Le Liban, Israël et le vol du gaz à l’ombre du 4ème Sommet arabe à Beyrouth
janvier 24, 2019
Revue de presse
Mouna Alno-Nakhal
Mercredi 23 janvier 2019
Dimanche 20 janvier 2019 s’est tenu le 4ème « Sommet des pays arabes pour le développement économique et social » à Beyrouth, un sommet censé réunir les chefs d’États mais auquel n’ont participé que le président de la Mauritanie et l’Émir du Qatar.
Une journée qui a donné à voir une « scène surréaliste » exprimant, d’après M. Ghaleb Kandil dans son article du lendemain [1], les contradictions et les ambiguïtés de trois évènements simultanés :
Un sommet arabe où Washington s’est arrangé pour que l’Émir du Qatar fasse acte de présence après avoir travaillé via David Hale, le sous-secrétaire d’État américain aux Affaires politiques, à réduire la présence des autres émirats et royaumes pétroliers à de simples délégations.
Une manifestation populaire répondant à l’appel « Tous à la rue » lancé par le parti communiste libanais, l’Organisation populaire nassérienne, des partis de gauche et des groupes du mouvement civil. [Parmi les revendications : une politique fiscale différente qui redistribue la richesse, la promotion de l’éducation officielle, la généralisation de l’assurance maladie, l’approbation de la carte de santé, l’assurance vieillesse, la création d’emplois, les exigences de la sécurité et la lutte contre le système de corruption].
Une attaque de l’aviation israélienne sur le territoire syrien à partir du ciel libanais [attaque dans la journée, répétée sur trois fronts dans la nuit du 20 au 21 janvier, [2]]
Une « scène surréaliste » parce que, toujours d’après M. Ghaleb Kandil, ni les pays arabes participant au Sommet, ni les manifestants, n’ont réagi à cette énième violation de l’espace aérien libanais, alors que l’expérience démontre que la lutte sociale est intimement liée à la lutte nationale et que la douloureuse vérité du Liban est qu’il se trouve soumis à la tutelle américano-saoudienne, interdit de posséder les moyens de sa défense aérienne ; interdit d’accepter les offres de la Russie, de l’Iran ou de la Chine qui lui permettraient d’empêcher l’aviation sioniste de batifoler dans son ciel ; interdit d’appliquer les accords de défense commune avec la Syrie ou de les modifier afin que la couverture syrienne puisse inclure son espace aérien et son territoire.
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Des violations permanentes que le président Michel Aoun n’a pas manqué de dénoncer dans son discours d’ouverture du Sommet [3]. Quoi de plus explicite que cet extrait ? :
« Mes frères,
Je parle en connaissance de cause car le Liban a payé les conséquences de ces guerres et celles du terrorisme le prix fort, subissant depuis des années le fardeau le plus lourd au niveau régional et international de l’exode de nos frères syriens, tout comme celui, depuis soixante dix ans, des frères palestiniens. Leur nombre équivaut aujourd’hui à celui de la moitié du peuple libanais alors que notre territoire est restreint, nos infrastructures inadéquates, nos ressources limitées et notre marché du travail surchargé.
Par ailleurs, l’occupation israélienne, qui persiste depuis soixante-dix ans dans l’agression et l’occupation des territoires palestiniens et arabes, affichant un total mépris pour les résolutions internationales, a atteint aujourd’hui son paroxysme en judaïsant Jérusalem, la déclarant capitale d’Israël et en adoptant la loi du « nationalisme juif en Israël », ne tenant compte d’aucune résolution internationale, ce qui signifierait l’usurpation de l’identité palestinienne, le renversement de la résolution 194 et le reniement du droit au retour. J’ajoute à cela que les menaces israéliennes et les violations permanentes de la résolution 1701 par terre, par mer et air de la souveraineté libanaise constituent une pression constante sur le Liban. »
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Sans entrer dans les détails des tenants et aboutissants de ce Sommet, la presse locale note qu’en dépit de tous ses efforts, le ministre libanais des Affaires étrangères, Gibran Bassil, n’a pas réussi à obtenir un consensus arabe en faveur du soutien au retour des déplacés syriens dans leur pays indépendamment d’une solution politique préalable, condition clairement affirmée par le Secrétaire de la Ligue arabe, l’Égyptien Ahmad Aboul Gheit, et tous les agresseurs…
Néanmoins, dans un texte adopté parallèlement à la déclaration finale intitulée la « Déclaration de Beyrouth » [4], il a réussi à faire adopter un compromis par lequel les pays arabes appellent la communauté internationale à « redoubler d’efforts » pour favoriser leur « retour sécurisé », évitant ainsi que la notion du « retour volontaire » ne continue à être exploitée par tous ceux qui cherchent à ce qu’ils restent dans leur pays d’« accueil temporaire » pour des raisons financières ou politiques.
