Le terrorisme anti-syrien et ses connexions internationales
mars 19, 2013
Par Bahar Kimyongur
D’abord, il y a le facteur laïcité. La Syrie est en l’occurrence le dernier Etat arabe laïc. (1) Les minorités religieuses y jouissent des mêmes droits que la majorité musulmane. Pour certaines sectes sunnites championnes de la guerre contre l’Autre quel qu’il soit, la laïcité arabe et l’égalité inter-religieuse, incompatibles avec la charia, sont une injure à l’islam et rendent l’Etat syrien plus détestable qu’une Europe « athée » ou « chrétienne ».
Or, la Syrie compte pas moins de dix églises chrétiennes différentes, avec des sunnites qui sont arabes, kurdes, tcherkesses ou turkmènes, avec des chrétiens non arabes comme les Arméniens, les Assyriens ou les Levantins, avec des musulmans syncrétiques et donc inclassables comme les alaouites et les druzes. Par conséquent, la tâche qui consiste à maintenir sur pied cette charpente ethnico-religieuse fragile et complexe s’avère si ardue que seul un régime laïc, solide et forcément autoritaire peut y parvenir.
Ensuite, il y a le facteur confessionnel. En raison de l’origine du président Bachar El-Assad, le régime syrien est abusivement décrit comme « alaouite ». Cette qualification est totalement fausse, calomnieuse, sectaire voire raciste. Elle est avant tout fausse parce que l’état-major, la police politique, les divers services de renseignements, les membres du gouvernement sont majoritairement sunnites de même qu’une partie non négligeable de la bourgeoisie.
Nos médias à sensations ne manquent pas de parler de Mme Asma El-Assad, l’épouse du président d’origine sunnite dans un but de la diaboliser. Mais ils évitent délibérément de citer la vice-présidente de la République arabe syrienne, Mme Najah Al Attar, la première et unique femme arabe au monde à occuper un poste aussi élevé. Mme Al Attar est non seulement d’origine sunnite mais elle est aussi la sœur de l’un des dirigeants exilés des Frères musulmans, illustration emblématique du paradoxe syrien.
En réalité, l’appareil d’Etat baassiste est le reflet quasi parfait de la diversité ethnico-religieuse qui prévaut en Syrie.
Le mythe à propos de la « dictature alaouite » est tellement grotesque que même le grand mufti sunnite, le cheikh Bedreddine Hassoune ou encore le chef de la police politique Ali Mamlouk, lui aussi de confession sunnite, sont parfois classés parmi les alaouites par la presse internationale(2).
Le plus étonnant est que cette même presse apporte de l’eau au moulin de certains milieux salafistes (sunnites ultra-orthodoxes) syriens qui propagent le mensonge selon lequel le pays aurait été usurpé par les alaouites lesquels seraient, selon eux, des agents chiites. Ces mêmes salafistes taxent les chiites de négateurs (rawafidhs) parce que ces derniers rejettent, entre autres, la légitimité du califat, c’est-à-dire du gouvernement sunnite des origines de l’islam.
Or, d’une part, il existe des différences notables entre alaouites et chiites tant sur le plan théologique que de la pratique religieuse. La divinisation d’Ali, la doctrine trinitaire, la croyance en la métempsychose ou encore le rejet de la charia propres aux alaouites, sont sources de critiques de la part des théologiens chiites qui ne manquent pas de les taxer d’exagérateurs (ghoulat).
D’autre part, s’il y a une religion d’Etat en Syrie, c’est bien l’islam sunnite de rite hanéfite représenté entre autres par le cheikh Muhammad Saïd Ramadan Al Bouti et le grand mufti de la République, le cheikh Badreddine Hassoune dont la sage parole tranche avec les appels au meurtre et à la haine des cheikhs wahhabites. Mais qu’à cela ne tienne, pour expliquer l’alliance anti-US et antisioniste formée par l’axe Damas-Téhéran-Hezbollah, la presse aux ordres et les milieux sunnites ultra-conservateurs répètent en chœur que la Syrie est dominée par les alaouites qui formeraient une « secte chiite ». La Syrie étant soutenue par la Chine, la Russie, le Venezuela, Cuba, le Nicaragua ou encore la Bolivie, il faudrait logiquement en conclure que Hu Jintao, Poutine, Chavez, Castro, Ortega ou Morales sont eux aussi des alaouites, au moins des crypto-chiites.
Troisièmement, il y a le facteur nationaliste. Il convient de rappeler que pour les salafistes, la Syrie n’existe pas. Ce nom serait comme celui de l’Irak une fabrication athée. Dans leur jargon inspiré du Coran, l’Irak s’appelle Bilad Al Rafidaïn (le pays des deux Fleuves) et la Syrie, Bilad Al Cham (le pays de Cham).
Celui qui adopte l’idéologie nationaliste et se consacre à la libération de sa patrie commet un péché d’association (shirk). Il viole le principe du tawhid, l’unicité divine et à ce titre, il mérite la mort. Pour ces fanatiques, le seul combat agréé par Allah est le djihad, la guerre dite « sainte » livrée au nom d’Allah et visant à étendre l’Islam.
En tant que corollaire du nationalisme arabe, le panarabisme, cette idée progressiste d’unité et de solidarité interarabe est à fortiori un sacrilège parce qu’il mine l’idée de « oumma », la mère patrie musulmane. Comme le rappelait récemment le président Bachar El-Assad dans une interview accordée au journalSunday Telegraph, le combat qui se livre actuellement sur le sol syrien oppose deux courants inconciliables : le panarabisme et le panislamisme (3).
Ce conflit originel introduit un facteur historique fondateur de la menace terroriste en Syrie. Depuis 1963, la Syrie baassiste mène en effet une véritable guerre contre les mouvements djihadistes. L’armée gouvernementale et les Frères musulmans se sont affrontés dans de nombreuses batailles qui se sont toutes soldées par la victoire du pouvoir syrien. Ces victoires ont été arrachées au prix de nombreuses victimes, l’armée n’hésitant pas à semer la terreur pour parvenir à ses fins.
