Le « printemps arabe » bilan d’un avortement
mai 28, 2012
Le « printemps arabe » bilan d’un avortement
Peut-on tirer un bilan précis et concis de ce vaste mouvement populaire qui a nom le « Printemps arabe » (2011-2012) ? Oui certainement. Philosophes, journalistes, politiciens de droite comme de gauche, experts de tout poil et analystes arabophiles comme arabophobes tous tentent de présenter un bilan de ce mouvement diachronique. S’y essaient également les partisans et alliés des peuples arabes résistants et outrageusement dupés, réprimés, assassinés dans une dizaine de pays qui ont connu des soulèvements d’intensité et de durée variables que les médias mystifient à l’envi.(1)
Il n’y a pas eu ‘un’ mais plusieurs « Printemps arabe », c’est-à-dire que le « Printemps arabe » s’est déroulé selon quelques scénarios différents, parfois issu de soulèvements spontanés, comme un cri de révolte d’un peuple pressuré, désœuvré, affamé. Parfois, le soulèvement fut téléguidé de l’extérieur par des puissances étrangères qui utilisaient la grogne populaire pour l’endiguer, l’orienter et se servir des révoltés comme chair à canon dans leurs desseins de soumission, de règlement de compte inter-impérialiste visant à changer la garde au pouvoir dans un pays ou dans un autre, les dirigeants en place étant trop discrédités pour donner le change et rassembler la populace autour de leur projet compradore (Ben Ali, Moubarak, Saleh).
Dans le cas de la Libye, le soulèvement fomenté et dirigé a servi à arracher un pays des griffes d’une puissance impérialiste pour mieux le placer sous la coupe de ses nouveaux maîtres ; le peuple libyen n’a nullement bénéficié de ce vent de fronde et cette jacquerie manipulé et aujourd’hui il souffre sous la coupe de chefs de clans, de bandits, de mercenaires et d’affidés réactionnaires placés là par leurs maîtres dont l’un (Sarkozy) vient de recevoir son congé du peuple français déprimé.
BILAN PAR CLASSE SOCIALE
Chaque classe sociale établit son propre bilan de ce « Printemps arabe » aux multiples visages. La grande bourgeoise compradore à la solde de l’Alliance Atlantique (France, Royaume-Uni, Allemagne, États-Unis) ou à la solde de l’Alliance de Shanghai (Chine et Russie) s’essuie le front. Les capitalistes nationaux ont eu chaud, ces poltrons ; certains ont été tués, démis, emprisonnés, quelques-uns sont en exil ; d’autres ont dû abandonner les affaires et les derniers ont été forcés de se planquer en attendant une accalmie qui leur permettra de sortir de leur tanière pour rapatrier leurs « affaires » dans leur nouvelle patrie.Dans l’ensemble, la grande bourgeoise arabe compradore a partout conservé le pouvoir et ses avantages mais elle a dû se résigner à effectuer un changement de la garde ou promettre quelques réformettes avant de revenir aux affaires de leur galère de misère.
D’autres ploutocrates, les plus nombreux finalement, sont restés dans les coulisses du pouvoir comptant se remettre en selle sous de nouveaux oripeaux tout neufs. Ce sont ceux-là que les partisans égyptiens dénoncent dans les rues du Caire depuis quelque temps. Ce sont ceux-là que les manifestants tunisiens ont boudés lors des dernières élections dans ce pays. Pareil au Yémen et auBahreïn où le clan saoudien n’a pas permis à la jacquerie locale de déposer le Roi al-Khalifa.(2)
Les jeunes étudiants et chômeurs militants, ceux qui ont amorcé le mouvement du « Printemps arabe », ont bien compris que, laissés à eux-mêmes sur les réseaux sociaux, sans orientation idéologique révolutionnaire, assujettis aux manipulations médiatiques de la grande bourgeoise nationale et internationale et de la moyenne bourgeoisie locale ils ne pouvaient aller très loin. Faut-il rappeler que c’est Hillary Clinton, Secrétaire d’État américaine, qui a annoncé au monde incrédule que l’objectif des soulèvements arabes était d’obtenir le privilège d’élections libres permettant à chacun de choisir sa marionnette nationale préférée, discours ensuite colporté par les « twitters » inconscients et tous les médias bourgeois de la Terre parfaitement conscients ceux-là.
Assujettis aux manipulations de la petite bourgeoise paupérisée et de la gauche opportuniste, à l’affût et trop heureuse de s’emparer de la direction des mouvements pour les diriger vers le cul-de-sac électoral pseudo démocratique bourgeois, les jeunes et les moins jeunes ont vite perdu le contrôle de leurs soulèvements.(3)
La grande bourgeoisie arabe a pu sauver sa mise – non sans peine toutefois. Monopolisant le pouvoir politique, judiciaire et militaire (le pouvoir économique demeurant dans les mains des puissances impérialistes néocoloniales) elle était la seule classe qui pouvait perdre quoique ce soit dans l’échauffourée.
