l’ancien
responsable des prospections de la société saoudienne Aramco aurait
déclaré au consul général américain à Riyad en 2007. Selon un message
diplomatique dévoilé par Wikileaks que l’Arabie saoudite avait
probablement surestimé ses réserves en pétrole, jusqu’à 40%, ce qui
signifie que même le rythme de production actuel est intenable sur le
long terme. Tout cela pour dire que si l’Arabie saoudite souhaite
garantir sa viabilité économique, elle doit absolument s’assurer que le
prix de rentabilité du pétrole, le prix par baril nécessaire pour
équilibrer son budget– correspond aux besoins fiscaux du pays. Ce prix
de revient dit le «prix raisonnable» ou, comme le disent les Saoudiens,
le «prix juste»– a considérablement augmenté ces dernières années.
*1- la rivalité sur ce juste prix*
Si l’on se réfère à l’Arab Petroleum Investments Corporation, le prix
qui arrange les Saoudiens se situerait autour de 94 dollars le baril,
soit moins que le prix actuel du Brent. Or L’Iran par exemple a besoin
de vendre son baril à 125 dollars pour qu’il soit rentable, ce qui
explique la guerre que se livrent l’Iran et l’Arabie saoudite au sein de
l’Opep. Mais en l’absence de réformes politiques profondes qui seules
pourraient fournir à l’Arabie saoudite d’autres sources de revenu, ce
prix de revient va sûrement selon cette même Corporation en augmentant.
Cette rivalité entre des membres d’une même organisation n’est pas une
dispute théorique. Elle pourrait avoir de sérieuses implications sur le
futur de l’économie mondiale. Que l’Arabie saoudite le veuille ou non et
elle ne le veut certainement pas, le marché global de l’énergie va
s’ouvrir de plus en plus à la concurrence. Dans un marché concurrentiel,
le pétrole doit être fourni par tous les producteurs en tenant compte à
la fois de leurs réserves géologiques et de leurs marges. Il y a quelque
chose de profondément malsain de voir les Etats-Unis, qui disposent
d’environ 2% des réserves conventionnelles de pétrole produire plus de
barils par jour que l’Arabie saoudite.
*2- L’Iran prépare sa stratégie pour ne pas subir le revers de la médaille*
Avec cette légère ouverture économique du monde occidental envers les
Iraniens, ils se sont rapprochés des Irakiens pour une alliance afin
qu’à long terme ils prendraient le contrôle de l’OPEP et donc écarterait
le veto saoudien sur les prix. Il faut dire que l’Irak a encore de
nombreux défis à relever pour devenir le géant pétrolier qu’il
ambitionne d’être d’ici quelques années. Le potentiel pétrolier de
l’Irak est très important : au coude à coude avec l’Iran pour la
position de deuxième producteur de brut de l’Organisation des pays
exportateurs de pétrole (Opep), le pays possède 9% des réserves
mondiales d’or noir, selon la BP Statistical Review of World Energy.
L’Irak est au pétrole conventionnel ce que les États-Unis sont au
pétrole non conventionnel. Les exportations irakiennes de brut ont en
effet bondi entre 2010 et 2012, passant de 1,88 million de barils par
jour (mbj) à 2,4 mbj fin 2012, selon Thamir Ghadhban, ancien ministre
irakien du Pétrole et aujourd’hui proche conseiller du Premier ministre
Nouri al-Maliki. Et l’Irak ne compte pas s’arrêter en si bon chemin : le
pays ambitionne de porter sa production à 4,5 mbj fin 2014 et à 9 mbj en
2020, contre 3,4 mbj actuellement, d’après la Stratégie énergétique
nationale intégrée (INES) présentée par le gouvernement fédéral irakien.
Cet objectif est jugé trop ambitieux par certains observateurs, l’Agence
internationale de l’énergie (AIE) envisageant par exemple une production
irakienne de 6 mbj en 2020.Mais le gouvernement de Nouri El Maliki est
décidé de surmonter tous les obstacles. Le pays doit notamment améliorer
ses infrastructures, à la fois pour apporter de l’eau sur les sites
pétroliers et pour exporter le pétrole. Ces infrastructures sont l’une
des clefs pour augmenter les exportations.