En 1982, l’armée de Hafez El-Assad a pilonné des pans entiers de la ville de Hama pour venir à bout de la résistance djihadiste, massacrant sans distinction militants et civils innocents. On dénombre au moins dix mille morts dans les bombardements et les batailles de rue. De véritables chasses à l’homme ont ensuite été lancées contre les Frères musulmans syriens à travers le pays, contraignant ces derniers à l’exil. La répression n’est pas pour autant parvenue à éradiquer la tradition guerrière ni l’esprit revanchard des djihadistes syriens.
A présent, voyons pays par pays quels sont les mouvements terroristes auxquels les troupes syriennes sont aujourd’hui confrontées.
Le front libanais
En avril 2005, l’Occident s’est réjoui de voir les troupes syriennes quitter le territoire libanais après 30 ans de présence ininterrompue. Cet événement avait été déclenché par l’attentat visant l’ex-premier ministre libano-saoudien Rafiq Hariri connu pour son hostilité envers la Syrie, attentat immédiatement imputé au régime de Damas par l’Europe et les Etats-Unis sans la moindre preuve et avant même le début de l’enquête.
Une « révolution du Cèdre » soutenue par les officines droitsdelhommistes de la CIA poussa l’armée syrienne à quitter le Liban. A peine les chars syriens se sont-ils retirés que les groupes salafistes refirent surface, dégainant leurs sabres et leurs prêches sectaires. Ces mouvements se sont implantés dans le Nord-Liban du côté de Tripoli majoritairement sunnite puis, peu à peu, dans les camps palestiniens du Liban, profitant des divisions politiques et de la faiblesse militaire des organisations palestiniennes ainsi que de la politique de non-intervention de l’armée libanaise dans ces camps.
Entre 2005 et 2010, les groupes djihadistes ont mené la guerre contre tous les soutiens réels ou supposés du régime de Bachar el-Assad comme les populations chiites, alaouites ou les militants du Hezbollah. Certains de ces mouvements ont été jusqu’à franchir la frontière syro-libanaise pour harceler les troupes du pouvoir baassiste sur leur propre territoire. L’activisme anti-syrien des groupes salafistes libanais armés connut ensuite une recrudescence avec le début de la crise syrienne de 2011. Ils furent relayés par des mouvements salafistes non armés. Le 4 mars 2012, quelques deux mille salafistes conduits par Ahmad Al Assir, un prédicateur de la ville de Saïda devenu l’étoile montante du sunnisme libanais, ont défilé à Beyrouth pour protester contre le régime de Bachar El Assad. Derrière un impressionnant cordon de sécurité composé de policiers et de militaires, quelque centaines de contre-manifestants du Parti baas libanais ont protesté contre ce défilé.
D’Aarida à Naqoura, tout le Liban retint son souffle. Comme son cœur se resserre à chaque fois que des tirs retentissent depuis les quartiers tripolitains de Bab Tebbaneh et Djebel Mohsen. Car dans ce pays où la ligne de fracture politique est également confessionnelle avec des sunnites majoritairement anti-Assad et des chiites majoritairement pro-Assad et puis aussi avec des chrétiens divisés qui se retrouvent dans les deux camps, la hantise de la guerre civile est omniprésente. Mais le gouvernement d’union nationale tente de calmer le jeu et veille à rester neutre face au conflit syrien. Pour autant, certains groupes salafistes ne ratent pas une occasion pour semer le chaos dans ces deux pays géographiquement interdépendants et complémentaires.
Voici une brève description de certains de ces mouvements sectaires actifs au Liban et qui menacent la Syrie depuis plusieurs années :
Groupe de Sir El-Dinniyeh
Ce mouvement sunnite dirigé entre 1995 et 1999 par Bassam Ahmad Kanj, un vétéran d’Afghanistan et de Bosnie, est apparu à la suite de luttes entre différents courants islamiques voulant contrôler les mosquées de Tripoli.
En janvier 2000, le Groupe de Dinniyeh a tenté de créer un mini-Etat islamiste dans le Nord du Liban. Les militants ont pris le contrôle des villages du district de Dinniyeh, à l’Est de Tripoli. 13.000 soldats libanais ont été envoyés pour mater cette rébellion djihadiste. Les survivants de l’assaut se retranchèrent dans le camp palestinien d’Ayn El Hilwé dans le sud du Liban. Après le retrait des forces armées syriennes en avril 2005, les combattants du groupe de Dinniyeh sont revenus à Tripoli où se trouvaient encore des cellules clandestines. La même année, le ministre libanais de l’intérieur par intérim, Ahmed Fatfat qui est précisément originaire de Sir El-Dinniyeh et qui, par ailleurs, dispose de la citoyenneté belge, a mené campagne pour obtenir la libération des prisonniers du groupe de Dinniyeh et ce, dans le but d’obtenir l’appui politique des groupes sunnites et salafistes du Nord-Liban.
Fatah Al Islam
Mouvement sunnite radical du Nord du Liban. Le Fatah Al Islam a littéralement occupé la ville de Tripoli avec la complicité de Saad Hariri et son parti, le Courant du futur. Hariri voulait se servir de ces radicaux sunnites pour combattre le Hezbollah chiite libanais et le gouvernement syrien. Parmi les alliés de Hariri, le groupe appelé « Fatah El Islam » dissident du mouvement national palestinien s’est emparé du camp de Nahr El Bared. Ce mouvement terroriste a assassiné 137 soldats libanais de manière brutale notamment lors de sataniques rituels se soldant par des décapitations. Le 13 février 2007, le Fatah El Islam fit également exploser deux bus dans le quartier chrétien d’Alaq-Bikfaya.
De mai à septembre 2007, l’armée libanaise fit le siège du camp palestinien de Nahr el Bared où étaient retranchés les combattants djihadistes et ce n’est qu’après d’intenses combats dignes de l’opération syrienne de Baba Amro qu’elle parvint à les neutraliser. Pas moins de 30.000 Palestiniens ont dû fuir les combats. Quant à Nahr el Bared, il fut réduit à l’état de ruines.