Concernant les réfugiés palestiniens, l’Agence nationale de l’information du Liban [5] a publié l’extrait suivant :
« Selon le texte lu par le ministre Bassil, les parties participant au sommet se sont accordées, en prenant en compte les circonstances et les changements socio-économiques qui ont influé sur le monde arabe (…), sur la nécessité de conjuguer les efforts des parties et organisations donatrices internationales pour réduire les souffrances des déplacés et réfugiés, et pour assurer le financement de projets développementaux dans les pays hôtes afin de réduire l’impact socio-économique de l’afflux des déplacés.
Ils ont de même mis l’accent sur la nécessité de soutenir le peuple palestinien face aux agressions israéliennes qui augmentent, « ayant foi en la responsabilité arabe et islamique envers al-Qods et son identité arabe, musulmane et chrétienne ».
« Toutes les parties concernées doivent s’unir pour financer les projets du plan stratégique pour la croissance de Jérusalem-est », a-t-il ajouté, avant de confirmer l’attachement au droit de retour des Palestiniens et au respect des résolutions internationales relatives à al-Qods et au refus de reconnaître cette ville comme capitale de l’occupation israélienne ».
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Finalement et en dépit de toutes les critiques, à la question « Considérez-vous que le Sommet a été une réussite ? » posée par la chaîne populaire OTV : 55% de OUI et 45% de NON par Twitter, avec 69% de OUI et 31% de NON par FaceBook [6].
Satisfaction, dans la mesure où le Liban, toujours divisé en deux blocs apparemment inconciliables sur le Parti du Hezbollah libanais, la Syrie, l’Iran, etc., en plus d’être toujours en panne de gouvernement, a quand même réussi, malgré l’ampleur des pressions extérieures et intérieures, à amorcer un dialogue au sein du chaos d’un « printemps arabe empoisonné », expression étonnement utilisée par le ministre délégué de l’Arabie saoudite qui semble avoir changé son fusil d’épaule, et que le communiqué final a ouvert des perspectives prometteuses de coopération économique à plusieurs niveaux [7].
Pour certains, ces perspectives sont prometteuses à condition qu’elles ne soient pas liées à des décisions politiques du Liban subordonnées à la volonté des pays donateurs, dont les fonds souverains sont confiés aux banques américaines et occidentales ou, qu’à l’image des Sommets arabes précédents, elles ne restent que de l’encre sur papier.
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Pour d’autres, ce Sommet fut politique par excellence. Ainsi dans un article publié par le quotidien Al-Binaa [8], Mme Rosanna Rammal, journaliste de la presse écrite et audiovisuelle, considère qu’il convient de lire ce Sommet à la lumière de deux sortes de messages politiques :
D’une part, les messages adressés par les pays arabes dont les chefs d’États se sont abstenus d’assister au Sommet, signifiant par là qu’ils ne soutiennent pas leur homologue libanais ou, en tout cas, qu’ils jugent inacceptable la scène politique libanaise actuelle ; les dernières élections législatives ayant accordé une majorité au Hezbollah et à ses alliés.
D’autre part, les messages adressés par la présence de l’Émir du Qatar, lequel est considéré comme un « bon ami » de l’Iran, malgré son désaccord avec la participation des combattants du Hezbollah aux combats en Syrie.
