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Le président tunisien : « une intervention en Syrie serait un suicide »


Par Louis Denghien, le 15 janvier 2012

Une intervention étrangère en Syrie équivaudrait à un « suicide » et conduirait à une « explosion » de tout le Proche-Orient. Ces mots forts – et cette vision claire – ce sont ceux du nouveau président tunisien Moncef Marzouki, qui s’exprimait, le 15 janvier, dans les colonnes du quotidien algérien El-Khabar. Le successeur de Ben Ali, porté au pouvoir par le printemps arabe et la vague électorale islamiste subséquente, désigne aussi le projet que nourrissent ouvertement certains d’attaquer la Syrie de « spectre irréalisable« .

Un avis particulièrement « autorisé

« Une telle intervention signifierait que la guerre va s’étendre à toute la région, ce qui ouvre la voie à toutes les puissances, à l’instar de la Turquie, d’Israël, de l’Iran et du Hezbollah. Cela voudrait dire que toute la région va exploser« . Ces propos du président tunisien paraissent frappés au coin du bon sens et de l’évidence, et, parmi d’autres, notre site le dit depuis son ouverture. Mais ces paroles de bon sens valent surtout par celui qui les dit, et le contexte dans lequel elles sont dites.

D’abord, il y a la personnalité de Moncef Marzouki : opposant de longue date au vieil ami ou allié de Chirac et de Sarkozy, Ben Ali, il a, du temps de ce dernier, appartenu à la section tunisienne d’Amnesty International, a fondé une formation non reconnue de gauche laIque et a fait un an de prison, avant d’être placé en résidence surveillée. Il s’est rapproché du parti islamiste alors interdit Ennahada. Après la chute de Ben Ali, son parti – le « Congrès pour la République » – s’est classé deuxième derrière Ennahda aux législatives du 23 octobre dernier. Dans la foulée, et suite à un accord avec les islamistes, il est élu le 12 décembre par une large majorité de l’Assemblée constituante 3e président de la République tunisienne. Durant la campagne, Marzouki s’était quelque peu éloigné de la gauche laïque, et avait défini Ennahda comme un « parti conservateur à connotation religieuse« .

Or cet allié des islamistes tunisiens déclare sans circonlocutions, dans son entretien à El-Khabar, la chose suivante : « La situation en Syrie m’inquiète énormément, du fait que la révolution commence à prendre un caractère confessionnel, d’où le grand danger (…) Dans le cas où les divergences et les oppositions interconfessionnelles persistent, la révolution va échouer, dans ce cas-là, ce serait un drame« .

Moncef Marzouki, on l’a compris, n’est pas un supporter du régime syrien. Mais cet homme de compromis, venu de la gauche laïque mais élu par des cousins des Frères musulmans égyptiens et tunisiens, ne veut ni de la théocratie, ni de la guerre sainte à quoi travaillent les franges radicales de l’opposition syrienne, inspirées et aidées par les monarchies du Golfe et la Turquie.

Une réponse (défavorable) à l’émir du Qatar

Nous évoquions le contexte dans lequel le président tunisien a pris position : sa déclaration apparait comme une réponse à la toute récente proposition d’envoi de troupes arabes en Syrie faites par l’émir du Qatar (voir notre article « Hamad du Qatar, Ban Ki-moon de l’ONU et Davutoglu de Turquie : trio infernal – mais relativement impuissant – antisyrien », mis en ligne le 15 janvier). Tout le monde en Tunisie garde un oeil sur la Libye voisine, où l’ONU et l’OTAN ont joué un scénario qu’ils aimeraient bien appliquer à la Syrie. Or Moncef Marzouki n’a pas du tout été convaincu par la « révolution » libyenne assistée par ingérence. Il le dit sans ambiguité à El-Khabar : « Nous n’avons accepté l’intervention étrangère que lorsque la situation a atteint des proportions alarmantes. Nous l’avons acceptée, mais sans conviction« . Et, de fait, la nouvelle Libye, aux mains d’islamistes particulièrement radicaux, menacée à chaque instant de sombrer dans une nouvelle guerre civile, et accessoirement de devenir un nouveau sanctuaire pour AQMI (les héritiers régionaux de Ben Laden), la Libye post-Kadhafi a de quoi inquiéter son voisin tunisien, et au-delà.

Bref, voila encore une pierre dans le jardin du Qatar, qui avait participé militairement au coup d’Etat otanesque contre Kadhafi, et pousse à la répétition de ce scénario contre Bachar al-Assad. Décidément, la Ligue arabe ne semble plus vouloir marcher au pas fixé par l’émir et ses pairs du Golfe. Si la crise syrienne a au moins atteint ce résultat imprévu…

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