Quelques mois plus tard, le Fatah al Islam est impliqué dans un attentat meurtrier qui secoue Damas. Le 27 septembre 2008, le sanctuaire chiite de Sayda Zainab à Damas est en effet la cible d’un attentat à la voiture piégée où 17 pèlerins sont tués. Le Fatah Al Islam est souvent cité lorsque des affrontements éclatent à Tripoli entre le quartier sunnite de Bab Tabbaneh et le quartier alaouite de Djébel Mohsen.
Jounoud Al Cham (Les soldats du Levant)
Mouvement sunnite radical du Sud du Liban aux origines multiples. Certains de ses membres seraient issus du groupe Dinniyeh tandis que d’autres seraient des vétérans d’Afghanistan ayant combattu sous le commandement d’Abou Moussab Al Zarqawi. La plupart de ses combattants seraient des Palestiniens « takfiristes », c’est-à-dire en guerre contre les autres religions et les non-croyants. Jounoud Al Cham serait responsable d’un attentant en 2004 à Beyrouth qui a tué un responsable du Hezbollah.
Depuis plusieurs années, il tente de prendre le contrôle du camp palestinien d’Ayn El Hilwé situé à proximité de la ville de Sayda. En 2005, le groupe fait parler de lui pour ses accrochages quotidiens avec l’armée syrienne. Jounoud al-Sham se trouve sur la liste des organisations terroristes émise par la Russie. Il n’est pas sur la liste des organisations terroristes étrangères du Département d’Etat nord-américain. (4)
Ousbat Al Ansar (Ligue des partisans)
Présent sur la liste des organisations terroristes, Ousbat al-Ansar lutte pour « l’établissement d’un Etat sunnite radical au Liban ». Connu pour ses expéditions punitives contre tous les musulmans « déviants », Ousbat al-Ansar fait assassiner des personnalités sunnites comme le cheikh Nizar Halabi. Il fait également plastiquer des établissements publics jugés impies : salles de théâtre, restaurants, discothèques…
En janvier 2000, il attaque à coups de roquettes l’ambassade de Russie à Beyrouth. Héritier du groupe de Dinniyeh, il infiltre le camp palestinien d’Ayn El Hilwé dans le Sud du Liban. Lorsqu’en septembre 2002, je visitai les camps palestiniens du Liban, l’inquiétude des résistants palestiniens était palpable. Nombre d’entre eux avaient été tués lors de tentatives de prises de contrôles par ce groupe réputé proche d’Al Qaïda. En 2003, quelque 200 membres d’Ousbat Al Ansar attaquèrent les locaux du Fatah, le mouvement palestinien de Yasser Arafat. Il y eut huit morts dont six membres du Fatah.
Le mythe de l’ASL
Il faut le reconnaître : les chasseurs de dictateurs qui peuplent les rédactions des grands organes de presse sont passés maître dans l’art du camouflage quand il s’agit de présenter des « résistants » qui servent les intérêts de leur camp. En véritables chirurgiens esthétiques, ils vous transforment l’Armée syrienne libre (ASL) en mouvement de résistance démocratique brave et sympathique composé de déserteurs humanistes dégoûtés par les atrocités commises par l’armée syrienne. Il n’y a aucun doute que l’armée du régime baassiste ne fait pas dans la dentelle et commet d’impardonnables exactions contre des civils, qu’ils soient terroristes, manifestants pacifistes ou simples citoyens pris entre deux feux. A ce sujet, les médias mainstream nous abreuvent ad nauseam de crimes imputés aux troupes syriennes parfois à raison mais le plus souvent à tort. Car en termes de cruauté, l’ASL ne vaut pas vraiment mieux. Seuls quelques rares journalistes comme le néerlandais Jan Eikelboom osent montrer l’envers du décor, celui d’une ASL sadique et crapuleuse.
La correspondante à Beyrouth du Spiegel, Ulrike Putz vient, elle aussi, d’égratigner la réputation de l’ASL. Dans une interview mise en ligne sur le site de l’hebdo allemand, Ulrike Putz a mis en lumière l’existence d’une « brigade d’enterrement » chargée d’exécuter les ennemis de leur sinistre révolution à Baba Amr, le quartier insurgé de Homs repris par l’armée syrienne. (5) L’égorgeur interrogé par Der Spiegel attribue 200 à 250 exécutions à sa brigade des croque-morts, soit près de 3% du bilan total des victimes de la guerre civile syrienne depuis un an. Du côté des institutions humanitaires, il a fallu attendre la date fatidique du 20 mars 2012 pour qu’une éminente ONG, à savoir Human Rights Watch, dont la traduction signifie bien « guetteur des droits de l’homme » reconnaisse enfin les tortures, exécutions et mutilations commises par les groupes armés opposés au régime syrien. Après 11 mois de terrorisme insurgé… A la bonne heure ô infaillible sentinelle ! « Sah Al Naum », comme on dit en arabe à quelqu’un qui se réveille.
Passons à une autre info qui écorne un peu plus la renommée de l’Armée syrienne libre et leurs appuis atlantistes. D’après des sources diplomatiques et militaires, l’ASL, cette armée dite de « déserteurs » manquerait d’effectifs militaires. Pour pallier cette pénurie de combattants, l’ASL enrôlerait des salafistes à tour de bras. C’est le cas du bataillon Al Farouq de l’ASL qui s’était rendu célèbre par ses enlèvements d’ingénieurs civils et de pèlerins iraniens, par ces tortures et ces exécutions sommaires. La difficulté de recruter des conscrits est somme toute fort logique puisqu’un déserteur est par définition un homme qui abandonne le combat. Déserter signifie quitter la guerre.
Dans le cas syrien, de nombreux déserteurs se constituent réfugiés et quittent le pays. La propagande de guerre occidentale affirme que s’ils quittent l’armée ou ne répondent pas aux appels sous les drapeaux, c’est parce qu’ils refusent de tuer des manifestants pacifiques. En réalité, ces jeunes recrues craignent autant de tuer que de mourir. Ils affrontent un ennemi invisible rompu aux techniques de guérilla, qui tire aveuglément sur des pro et des anti-régime et qui n’hésite pas à liquider ses prisonniers selon un rituel sordide de décapitation et de dépeçage.