La petite bourgeoisie est la classe qui a temporairement amélioré sa condition sociale dans cette agitation nationale. Mais pour un temps seulement. Attendez que les oligarques reprennent le contrôle de ces parlements et gouvernants à la solde – sachant que par ailleurs ils n’ont jamais perdu le contrôle de leurs armées.
La petite bourgeoisie, dont les filles et les fils diplômés sont au chômage, est une classe en cours d’appauvrissement. Frappée par les crises en rafale du système capitaliste mondial, la petite et la moyenne bourgeoise nationale arabe étaient au cœur de ces soulèvements. L’économie nationale des pays arabes étant dominée et spoliée par les pays impérialistes du Nord, cette classe sociale fragile et instable n’a pas accès aux prébendes, aux bakchichs, aux hauts postes gouvernementaux, judiciaires et militaires lucratifs, ni à la propriété foncière réservées aux compradores. La petite et la moyenne bourgeoise sont donc menacées d’éradication tout comme leurs cousins dans les pays du Nord. Le « Printemps arabe » lui a permis de multiplier les partis politiques bourgeois et « d’assainir » les mœurs électorales locales, de les rendre presque conformes au modèle occidental.
En Égypte, en Tunisie, au Yémen, en Libye, au Maroc, en Jordanie, suite aux réformes électorales promises, les multiples partis politiques de la petite et de la moyenne bourgeoise de droite comme de gauche espèrent avoir désormais accès à l’assiette au beurre, soit par le jeu d’alternance des partis au pouvoir, soit que les nouveaux chefs d’État devront pour gouverner s’appuyer sur des coalitions de partis où ils espèrent que leur poulain trouvera sa niche et ses bakchichs.
LE CAS SYRIEN
En Syrie, l’insurrection téléguidée depuis Paris, Londres, Berlin, Washington, Ryad et Doha ayant échoué, la réforme annoncée ne permettra peut-être pas l’alternance tant souhaitée. L’assiette au beurre risque de demeurer entre les mains de la dynastie Assad ; cela ne concerne que le peuple syrien et pas du tout les mercenaires payés par les royaumes du Qatar et d’Arabie Saouditeinfiltrés dans le pays pour y fomenter agitation armée et assassinats, meurtres et crimes de guerre terroristes.(4)
Ici, il faut comprendre que le « Printemps arabe syrien » marque un événement historique d’importance. C’est la première fois que l’Alliance eurasiatique(Moscou), alliée de l’Alliance de Shanghai (Pékin), a affronté avec succèsl’Alliance Atlantique dirigée par les États-Unis et ses alliés de l’Union européenne (Paris-Berlin-Londres). Précédemment, en Irak, en Afghanistan, auSoudan, en Côte d’Ivoire et en Libye, les alliances impérialistes des pays d’Asie avaient cédé et s’étaient laissé dépouiller des richesses des pays qui leur étaient assujettis. En Syrie, pour la première fois, les alliances concurrentes ont tenu tête à l’Alliance Atlantique, ce qui reflète le déplacement déjà amorcé du pouvoir économique en faveur de la Chine, le créancier de l’Occident. Cela indique également que désormais Pékin et Moscou n’entendent plus se laisser dépouiller de leurs zones de domination. Dorénavant, les guerres de rapine inter-impérialistes risquent d’être de plus en plus âpres et meurtrières pour les peuples des pays convoités.
Experts et analystes en tout et en rien du tout, retenez cette leçon avant de colporter tous les ragots et agitations émanant de l’État-major israélien et du bouffon Netanyahu – l’excité – à propos de l’Iran que ce misérable nabot menace sans cesse d’attaquer pendant que la caravane iranienne passe son chemin, indifférente. La guerre d’Iran, si elle a lieu finalement, mettra aux prises le géant impérialiste militaire américain sur son déclin contre le géant chinois ascendant et son allié russe nucléarisé et en cours de reconstruction. L’histoire s’écrit devant vos yeux si vous osez regarder – mais il ne faut pas regarder le sous-fifre à Jérusalem – mais à Washington, Pékin, Moscou et Berlin, les capitales impérialistes mondiales. Le monde change et le « Printemps arabe » s’inscrit dans cette mouvance.
LA CLASSE OUVRIÈRE ARABE
Pour sa part, le prolétariat arabe ne s’est pas vraiment mis en mouvement pendant ces événements. Ce prolétariat garde fraiche en mémoire la trahison des partis de gauche engagés depuis des décennies dans une course folle pour participer aux mascarades électorales et arracher, espèrent ces partis de la petite bourgeoisie, quelques sièges bien rémunérés dans les parlements graciés. La classe ouvrière arabe a regardé passer cette esbroufe meurtrière mais sans vraiment y engager le gros de ses « armées » de classe. Voilà pourquoi ce qui aurait pu devenir un Printemps arabe rouge des quartiers ouvriers est demeuré un Printemps arabes vert tendres des palmeraies ombragées.
