Le partenariat entre Washington et les Frères musulmans
juillet 20, 2012
L’article cité n’est pas récent mais offre aux lecteurs certains éclaircissements sur les évènements actuels en Syrie.
Les troubles qui secouent la région arabe véhiculent des éléments du plan américain élaboré pour contenir l’échec stratégique de Washington ces dix dernières années et pour protéger Israël avant la fin du retrait des GI’s d’Irak, en décembre. Il est clair qu’une partie des fils qui sont tirés actuellement ont été tissés ces deux dernières années, en coordination entre l’Administration Obama et ses principaux partenaires internationaux et régionaux
Une des principales idées étudiées ces deux dernières années s’articule sur le principe de la normalisation des relations entre les Etats-Unis et les Frères musulmans. L’expérience turque a proposé un modèle de coexistence entre l’adhésion à l’Otan et les relations avec Israël et l’Amérique, tout en prenant en considération les sentiments pro-palestiniens de la rue turque. Ankara a su trouver le juste milieu entre l’appréhension de sa base populaire à l’égard de l’Etat hébreu et les considérations stratégiques liés à ses relations avec l’Otan et les Etats-Unis. Mais sans aller jusqu’à prendre des initiatives qui modifieraient radicalement les rapports de forces régionaux au profit de l’axe de la Résistance, incarné par la Syrie, l’Iran, le Hezbollah et le Hamas.
Il semble que la direction internationale suprême de la Confrérie des Frères musulmans ait établi un partenariat avec les Etats-Unis pour redéfinir son influence politique et économique dans la région arabe. L’Egypte post-révolutionnaire sera le terrain pour tester ce partenariat et tenter de reproduire le modèle turc basé sur la coexistence entre l’institution militaire et un mouvement islamiste, et sur l’engagement de la confrérie à respecter les constantes liées à la sécurité de l’Etat hébreu et l’accord de camp David après les élections présidentielles et législatives. L’alliance entre les Frères musulmans et les débris de l’ancien parti au pouvoir lors du référendum sur les amendements constitutionnels constitue une preuve de ce nouveau schéma.
Concernant le conflit israélo-arabe, il semble que le «plan de paix», que les Etats-Unis vont imposer, repose sur l’initiative de Brezinski, basée sur l’abolition du droit au retour des réfugiés, l’échange de territoires entre les Palestiniens et l’Etat hébreu, et un Etat palestinien démilitarisé. Tout dépend de la réélection d’Obama pour un second mandat.
La réussite de ce plan repose sur plusieurs facteurs. Son acceptation par le Hamas est essentielle. La Turquie et les Européens s’occuperont de convaincre le mouvement palestinien en utilisant la carotte et le bâton.
Mais la Syrie reste le principal obstacle au plan américain qui consiste à liquider la cause palestinienne. Affaiblir Damas et la noyer dans ses problèmes internes devient alors une condition nécessaire. On comprend mieux, dès lors, la convergence des rôles entre l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie dans la crise syrienne. Que les dirigeants des Frères musulmans syriens fassent la navette entre ces trois pays et appellent à la révolte contre le régime de Bachar el-Assad à partir d’Istanbul, de Riyad ou de Doha devient, alors, compréhensible.
Même le Premier ministre sortant du Liban joue un rôle dans ce plan. Un document révélé par Wikileaks montre la position de Saad Hariri vis-à-vis du régime syrien et des Frères musulmans. Dans un câble publié par le quotidien libanais Al-Akhbar, Hariri affirme: «Il faut en finir définitivement avec le régime syrien». Il propose un partenariat entre les Frères musulmans et d’anciens responsables du régime et ajoute que la branche syrienne de la confrérie «ressemble dans ses caractéristiques aux musulmans modérés de Turquie. Ils acceptent un gouvernement civil et ils appuient même la paix avec Israël». Saad Hariri raconte à ses interlocuteurs américains qu’il maintient une relation solide avec le guide spirituel des Frères musulmans en Syrie (aujourd’hui remplacé) Ali Al-Bayanouni. Il insiste auprès des Américains pour qu’ils «discutent avec Bayanouni. Observez son comportement et vous verrez des miracles».
Tous les moyens sont bons pour faire passer ce plan, même s’il faut, pour cela, menacer l’unité interne de la Syrie au risque de plonger le pays dans la guerre civile. En faisant échec au complot visant à la déstabiliser, sous les prétextes des droits de l’homme et de la liberté, la Syrie aura encore une fois torpillé un plan destiné à liquider la cause palestinienne et à pérenniser l’hégémonie.
Pour gagner son pari, Bachar el-Assad doit relever le défi sécuritaire posé par les groupes extrémistes qui sévissent en Syrie. Mais il doit, aussi, lancer impérativement le chantier des véritables réformes politiques, économiques, judiciaires et administratives, pour renforcer la cohésion interne et moderniser son pays.
Syrie: de la révolte à l’insurrection armée
Dès le début du mouvement de contestation en Syrie, les prémices d’une insurrection armée sont clairement apparues. Les insurgés se sont faufilés parmi les manifestants qui réclament des réformes, dans le but évident de provoquer les forces de l’ordre qui avaient reçu des ordres présidentiels stricts de ne pas tirer sur les manifestants pacifiques. Souvent, les policiers étaient envoyés sur le terrain sans munitions, justement pour éviter des frictions avec les manifestants qui pourraient conduire à un bain de sang.
