L’attaque de Daech à Suweida est un message lancé à son antenne à Quneitra, ainsi qu’à la Russie et à Damas
septembre 29, 2018
France-Irak Actualité : actualités sur l’Irak, le Proche-Orient, du Golfe à l’Atlantique
Analyses, informations et revue de presse sur la situation en Irak, au Proche-Orient, du Golfe à l’Atlantique. Traduction d’articles parus dans la presse arabe ou anglo-saxonne, enquêtes et informations exclusives.
Publié par Gilles Munier sur 28 Juillet 2018, 17:01pm
Catégories : #Syrie, #Etat islamique, #Daech, #Irak, #Trump, #Iran
Par Elijah J. Magnier – à Damas, Daraa et Suweida – (revue de presse : Réseau international -28/7/18)*
Dans le cadre du massacre le plus sanglant perpétré depuis Speicher (Irak), plus de 150 militants de Daech ont lancé une attaque contre la province et la ville de Suweida, tuant plus de 220 fermiers (hommes, femmes et enfants) et membres de l’armée syrienne et des Forces de défense nationale. Mais « le coup le plus dur a été porté contre la Russie et Damas, qui invitent tous les réfugiés se trouvant dans les pays voisins à revenir », a affirmé un preneur de décisions dans la capitale syrienne.
Mercredi à 5 heures, heure locale, des militants de Daech à bord de 35 à 40 véhicules ont traversé la Badia (steppe syrienne) pour se rendre dans la province de Suweida, après de longues heures de route. Les premiers villages à avoir été frappés par le groupe terroriste étaient Rami, Chbeke, al Mushannaf, Rami, Tima, Doma, al-Ghida et al-Sharihe, avant qu’il n’atteigne la ville de Suweida.
Le convoi de Daech a semé sur son passage la mort et la destruction, après avoir tué des fermiers inoffensifs et leurs familles dans leurs foyers. Bien des demeures ont été pillées, ce qui indique que le convoi voyageait léger et rapidement, comme les troupes de Napoléon Bonaparte, en mangeant à même les stocks locaux, comme l’ont observé les forces qui ont suivi la trace des terroristes.
Il ne fait aucun doute que la planification de Daech a été très efficace, démontrant du même coup sa connaissance du terrain et des maigres forces qui assuraient la sécurité de ses objectifs. La puissance de feu à laquelle se sont butées les forces de Daech à Suweida a obligé le groupe à se replier, les empêchant ainsi de commettre un massacre de loin supérieur à celui qu’ils avaient déjà fait.
Farid Sharafeddine, qui a échappé au massacre de Suweida, m’a dit ceci : « Daech connaissait les habitants et les familles. Ils ont capturé les jeunes hommes et les ont forcés à frapper à la porte de leurs proches à proximité pour qu’ils l’ouvrent et se fassent tuer par les pilleurs. »
Huit soldats de l’armée syrienne et 28 membres des Forces de défense nationale ont perdu la vie en combattant Daech dans la ville. L’affrontement a duré plus de quatre heures et 32 membres de Daech ont été tués et laissés derrière. Les forces de sécurité ont capturé vivants quelques-uns d’entre eux.
L’armée de l’air syrienne est intervenue à la dernière heure pour bombarder les barricades de Daech sur certaines positions. Daech a laissé derrière des kamikazes prêts à mourir pour retarder la poursuite et empêcher le retrait de ce qui restait des forces défenderesses, qui ont été capturées (et exécutées, comme s’est empressé de publier Daech).
Des sources à Damas signalent que ce raid réussi de Daech visait de nombreux objectifs :
Daech veut montrer sa présence et sa force, qu’il est capable de prendre l’initiative en comptant sur des forces terrestres qui connaissent bien le terrain et qui peuvent frapper fort malgré sa perte de territoire et de la majeure partie de ses forces.