De nouveaux oléoducs vont être construits, L’objectif est de porter la
capacité d’exportation de pétrole au sud du pays : d’où sort la grande
majorité du brut irakien : 3,8 mbj actuellement à 6,8 mbj en 2017. La
bureaucratie crée beaucoup de frustrations chez les compagnies
internationales qui se plaignaient des délais requis pour obtenir des
visas ou réaliser les importations de matériaux nécessaires. Quant à la
sécurité, elle reste une source d’inquiétude pour les entreprises même
si le nombre d’incidents reste faible, comparé au pic de 2006-2007 où de
nombreux oléoducs ont été attaqués. En ce qui concerne l’épineuse
question des relations entre le gouvernement fédéral irakien et le
gouvernement régional du Kurdistan, les autorités de la région autonome
Kurdistan ont récemment signé plusieurs accords de prospection
pétrolière avec des compagnies étrangères, contre l’avis du gouvernement
central de Bagdad, qui les juge illégaux. Les diplomates et les
spécialistes estiment que les problèmes entre Bagdad et la région
autonome kurde, dotée d’une grande partie des réserves de brut du pays,
sont l’une des plus lourdes menaces pesant sur la stabilité à long terme
du pays. Dans tous les cas de figures et en cas de la coopération entre
l’Iran et l’Irak et la réalisation des objectifs prévus pour
l’augmentation de la capacité de production du pétrole, l’on arrivera, à
court terme à un chiffre susceptible de remettre en cause la suprématie
de l’Arabie Saoudite sur les marchés mondiaux du pétrole, d’autant que
ces deux pays disposent des réserves qui sont, a total, supérieures à
celles de l’Arabie Saoudite.
*3- L’Irak a-t-elle les capacités techniques ?*
Ce pays est condamné à exploiter rationnellement son pétrole et gaz pour
rehausser son statut et élever le niveau de sa population. Il a la
capacité de produire de plus en plus de pétrole. Il a même un grand
potentiel. Pendant plus de trois décennies, le pays a souffert de
guerres dévastatrices et des sanctions internationales. Alors que sa
production avait atteint 3,5 millions de barils/jour en 1979, elle vient
tout juste de revenir à 3 millions de barils/jour. Pendant toute cette
période, elle aura été inférieure au niveau atteint alors. Un tiers de
la surface de l’Irak présente un grand potentiel d’exploitation de
pétrole et de gaz mais il n’y a pas eu de campagne d’exploration pendant
plus de 25 ans. Aujourd’hui, l’Irak s’est imposé comme le troisième
exportateur mondial de pétrole, derrière l’Arabie saoudite et la Russie
mais devant l’Iran. Quinze méga-contrats ont déjà été signés. La
production à Majnoun, un des champs pétroliers géants, va démarrer d’ici
la fin de l’année. L’AIE se montre plus prudente que les autorités de
Bagdad quant aux estimations et table sur une production de 6,1 mb/j en
2020 puis de 8,3 mb/j en 2035. Mais ce serait déjà énorme.
S’il ne fallait retenir qu’un chiffre, ce serait celui-ci : la
croissance de la production mondiale de pétrole d’ici à 2035 sera assuré
à 45% par l’Irak, à 42% par d’autres pays de l’OPEP, et à 12% par les
pays non-OPEP, résume Fatih Birol, chef économiste à l’AIE, qui a dirigé
l’Iraq Energy Outlook et qui était présent également à cette conférence
de l’IFRI. Bagdad entend bien profiter de ce retour en force sur la
scène pétrolière. Thamir Ghadhban a été le candidat de son pays au poste
de secrétaire général de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole
(OPEP). L’Équateur et l’Arabie saoudite, premier producteur mondial,
sont également sur les rangs. L’Irak a des arguments : les pays du Golfe
ont accumulé des milliards de dollars de réserve ces dernières années,
Dans son esprit, les Emirats pétroliers de la péninsule arabique ont
plus que profité de l’affaissement de la production irakienne. À
présent, « ils ont intérêt à les satisfaire ». Bagdad ne se sent, pour
l’instant, lié par aucun quota de plafonnement de sa production. « Nous
sommes membres de l’OPEP mais nous ne sommes pas dans le système de
quota », explique l’ancien ministre. « Aujourd’hui, personne ne s’oppose à
la hausse de notre production. Nous considérons que jusqu’à 3,5 mb/j, il
n’y a pas de problème. Après, on discutera ». D’ordinaire, l’OPEP veille
à coller au plus près de la demande mondiale de pétrole pour maintenir
des prix élevés. « Auparavant, il y avait un accord implicite selon
lequel l’Iran et l’Irak maintenaient des productions équivalentes »,
indique-t-il. « Or aujourd’hui, l’Iran produit 4,2 mb/j. D’autres pays
que nous ont des projets pour augmenter leur capacité. Sur quels
critères ? Il faudra qu’on en discute : la population ? Le besoin de
rentrées financières ? Les réserves connues ? En tout cas, nous n’avons
aucune intention de quitter l’OPEP ». Le choix du prochain secrétaire
général étant fait le 12 décembre dernier. Tous les spécialistes
estiment que la rivalité entre l’Irak et l’Arabie saoudite va
s’exacerber dans les prochaines années.
*Rabah Reghis, consultant et économiste pétrolier*