La terreur qu’inspirent les groupes armés dissuade légitimement de nombreux jeunes de risquer leur vie en circulant en uniforme. Alors, ils choisissent de quitter l’armée et le pays.
Par exemple, les déserteurs kurdes syriens se réfugient dans la région autonome du Kurdistan irakien. A Erbil surtout, dans un quartier peuplé de Kurdes syriens que l’on surnomme « le petit Qamishli ». D’autres rejoignent les camps de réfugiés d’Irak, du Liban, de la Turquie ou de la Jordanie. Le terme de « déserteur » servant à désigner les militaires qui ont fait défection pour rejoindre le camp adverse et tirer sur leurs anciens camarades est donc inapproprié. Il serait plus correct de parler de transfuges.
Voici une analyse de Maghreb Intelligence, une agence que l’on ne peut soupçonner de collusions avec le régime de Damas et qui appuie la thèse de la démobilisation des jeunes appelés, de la faiblesse de l’ASL et de la présence de salafistes armés sur le champ de bataille :
D’après un rapport émanant d’une ambassade européenne à Damas et corroboré par des enquêtes menées par des centres de recherches français à la frontière turque, l’Armée Libre Syrienne -ALS- ne compterait en tout et pour tout que quelque 3000 combattants. Ils sont pour la plupart armés de fusils de chasse, de Kalachnikov et de mortiers de fabrication chinoise provenant d’Irak et du Liban.
D’après ce rapport, l’ALS n’a pas pu enrôler la majorité des 20 milles militaires qui auraient déserté l’armée de Bachar Al Assad. D’ailleurs, l’ALS est particulièrement présente dans les camps de réfugiés établis sur le territoire turc. A Hama, Deraa et Idlib ce sont davantage des groupes armés salafistes qui donnent la réplique à l’armée syrienne. Ces salafistes, particulièrement violents et déterminés, proviennent dans leur grande majorité de la mouvance sunnite radicale active au Liban. (6)
A part le fait d’être impitoyable, infiltrée par des groupes sectaires et en manque d’effectifs, l’Armée syrienne libre est désorganisée. Elle n’est pas chapeautée par une direction centrale et unifiée. (7)
De nombreuses indications, notamment les saisies d’armes réalisées à divers postes-frontières du pays, montrent que l’ASL reçoit des armes de l’étranger et ce, depuis le début de l’insurrection, ce que l’ASL démentait avant de demander ouvertement une intervention militaire étrangère sous forme de bombardements, d’appui logistique ou de création de zones-tampons. Au début de son insurrection, le groupe armé dissident ne voulait visiblement pas donner l’image d’une cinquième colonne agissant pour des forces étrangères ni compromettre ces généreux mécènes que l’on devine.
On se souviendra que dans le documentaire depropagande anti-Bachar réalisé par Sofia Amara*, intitulé « Syrie : Permis de tuer » et diffusé sur la chaîne franco-allemande Arte en octobre 2011, un soldat de l’ASL est sur le point de révéler ses fournisseurs étrangers quand son supérieur le somme de se taire.
Le front jordanien
L’allégeance de la monarchie hachémite à Washington et Tel-Aviv relève du lieu commun. Pour satisfaire ses alliés, la Jordanie a d’ailleurs été le premier régime arabe à appeler Bachar El-Assad à quitter le pouvoir. Le 22 février 2012, le correspondant du Figaro, Georges Malbrunot révélait que la Jordanie avait acheté à l’Allemagne quatre batteries anti-missiles Patriot américains « pour protéger Israël contre d’éventuelles attaques aériennes menées depuis la Syrie. » (8) Ces missiles devraient être installés à Irbid, non loin de la frontière syrienne.
Déjà en 1981, la monarchie sécuritaire alliée des Etats-Unis avait laissé faire l’aviation israélienne qui avait violé son espace aérien pour aller bombarder le réacteur nucléaire irakien d’Osirak.
En politique intérieure, la Jordanie n’affiche pas une posture plus progressiste. Ainsi, des décennies durant, Amman a encouragé les Frères musulmans selon un calcul politique motivé par le souci d’éradiquer l’ennemi principal, à savoir l’opposition de gauche laïque (communiste, baathiste et nassérienne). Selon M. Abdel Latif Arabiyat, ancien ministre et ex-porte-parole du Parlement jordanien : « La confrérie n’était pas une organisation révolutionnaire, elle prônait la stabilité. Avec la montée en puissance des partis nationalistes et de gauche, nous avons conclu une alliance officieuse avec les autorités » (9). En 1970, les Frères musulmans se rangèrent du côté de la monarchie lorsque le roi Hussein ordonna l’écrasement des fédayins palestiniens. Motus donc de la part des Frères musulmans devant le massacre dit du « Septembre noir » dans lequel près de vingt mille Palestiniens ont été massacrés. De cette stratégie d’instrumentalisation des Frères musulmans jordaniens, ce sont finalement ces derniers qui sont sortis vainqueurs puisqu’ils représentent aujourd’hui le principal mouvement d’opposition du pays. Pour le royaume hachémite, les Frères musulmans constituaient un moindre mal à la fois par rapport à la gauche mais aussi par rapport aux mouvements djihadistes. Ce mariage de raison n’a pas tenu longtemps. Et finalement, la monarchie se vit contrainte de réprimer un mouvement devenu trop puissant. Entretemps, la Jordanie subit plusieurs attentats terroristes. En 2005, ce sont des hôtels de la capitale Amman qui furent visés par des groupes salafistes. Abou Moussab Al Zarqawi, l’ancien chef d’Al Qaïda en Irak, est lui-même originaire de Zarqa, une ville jordanienne située au Nord-est d’ Amman. La révolte syrienne contre le régime ayant éclaté à Deraa, une ville méridionale proche de la frontière jordanienne, elle a éveillé l’appétit de conquête du courant djihadiste basé en Jordanie qui s’était essoufflé suite aux nombreuses pertes essuyées dans les rangs d’Al Qaïda. On y trouve entre autres la Brigade Tawhid, une petite armée djihadiste formée de plusieurs dizaines de combattants naguère actifs au sein du Fatah Al-Islam et s’infiltrant en Syrie pour attaquer l’armée gouvernementale. (10) Le portail d’info libéral jordanien Al Bawaba révèle que la ville frontalière de Ramtha accueille des mercenaires libyens payés par l’Arabie saoudite et le Qatar.