Une contradiction liée à des calculs régionaux ayant poussé le Qatar à une alliance avec la Turquie, au moment de l’ascension des Frères Musulmans dans la région, et au fait que l’Iran l’a aidé à surmonter le boycott étouffant des Pays du Golfe et de l’Égypte, pour lesquels cette double alliance est le péché capital. C’est donc par pragmatisme politique que le Qatar s’est rangé dans un axe turco-iranien.
Il n’en demeure pas moins qua la question centrale est de savoir s’il a agi indépendamment de sa solide alliance avec les États-Unis, alors qu’il héberge la plus importante des bases américaines dans la région du Golfe. Naturellement, tout porte à croire que tel n’est pas le cas. Ce qui signifie que Washington est celui qui répartit les rôles entre ses alliés saoudiens et qataris quant à leur relation avec le Liban et fait en sorte qu’il reste à l’écart de la Syrie tant qu’il le faudra.
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Pression américaine sur le Sommet, mais aussi sur la formation du gouvernement selon l’analyse de Mme Scarlet Haddad des « petites phrases » de David Hale, le 18 janvier dernier [9] :
« On se souvient en effet du communiqué lu par David Hale à l’issue de sa rencontre avec le Premier ministre désigné Saad Hariri, lorsqu’il a conseillé aux autorités de prendre au plus vite des mesures économiques nécessaires, même si cela doit se faire dans le cadre du gouvernement chargé d’expédier les affaires courantes […] Cette phrase a été perçue comme un encouragement direct américain à renflouer le gouvernement démissionnaire. De plus, la phrase suivante lue par David Hale explique la première, lorsqu’il a affirmé que la formation du gouvernement concerne les Libanais, et eux seuls.
Par contre, a déclaré M. Hale, la nature et la composition du gouvernement intéressent tous les pays qui vont traiter avec lui.
À travers ces deux phrases, l’émissaire américain a révélé en quelque sorte le maillon secret qui bloque la formation du gouvernement […] et il semble évident qu’une partie des entraves à la formation du gouvernement vient de l’étranger, notamment du refus des Américains et de leurs alliés de permettre au Hezbollah d’obtenir des portefeuilles importants et d’augmenter son influence sur l’exécutif.
On revient ainsi à l’équation de départ, entre une partie qui souhaite un gouvernement dans lequel les rapports de force politiques sont sensiblement similaires à ceux qui régissent l’actuel cabinet, et une autre qui souhaite la formation d’un gouvernement qui reflète les résultats des élections législatives. »
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M. Nasser Kandil est allé plus loin dans l’analyse des petites phrases de David Hale. Dans un article du 17 janvier intitulé « Le Liban, Israël et le vol du gaz à l’ombre du Sommet » [10], il est revenu sur cette visite pour dire en substance :
David hale est arrivé à Beyrouth pour distiller ses propos agressifs contre le Hezbollah, en pleine violation des résolutions onusiennes par l’armée d’occupation israélienne qui continue à dresser son mur de béton en des endroits relevant de la souveraineté du Liban officiel ; violation que le Liban avait menacé de contrer militairement, il y a un an environ.
Suite à cette menace, Hale était venu annoncer l’arrêt des travaux israéliens et le lancement d’une médiation devant aboutir à la délimitation des frontières terrestres et maritimes du Liban, de telle sorte que le mur n’empiète plus sur le territoire libanais et, par conséquent, sur ses richesses maritimes pétro-gazières.
Cette fois-ci, David Hale est revenu dire qu’il était rassuré sur la situation des frontières ; autrement dit, rassuré par le silence du Liban qui s’est contenté d’une plainte auprès du Conseil de sécurité de l’ONU, tout en remplaçant la décision d’une réponse vigoureuse à toute nouvelle violation, prise par le Haut Conseil de défense en Mars dernier, par une « surveillance de très près » des frontières. Plus grave encore, David Hale a modifié le contenu de sa médiation précédente, pour ne plus s’intéresser qu’aux frontières terrestres.
Étant donné que c’est Israël qui avait sollicité la délimitation des frontières maritimes, la question devient : qu’est-ce qui a changé depuis sa visite précédente ? La réponse se trouve dans la « Conférence sur le gaz de l’Est de la Méditerranée » [l’EastMed Gas Forum] qui s’est tenue le 14 janvier dernier au Caire [11].