Le fait de transformer un mouvement de contestation pacifique en insurrection armée illustre l’impasse dans laquelle se trouvent les forces politiques qui organisent les manifestations en Syrie, et qui sont en grande partie contrôlées, financées ou couvées par les Etats-Unis, certains pays européens, le prince saoudien Bandar Ben Sultan, le Qatar, la coalition libanaise du 14-Mars, ainsi que de la Turquie, dont la position se balance entre la confusion et l’ambiguïté.
Cette impasse s’explique par l’impossibilité des organisateurs à transformer la contestation en mouvement réellement populaire, en dépit des moyens financiers et médiatiques gigantesques mis à leur disposition. Les villes d’Alep, Raqua, Idlib et leurs régions, ainsi que la capitale Damas, et, dans une moindre mesure, Hassaka et Hama, restent à l’écart du mouvement. Et malgré tous les appels, les habitants de ces régions refusent d’organiser des manifestations hostiles au président Bachar el-Assad. Ailleurs, la mobilisation reste faible et ne rassemble que quelques centaines ou des milliers de personnes tout au plus. Par ailleurs, le rôle central des Frères musulmans et des groupes islamistes extrémistes est clairement apparu, d’autant que les mosquées sont utilisées comme point de ralliement et de mobilisation. Ce qui a poussé le célèbre poète Adonis, connu pour son peu de sympathie envers le régime syrien, à dire que ce qui se passe aujourd’hui en Syrie n’est pas une révolution.
Ce tableau montre les limites de l’alliance arabo-occidentale, incapable d’initier un vaste mouvement de contestation, qui reste confiné aux régions rurales et agricoles syriennes. Pourtant, l’énorme machine médiatique tourne à plein régime tous les jours de la semaine pour mobiliser la population et les Frères musulmans ont dû directement appeler à manifester, vendredi 29 avril, sans oublier les sermons à connotation confessionnelle prononcés toutes les semaines par le prédicateur égypto-qatari, Youssef al-Qardaoui.
Les forces qui fomentent les troubles se sont immédiatement tournées vers l’insurrection militaire. Armes et argent ont commencé à affluer à travers les frontières de Jordanie, d’Irak et du Liban, et les services de sécurité syriens en ont saisi d’importantes quantités. Ensuite, les groupes extrémistes takfiristes sont directement entrés en lice dans les mosquées de Deraa, Homs, Banias et Lattaquié, appelant au Jihad et brandissant des slogans sectaires dans le but clair d’exacerber les dissensions communautaires pour provoquer une guerre civile. Quelque 80 officiers et soldats ont été tués et des centaines blessés depuis le début des troubles, ainsi qu’un grand nombre de manifestants tués par des inconnus armés dans l’objectif de provoquer des heurts avec les forces de l’ordre. De la sorte, un cercle vicieux morts-funérailles-violences-morts, s’installe et devient infranchissable.
Les puissances occidentales, avec à leur tête les Etats-Unis, ignorent complètement cette dimension essentielle de la crise qui secoue la Syrie. Elles concentrent leur intervention sur la nécessité des réformes, à travers lesquelles elles espèrent pousser le régime syrien à partager le pouvoir avec les forces syriennes qu’elles financent et contrôlent, comme les Frères musulmans, Abdel Halim Khaddam et quelques forces libérales marginales. Leur ultime objectif étant d’influencer les choix stratégiques de la Syrie basés, depuis des décennies, sur le soutien aux mouvements de Résistance anti-américains et anti-israéliens.
La réalité de ce qui se passe en Syrie est que les extrémistes musulmans takfiristes, que l’Occident lui-même combat avec acharnement depuis dix ans, disposent de cellules actives et bien organisées en Syrie. Mais dans la politique des deux poids deux mesures, le terrorisme est parfois considéré comme un fléau à abattre et d’autres fois comme une force de changement !
Aucun être sensé ne peut croire les déclarations occidentales concernant le respect des droits de l’homme et la nécessité de réformes, alors que l’exemple de ce qui se passe à Bahreïn est vivant. Dans ce petit royaume, l’Occident a couvert politiquement et diplomatiquement l’écrasement d’une révolution pacifique et l’occupation militaire de l’ile par les pays du Golfe. Les Etats-Unis et leurs alliés arabes et européens instrumentalisent les Frères musulmans et les groupes takfiristes pour faire plier la Syrie. Et lorsqu’ils parlent de réformes en public, ils soumettent sous la table une liste de demandes semblables à celles qu’avait proposées en 2003 le secrétaire d’Etat Colin Powell et qui s’articulent autour des points suivants: rompre l’alliance avec l’Iran, cesser tout soutien aux mouvements de résistance et accepter une paix déséquilibrée avec Israël.
Ce que Bachar el-Assad a refusé il y a huit ans, alors que 250.000 soldats américains étaient massés à sa frontière, il ne l’acceptera certainement pas aujourd’hui en raison de l’agitation interne. Cela ne l’empêchera pas de poursuivre les réformes politiques, judiciaires et économiques, avec de nouvelles décisions dans les prochains jours.
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