Par ailleurs, étant situé entre la Syrie et l’Arabie saoudite, le royaume hachémite est un passage obligé pour tous les djihadistes, les instructeurs et les convois militaires envoyés par Riyad.
Le front saoudien
A l’instar du royaume hachémite, la fidélité de la dynastie Saoud à l’Oncle Sam n’est un secret pour personne et ce depuis le Pacte du Quincy signé sur le croiseur américain du même nom entre Roosevelt et Abdelaziz Ben Saoud en février 1945. Cet accord allait permettre aux Etats-Unis de s’assurer un approvisionnement énergétique sans entrave moyennant une protection de son vassal face à leurs adversaires régionaux communs, notamment le nationalisme arabe et l’Iran dont certains territoires passaient sous influence soviétique. Lorsque la crise syrienne éclata, Etats-Unis et Arabie saoudite fêtaient leurs noces de jasmin pour leurs 66 années de vie commune en scellant le plus grand contrat d’armement de l’histoire : 90 milliards de dollars, impliquant la modernisation de la flotte aérienne et de la marine saoudiennes.
On s’en doutera, l’Etat wahhabite ne pouvait rester les bras croisés face aux événements qui secouent la Syrie, un pays phare du nationalisme arabe et de surcroît, ami de l’Iran, son ennemi juré.
Riyad alimente le terrorisme anti-syrien sous diverses formes : diplomatique, économique, religieux, logistique et bien sûr militaire.
La Maison des Saoud parraine les djihadistes actifs en Syrie en les encourageant par le biais de ses propagandistes attitrés à mettre le pays à feu et à sang.
Par exemple, après avoir autorisé le djihad en Libye et appelé à l’élimination de Mouammar Kaddhafi, l’une des plus grandes autorités juridiques et fatalement religieuses du pays, le Cheikh Saleh Al Luhaydan s’est dit favorable à l’extermination d’un tiers des Syriens pour en sauver les deux tiers.
Sur la chaîne télévisée saoudienne Al-Arabiya TV, le prédicateur Aidh Al-Qarni a déclaré que « Tuer Bachar est plus important que tuer des Israéliens ». (11)
C’est depuis Riyad et via la chaîne Wessal TV qu’Adnan Al Arour appelle à hacher les alaouites et à donner leur chair aux chiens.
Les récentes déclarations christianophobes du Cheikh Abdul Aziz bin Abdullah, rapportées par Arabian Business, ne vont sans doute pas rassurer les chrétiens de Syrie : s’appuyant sur un hadith décrivant le prophète Mahomet sur son lit de mort, déclarant qu’il « ne devrait pas y avoir deux religions dans la péninsule arabique », le cheikh saoudien Abdullah qui n’est autre la plus grande autorité wahhabite au monde, en a déduit qu’il fallait détruire « toutes les églises de la région ». Les chrétiens de Syrie en proie à la haine religieuse, trouvent dans cette déclaration, une raison de plus pour soutenir Bachar el-Assad.
Nombreux sont les citoyens syriens hostiles au régime de Bachar el-Assad qui s’inquiètent du parrainage de leur mouvement démocratique par une théocratie qui décapite encore des femmes pour sorcellerie, qui torture ses opposants politiques dans les prisons et qui ne connaît ni Parlement ni élection.
Sous le soleil de Riyad, il y a aussi Bandar que l’on ne présente plus. Son rôle trouble dans les attentats de Londres, le financement de groupes salafistes armés revendiqué par l’intéressé, ses collusions avec le Mossad, sa haine du Hezbollah, de la Syrie et de l’Iran font du prince saoudien Bandar Ben Sultan, secrétaire-général du Conseil national de sécurité, une pièce maîtresse du plan de destruction de la Syrie laïque, multiconfessionnelle, souveraine et insoumise.
Il n’y a donc pas vraiment de quoi s’étonner lorsque la dictature saoudienne s’engage aux côtés de son voisin et concurrent qatari, à verser les salaires des mercenaires antisyriens lors de la réunion des « amis de la Syrie » à Istanbul.
Le front qatari
Le Qatar, c’est avant tout, une gigantesque base militaire US, la plus grande qui se trouve en dehors des Etats-Unis. Et puis, accessoirement, c’est le royaume d’un petit émir médiocre, fourbe et cupide. Dans son royaume, il n’y a ni Parlement, ni Constitution, ni partis, ni élections. En 1995, il organise un coup d’Etat contre son propre père. A peine arrivé au pouvoir, le pétromonarque putschiste se lance dans un vaste programme de partenariat économique avec l’Etat sioniste prévoyant notamment la commercialisation du gaz qatari en Israël. En 2003, l’émir du Qatar autorise l’administration Bush à se servir de son territoire pour lancer l’assaut sur l’Irak. Avec le reste de sa famille, il contrôle l’ensemble de la vie économique, politique, militaire et culturelle du pays. La célèbre chaîne télévisée Al Jazeera est son joujou personnel. En peu de temps, il en a fait une puissante arme depropagande anti-syrienne. Grâce aux bidonnages d’Al Jazeera, la CIA et le Mossad peuvent s’offrir des vacances. Le nom de sa Majesté : Hamad Ben Khalifa al Thani. Le printemps arabe ? Il en est le principal bâilleur de fonds. Car pour lui, tout s’achète : le sport, l’art, la culture, la presse et même la foi. Alors, vous pensez bien, une révolution…
L’année dernière, l’émir Hamad envoya 5.000 commandos pour appuyer la rébellion djihadiste contre la Libye souveraine. A présent, son nouveau jeu de casino, c’est la Syrie et les rebelles de ce pays, des jetons de mise. Lorsque ces derniers subissent un revers de la part de l’armée arabe syrienne, il hurle au génocide. Hamad et sa clique, c’est l’hôpital qui se moque de la charité. Et à propos de charité, il a justement embauché un prédateur notoire de la paix et de la démocratie, le cheikh Al Qardawi, histoire d’islamiser le message de la chaîne. Mais malgré ses dollars et ses campagnes de mobilisation contre la Syrie, Al Jazeera est une armée en déroute.