Conférence à laquelle l’Égypte a invité l’Autorité palestinienne, Chypre, la Grèce et Israël. En plus de la normalisation des relations demandée par les États-Unis, son but serait d’éviter à Israël la perte de blocs importants de pétrole et surtout de gaz, que le Liban refusera de lui céder.
Du même coup, les sociétés internationales et les investisseurs particuliers qui exigeaient la délimitation officielle des frontières maritimes, pour investir dans les champs pétro-gaziers sous occupation israélienne, s’en passeront ; la reconnaissance des champs qu’Israël prétend lui revenir de droit devenant l’affaire des États membres du Forum, dont l’Égypte et l’Autorité palestinienne.
Et de conclure : le Liban devrait réfléchir longuement sur les raisons qui ont poussé le président Al-Sissi et le président Abbas à décliner son invitation au Sommet de Beyroutn.
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Des manœuvres contre lesquelles le Général Amin Hoteit, n’a cessé de mettre en garde depuis des années. À la tête de la commission chargée de contrôler, en 2000, la ligne de retrait de l’armée israélienne devenue la fameuse « ligne bleue » qui ne devrait, en aucun cas, être confondue avec la frontière internationale du Liban, il est sans doute l’un des meilleurs spécialistes des techniques de « grignotage » du territoire libanais par Israël [12][13].
Le 13 janvier dernier, alors que la construction du mur israélien avait été suspendue, il invitait encore à la prudence et, en réponse aux allégations de David Hale faisant mine d’oublier les frontières libanaises reconnues par les résolutions internationales dont la résolution 1701(2006) appelant à une cessation des hostilités entre Israël et le Hezbollah, il diffusait sur Al-Manar TV [14] la carte ci-dessous :
La zone rouge correspond à la partie que la construction du mur de séparation d’Israël tente de grignoter dans la région d’Addaissah en allant vers kfar kila ; le tout constituant, selon les calculs du Général Hoteit, une ligne pénétrant le territoire libanais sur une profondeur de 140 mètres et une longueur de 1878 mètres, d’où la perte d’une surface de 155 702 mètres carrés. Si le Liban laissait faire, ce grignotage se répercuterait sur la ligne maritime et permettrait à Israël d’affirmer sa souveraineté sur les blocs gaziers appartenant légalement au Liban.
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Le 21 janvier l’Agence nationale de l’information au Liban annonçait qu’Israël avait repris la construction du mur en plusieurs points contestés par le Liban [15].
À suivre…
Mouna Alno-Nakhal
Synthèse et traduction libre des textes arabes
22/ 01/2019
Notes :
[1][ Est-il admissible de négliger l’agression ? ]
[2][Défense russe: la DCA syrienne a détruit plus de 30 missiles de croisière israéliens]
[3][Discours du président Aoun à l’occasion du Sommet arabe pour le développement économique et
social]
[4][Sommet de Beyrouth : la presse relève les divergences libano-arabes sur les réfugiés]
[5][Vidéo OTV / Le sommet économique de Beyroth : l’avant et l’après]
[6][Sommet économique arabe: cap sur la zone de libre-échange et l’économie numérique]
[7][Déclaration de Beyrouth: confirmation de la nécessité de conjuguer les efforts pour réduire les souffrances des déplacés et réfugiés, sommet de 2023 en Mauritanie]
[8][Un sommet « politique » par excellence…]
[9][Les petites phrases de David Hale et la formation du gouvernement]
[10][Le Liban, Israël et le vol du gaz à l’ombre du Sommet]
[11][Le ministre israélien de l’Energie en Egypte pour prendre part à l’EastMed Gas Forum]
[12][Liban : La ligne bleue maritime au service de l’ambition israélienne !]
[13][Liban : La ligne bleue maritime…]
[14][Video Al-Manar/Entretien avec le Général Amin Hoteit]
[15][Israël poursuit la construction de son mur sur les frontières]
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Source : Mouna Alno-Nakhal