Daech envoie un message à la welayat de Huran (province) à Quneitra, qui subit actuellement une attaque violente de l’armée syrienne et de ses alliés. Le message est de tenir le fort et que la « base » peut encore soutenir les hommes cernés à Quneitra. Daech a tenté (en vain) de remonter le moral des combattants qui s’y trouvent pour leur dire qu’ils ne sont pas laissés à eux-mêmes dans cette bataille. Il s’agit toutefois d’un faux message, car Quneitra va retomber sous le contrôle de Damas de toute façon.
Daech a montré sa capacité d’effectuer une reconnaissance avant d’attaquer, en disposant d’un soutien local l’informant de la sécurité assurée dans le secteur et de ses points faibles. Les forces locales n’ont pu réagir immédiatement : Daech a lancé son attaque contre le marché local en envoyant deux kamikazes à dix minutes d’intervalle, suivie d’un autre attentat suicide à 200 mètres de là après la seconde explosion, alors que la plupart des gens qui dormaient se sont précipités sur place pour savoir ce qui se passait et offrir leur aide. Daech savait que son convoi pouvait passer au vu et au su d’une superpuissance (les USA) sans être dérangé le moins du monde.
Daech est parvenu à asséner un coup à la Russie, dont les envoyés se déplacent dans tous les pays voisins (Jordanie, Liban, Turquie et autres) pour inviter les réfugiés à retourner dans une Syrie libérée devenue sécuritaire (exception faite du nord sous occupation turque et américaine). Damas a enclenché la procédure d’accueil des réfugiés et le message envoyé par Daech est qu’il s’agit d’une « mesure prématurée ».
Daech a tiré avantage du périmètre de sécurité établi par les USA autour de leur base militaire à al-Tanf, qui empêche les forces armées syriennes et irakiennes d’y pénétrer pour poursuivre Daech au besoin. Les militants de Daech ont profité des mesures prises par les USA et est passé par le secteur pour se rendre au nord, où se trouve le gros de leurs forces. En outre, Daech savait que les USA ne sont pas prêts à enrayer sa puissance et sa présence en Syrie (au nord-est dans la province d’Hassaké) et a tiré parti de cette décision.
Il s’agit peut-être d’une lecture pessimiste d’une attaque mûrement planifiée par Daech. Mais il ne fait aucun doute que bien des circonstances ont aidé Daech à se déplacer sans être remarqué par les USA qui volent continuellement au-dessus de la Badia en surveillant le moindre mouvement (les USA ont bombardé à deux reprises les forces syriennes qui étaient entrées dans le périmètre de sécurité quelques minutes après coup). Notons également l’incapacité des Russes à détecter des dizaines de véhicules de Daech se déplaçant dans le secteur, dont les occupants auraient pu s’attaquer à une zone qu’ils contrôlent. Mais il s’agit aussi d’un échec évident en matière de sécurité et de défense de la part des forces syriennes, qui se sont senties à l’aise dans une zone libérée en sous-estimant ce qui reste des forces de Daech.
Ce massacre a prouvé qu’il y a encore des dirigeants de Daech capables de penser, de planifier et d’exécuter un objectif complexe (deux superpuissances sont présentes dans le secteur). C’est aussi un signal d’alarme fort à l’endroit des forces syriennes, qui doivent rester en état d’alerte constante et éliminer entièrement Daech de toutes les zones libérées et assurer leur protection. Les nombreuses victoires remportées ces 12 derniers mois ont amené les vainqueurs à amoindrir leur défense, en négligeant le facteur américain qui peut porter des coups bas quand l’occasion se présente. Après tout, ce massacreconstituait une belle occasion pour les USA de montrer à Damas et à Moscou leur incapacité à protéger leur victoire.
Source: Réseau international et ejmagnier.com
Traduction : Daniel G.
De Elijah J.Magnier sur « France-Irak Actualité », lire aussi :
Préliminaire pour des relations Arabie-Israël
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