Les coulées de désinformation qui se déversent à propos de la Syrie depuis les studios de la chaîne ont entraîné la démission de ses plus grandes vedettes. De Wadah Khanfar à Ghassan Ben Jeddo, de Louna Chebel à Eman Ayad, Al Jazeera a subi d’importantes défections qui passent inaperçues dans la presse occidentale.
En mars 2012, Ali Hachem et deux de ses collègues quittent eux aussi le navire de la piraterie informative qatarie. Certains des courriels d’Ali Hachem fuités font état de mesures de censure prises par Al Jazeera concernant des images de combattants anti-Bachar s’infiltrant en Syrie depuis le Liban qui datent d’avril 2011. Ces images font donc remonter la présence d’une opposition armée de type terroriste aux débuts du « printemps syrien ». Leur publication aurait fait voler en éclats l’imposture selon laquelle le mouvement anti-Bachar ne se serait radicalisé qu’à la fin de l’année 2011, une thèse reprise en chœur par toutes les chancelleries occidentales.
En dépit de ces scandales à répétition, « nos » médias continuent de considérer Al Jazeera comme une source fiable et son patron, l’émir Hamad, comme un apôtre de la démocratie syrienne.
Le front irakien
L’invasion de l’Irak par les troupes américano-britannique en mars 2003 a joué un rôle crucial dans l’augmentation du nombre de djihadistes syriens. Les poste-frontières comme Bou Kamal sont devenues des points de passage pour les djihadistes syriens allant combattre les forces d’occupation en Irak. Nombre de Syriens ont été grossir les rangs des bataillons d’Abou Moussab al-Zarqawi. Depuis l’été 2011, le processus s’est visiblement inversé puisque désormais, les militants sunnites irakiens franchissent la frontière pour aller combattre les troupes syriennes.
Al Qaida
La branche irakienne d’Al Qaida appelée Tanzim Qaidat al-Jihad fi Bilad al-Rafidayn (Organisation de la base du Jihad au Pays des deux fleuves) comptait de nombreuses recrues syriennes. On dit que 13% des volontaires arabes en Irak étaient syriens. (12) Leur terreur fut à l’égal de leur réputation. Al Qaida causa de tels dégâts au sein de la résistance irakienne sunnite que ces derniers durent se résigner à ouvrir un front anti-Al Qaida. En 2006, un Conseil de secours d’Anbar regroupant la majorité des clans et tribus de la province rebelle vit le jour. Son but était de nettoyer la province des terroristes d’Al Qaida. (13) A Falloujah et à Qaim, les chefs de tribus qui initialement ouvrirent les bras à la bande à Zarqawi finirent par retourner leurs armes. Pour avoir déclaré la guerre à Al Qaida, ils reçurent même le soutien du gouvernement irakien. La terreur aveugle d’Al Qaida a ainsi grandement neutralisé la résistance patriotique irakienne. Tous ces vétérans de la guerre contre les Américains mais aussi contre l’Iran, les chiites et les patriotes sunnites irakiens ont trouvé un nouveau salut dans la guerre contre le régime de Damas.
De décembre 2011 à mars 2012, les villes de Damas, Alep et Deraa ont été la cible de plusieurs attentats suicides ou à la voiture piégée faisant des dizaines de morts et de blessés. Ces attaques ont été revendiquées par Al Qaida ou attribuées à l’organisation takfiriste par les autorités syriennes et les experts internationaux en anti-terrorisme qui confirment l’infiltration de terroristes depuis l’Irak.
Jabhat Al-Nusra Li-Ahl al-Sham (Front de soutien à la population du Levant)
Le 24 janvier dernier, ce groupe a annoncé son apparition dans divers forums islamistes. Mais ce nom à rallonge semble être un diminutif de Jabhat Al Nusra li Ahl Al Sham min Mujahideen al Sham fi Sahat al Jihad ou Front de soutien à la population du Levant par les Moudjahidines de Syrie dans les lieux du Jihad.
D’après les experts en terrorisme, l’expression « Lieux du Djihad » suggère que les membres de ce groupe mènent leur guerre sainte sur d’autres fronts comme l’Irak. C’est d’ailleurs ce que révèle le leader du groupe Abou Mohammed al Julani dans une vidéo mise en ligne au milieu du mois de mars. Al Julani signifie le Golanais, référence syrienne explicite. Comme tous les groupes terroristes, Jabhat Al Nusra dispose d’un organe de presse : Al Manara al Bayda, le phare blanc. (14)
Jabhat Al Nusra reçoit l’appui d’un cyber-salafiste éminent dénommé Abou Moundhir al Shanqiti. Ce dernier a émis une fatwa appelant les musulmans à se ranger dans le camp de ceux qui élèvent le drapeau de la charia en Syrie.
Le front turc
En Turquie, pays membre de l’OTAN depuis 60 ans qui accueillera bientôt le bouclier anti-missile, c’est l’Armée syrienne libre qui tient le haut du pavé. Son chef présumé, Riyad Al Assaad est hébergé dans la province turque anciennement syrienne du Hatay et bénéficie de la protection directe du ministère des affaires étrangères. La Turquie est comme chacun sait l’un des plus ardents ennemis du régime de Damas. Craignant de « passer pour des impérialistes », les forces de l’OTAN poussent Ankara à franchir le Rubicon ou disons l’Oronte en la circonstance, dans la guerre contre la Syrie.
De nombreuses sources font état d’un axe Tripoli-Ankara dans la guerre contre Damas. Un trafiquant d’armes libyen évoque l’achat d’équipements militaires légers par des Syriens à Misrata (15). L’ex-officier de la CIA et directeur du Conseil de l’intérêt national US Philip Giraldi parle carrément d’un transport aérien de l’arsenal de l’ex-armée libyenne vers la Syrie via la base militaire américaine d’Incirlik située dans le sud de la Turquie à moins de 180 km de la frontière syrienne. Il affirme que l’OTAN est déjà clandestinement engagée dans le conflit syrien sous direction turque.