La classe ouvrière arabe, sans direction révolutionnaire, préférait voir venir et observer la situation. Elle a vite convenu que son heure n’était pas venue. Elle n’aurait finalement rien gagné de toute cette agitation tout comme les pauvres et les malandrins, pas davantage que les femmes arabes qui ont vu leur situation sociale empirer dans certains pays menacés par l’orbe islamiste manipulée par le grand capital impérialiste.
La bourgeoisie et la petite bourgeoisie nationaliste arabes qui ont mis leurs œufs dans le panier islamiste se sont cru obligées de manifester leur intransigeance, leur foi musulmane et leur piété coranique afin d’obtenir le soutien et les crédits des sectes Wahhabites fanatiques d’Arabie Saoudite et du Qatar si bien que les femmes et les jeunes filles se font proposer un retour en arrière – éphémère soyez sans crainte. L’histoire ne retourne jamais sur ses pas, un pays où la femme a connu un début d’émancipation ne reviendra jamais sous la dictature des mollahs et des imams. Mais les femmes arabes ayant subi ces « Printemps arabes verts tendres des palmeraies parfumées » avortés devront se mobiliser pour faire reculer ces va-nu-pieds qui prétendent les enfermer et les voiler. C’est le devoir de la classe ouvrière arabe d’épauler solidement les femmes arabes dans leur résistance. Sinon, la petite et moyenne bourgeoise s’emparera de cette lutte pour l’orienter dans le sens d’un affrontement inter-sexe (hommes contre femmes) alors que c’est une bataille anti-impérialiste qui s’amorce contre des puissances qui souhaitent assujettir les femmes arabes pour mieux les exploiter.
Elles sont légion présentement – les féministes petite-bourgeoises – à parcourir l’Occident réduisant cette lutte à l’opposition contre le voile. Elles ne mobiliseront pas les femmes des peuples arabes contre l’exploitation et l’oppression impérialiste par cette revendication d’arrière banc mais qui permet à notre petite-bourgeoisie locale de se donner bonne conscience.
Pourquoi l’Algérie n’a-t-elle pas connu de soulèvement conséquent, pas plus que l’Arabie Saoudite, Oman, les Émirats Arabes Unis et le Liban ? Chacun de ces cas est particulier.
Il ne faut pas oublier que l’Algérie a connu son printemps arabe bien avant tous les autres, il y a plus d’une dizaine d’années et l’armée, après avoir beaucoup massacré la population algérienne, est finalement intervenue lors d’une élection démocratique que les islamistes s’apprêtaient à gagner démocratiquement, ce qui déclencha une saignée terroriste et militaire terroriste parmi le peuple algérien. Pour les Algériens, le « Printemps arabe » sentait le réchauffé, et ils ne s’y sont pas engagés. En Arabie Saoudite, à Oman, au Koweït et dans lesÉmirats Arabes Unis, les dictatures fascistes des tribus au pouvoir et l’immense rente pétrolière ont permis d’écraser toute velléité de soulèvement et les opposants, déjà sous les verrous glacés des Kasbah emmurées, n’ont même pas songé à organiser de tels soulèvements. De plus, les puissances impérialistes des alliances concurrentes ne sont pas encore en mode insurrectionnel téléguidé pour disputer ces pays à la domination de l’Alliance Atlantique, seule souveraine sur les terres saoudiennes.
Au Liban, le pays avait lui aussi connu son « Printemps arabe » il y a de nombreuses années, quand le pouvoir avait été contesté par les clans et les factions chrétiennes, chiites, sunnites et druzes si bien que ces soulèvements d’étudiants et de chômeurs désorganisés, désorientés, ou encore manipulés de l’extérieur n’ont pas trouvé preneur dans ce pays hyper politisé, organisé, militarisé et armé ayant une longue expérience révolutionnaire.
Il en fut de même en Palestine occupée, repliée sur elle-même, pansant ses multiples plaies sous le joug meurtrier sioniste-fasciste. Le peuple palestinien refait ses forces présentement. Il accumule de l’énergie révolutionnaire et se prépare à d’autres soulèvements – Intifada – quand le temps sera venu, c’est-à-dire quand la conjoncture mondiale aura grandement affaibli la puissance de tutelle d’Israël – protectorat américain – qui se sentira alors délaissé, abandonné au milieu du désert arabe au fond de la Méditerranée polluée.(5)
Le « Printemps arabe vert tendre des palmeraies ombragées », version 2011-2012, fut une répétition en prévision de la véritable révolution à venir. Pour l’instant les différentes classes sociales se sont jaugées, appréciées, mesurées et elles tirent présentement le bilan de ces affrontements. Si le prolétariat arabe peut faire surgir de son sein un leadership révolutionnaire conséquent, bien orienté politiquement pour la prise de pouvoir totale, et vraiment discipliné, la prochaine manche risque de ressembler à toute autre chose que ce qu’on a observé pendant ces deux années d’échauffourées.