Giraldi confirme aussi l’information parue en novembre dernier dans le Canard enchaîné, à savoir que des forces spéciales françaises et britanniques assistent les rebelles syriens tandis que la CIA et les Forces spéciales US leur fournissent des équipements de communications et d’espionnage.
Un autre ex-agent de la CIA, Robert Baer, dont les mémoires (16) ont inspiré le film Syriana de Stephen Gaghan avec George Clooney en tête d’affiche, a déclaré à l’été 2011 que des armes sont envoyées aux rebelles syriens depuis la Turquie. (17)
Sibel Edmonds, cette interprète de la FBI censurée pour avoir dénoncé des abus commis par les services de renseignement américains, affirme que la livraison d’armes aux rebelles syriens est assurée par les Etats-Unis depuis mai 2011. Les Etats-Unis auraient également installé en Turquie une « division de communication » dont la mission est de convaincre les soldats de l’armée syrienne à rejoindre la rébellion. (18)
L’implication des mercenaires libyens ne serait pas uniquement logistique. Selon plusieurs témoins oculaires dont un reporter du quotidien espagnol ABC, des djihadistes libyens, dont certains membres du Groupe islamique combattant libyen (GICL) sont concentrés aux frontières syro-turques. (19)
Dans la région majoritairement arabophone d’Antioche en Turquie qui jouxte la Syrie, la population locale croise un nombre exceptionnellement élevé de Libyens. Occupant les plus luxueux hôtels de la région, ils ne passent pas inaperçus. Certains de ces Libyens multiplient les actes de vandalisme dans certaines zones touristiques comme à Antalya. Des miliciens libyens séjournant en Turquie ont plusieurs fois attaqué et occupé leur ambassade à Istanbul pour réclamer leur solde. A ce tableau étrange vient s’ajouter l’arrestation d’un Libyen de 33 ans à l’aéroport d’Istanbul en possession de 2,5 millions de dollars. Le 1er avril, ce Libyen faisait escale à Istanbul. Sa destination finale : la Jordanie, un pays où l’on signale un grand nombre de mercenaires libyens massés à la frontière syrienne. Tiens, tiens… (20)
Et les USA dans tout ça ?
Comte tenu des allégations de certains agents de la CIA concernant l’implication US dans la déstabilisation de la Syrie, est-il raisonnable de croire que l’administration Obama serait indifférente voire complaisante à l’égard d’un pays qui figure pourtant dans la liste des « Etats voyous » pour son soutien à la résistance palestinienne et son alliance stratégique avec le Hezbollah et l’Iran ?
La Syrie est à ce titre cité parmi les sept pays contre lequel « l’utilisation de l’arme nucléaire est envisageable ». A ceux qui croient en l’inaction des forces occidentales en Syrie et à leur bonne foi dans leur défense des civils syriens, il convient de leur rappeler qu’il y a un an, l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) sous commandement américain jurait par tous les saints vouloir agir par « responsabilité de protéger » le peuple libyen et promettait de s’en tenir à la résolution 1973 du Conseil de sécurité des Nations Unies afin d’ « empêcher le dictateur Kadhafi de bombarder sa population » et que, subitement, la protection des citoyens libyens s’est muée en engagement militaire dans une guerre civile, en coup d’état, en attentats ciblés et en bombardements aveugles.
On se souviendra aussi qu’après avoir anéanti la ville libyenne de Syrte où le dirigeant libyen s’était retranché, les forces de l’OTAN le livrèrent en pâtures à des bandes criminelles qui le torturèrent à mort. Cette sordide exécution avait été facilitée par les USA et l’OTAN puisqu’ils ont préalablement traqué et bombardé son convoi. Pourtant, Andres Fogg Rasmussen et ses comparses qui se félicitèrent de la mort de Kadhafi répétèrent des mois durant que le dirigeant libyen n’était pas leur cible.
La cynique stratégie des USA et de l’OTAN en Libye qui consistait à « ne pas dire ce que l’on fait et ne pas faire ce que l’on dit » est manifestement celle qui a été choisie pour la Syrie.
En effet, officiellement, l’OTAN n’a pas l’intention d’intervenir dans ce pays. Rasmussen a même rappelé que son organisation n’armera pas les rebelles. Pourtant, certains courriers électroniques de l’agence de renseignement privée américaine Stratfor révélés par WikiLeaks le 27 février dernier indiquent la présence de forces spéciales occidentales en Syrie.
Le compte-rendu d’une réunion, daté du 6 décembre 2011, sous-entend que des forces spéciales auraient été présentes sur le terrain dès la fin de l’année 2011. A ce propos, le courriel du directeur d’analyse de Stratfor Reva Bhalla est sans équivoque. (21) Il est question d’une réunion regroupant « quatre gars, niveau lieutenant colonel dont un représentant français et un britannique » :
Au cours d’un entretien qui dura près de deux heures, ils auraient insinué que des équipes des Forces spéciales étaient déjà sur le terrain, travaillant à des missions de reconnaissance et à l’entraînement des forces de l’opposition.
Les stratèges occidentaux réunis aux Etats-Unis sembleraient rejeter l’hypothèse d’une opération aérienne sur le modèle libyen et privilégier l’option d’une guerre d’usure sous forme d’attaques de guérilla et de campagnes d’assassinat afin « provoquer un effondrement de l’intérieur. »
Ils auraient jugé la situation syrienne beaucoup plus complexe que celle de la Libye et le système de défense syrien trop performant, surtout ses missiles sol-air SA-17 disposés autour de Damas et le long des frontières israélienne et turque. En cas d’attaque aérienne, l’opération serait conduite depuis les bases de l’Otan à Chypre, conclut l’agence Stratfor.
Si jusqu’à présent, les Etats-Unis n’ont pas envoyé leurs bombardiers sur Damas, ce n’est donc pas parce que le maintien du régime syrien les arrange mais parce que ce régime n’est pas une bouchée facile. En apportant leur appui aux groupes armés, les USA se rendent néanmoins complices des massacres en Syrie.
L’OTAN et les Etats-Unis viennent ainsi compléter la très sympathique photo de famille du terrorisme anti-syrien aux côtés des monarchies du Golfe, des mercenaires libyens, des propagandistes salafistes et d’Al Qaida.
Conclusions
Le terrorisme anti-syrien est une réalité qui crève les yeux au sens propre comme au sens figuré. Son apparition est antérieure au printemps arabe. Durant les années 70 et 80, les Frères musulmans syriens en furent les principaux acteurs. Après avoir mis le pays à feu et à sang, ils furent écrasés par l’armée syrienne principalement à Hama en 1982. La dictature baassiste misa sur des moyens militaires pour éradiquer ce fléau mais comme bien souvent, la répression a au contraire eu pour effet d’ajourner voire d’amplifier la menace.
Avec le retrait syrien du Liban en 2005, les mouvements djihadistes se sont implantés et renforcés dans la région libanaise de Tripoli puis dans les camps palestiniens du pays du Cèdre. Ils y ont retrouvé une nouvelle jeunesse et l’occasion de prendre leur revanche sur le régime baassiste en lançant des attaques en territoire syrien. Puis ils ont connu une troisième renaissance avec le printemps syrien de mars 2011.
Composés de toutes les nationalités qui peuplent la région, les courants djihadistes anti-syriens affichent un antinationalisme radical qui ne reconnaît aucune limite territoriale. Ils ne peuvent donc être associés strictement à un seul pays de la région. On trouve ainsi dans leurs rangs des Saoudiens, des Maghrébins, des Jordaniens, des Libyens, mais aussi de nombreux Palestiniens ultraconservateurs qui rejettent l’idée de lutte de libération nationale en Palestine à la faveur d’une stratégie de guerre de religions « contre les Juifs et les Croisés ».
Ces groupes politico-militaires ont causé des dommages significatifs à de nombreux mouvements de libération ainsi qu’à tous les gouvernements nationalistes arabes. En Irak par exemple, les militants d’Al Qaida ont farouchement combattu la résistance sunnite qui pourtant luttait contre les troupes américaines.
Aujourd’hui, les gouvernements libanais et irakien, alliés objectifs du régime syrien et en proie à ces mêmes groupes armés, tentent de bloquer le passage des djihadistes vers la Syrie.
Mais la connaissance du terrain de ces derniers disposant d’un soutien logistique sophistiqué de la part de l’OTAN et de ses alliés du Golfe rend ses frontières poreuses. Par exemple, certaines tribus sunnites transfrontalières, naguère en lutte contre les troupes d’occupation américaines et contre les chiites et aujourd’hui hostiles au régime de Damas pour des motifs essentiellement sectaires, acheminent armes, équipements et combattants depuis la province irakienne d’Anbar vers le district syrien de Deir Ez-Zor.
L’OTAN est donc bel et bien militairement engagée en Syrie par l’intermédiaire de ses alliés arabes mais aussi et surtout par le biais de la Turquie qui, selon les propres déclarations du premier ministre Recep Tayyip Erdogan, est un acteur clé dans la réalisation du Projet américain du Grand Moyen-Orient, un plan qui vise à abattre les dernières poches de résistance anti-US de la région.
Eviter de comparer les scènes de destruction, de massacres et de désolation qui nous parviennent de Syrie avec la guerre civile algérienne des années 90 devient de plus en plus difficile. D’autant que la Syrie et l’Algérie, pays phare du nationalisme arabe, sont tous deux dotés de gouvernements politico-militaires issus d’une guerre de libération contre la France coloniale et sont tous deux confrontés à un terrorisme d’un même genre. Les djihadistes algériens étaient des vétérans d’Afghanistan qui avaient combattu les troupes soviétiques alors que les djihadistes aujourd’hui actifs en Syrie ont fait leurs armes sur les fronts irakien, afghan ou libyen.
Dans l’Algérie des années 90 comme dans la Syrie de 2012, les groupes terroristes procèdent à un nettoyage ethnique, idéologique et confessionnel méthodique. Une différence de taille tout de même entre les deux pays : s’il demeure une menace, le terrorisme algérien a malgré tout pu en grande partie être neutralisé grâce à des moyens politiques basés sur le dialogue et la réconciliation. L’un des architectes de la paix algérienne fut Ahmed Ben Bella, héros révolutionnaire et premier président de l’Algérie indépendante. Il nous a quittés le 11 avril dernier. Osons espérer que la Syrie trouvera son Ahmed Ben Bella.
Bahar Kimyongür, auteur de Syriana, la conquête continue, Ed. Couleur Livres et Investig’action, 2011
Sources
- Avec un bémol : le président de la République doit obligatoirement être musulman. Cet article de la Constitution a été maintenu malgré la nouvelle réforme pour ne pas s’aliéner la majorité musulmane du pays.
- A propos du mensonge sur l’appartenance religieuse du cheikh Hassoune, voir Envoyé Spécial, 19 janvier 2012. A propos d’Ali Mamlouk, voir Le Figaro, 31 juillet 2011
- Sunday Telegraph, 29 octobre 2011
- Voir U.S. Department of State, Foreign Terrorist Organizations, 27 janvier 2012
- Ulrike Putz, The Burial Brigade of Homs in Der Spiegel, 29 mars 2012
- Maghreb Intelligence, 17 février 2012
- Nir Rosen, Al Jazeera online, 13 février 2012
- Georges Malbrunot, Le Figaro, 22 février 2011
- Vicken Cheterian, Le Monde diplomatique, mai 2010
- David Enders, McClatchy Newspapers, 1er avril 2012
- Sabq (journal saoudien en ligne), 26 février 2012
- The Jamestown Foundation, Terrorism Monitor, 2 décembre 2005
- Peter Beaumont, The Guardian, 3 octobre 2006
- Ayfer Erkul, De Morgen, 20 mars 2012
- Ruth Sherlock, The Telegraph, 25 novembre 2011
- Robert Baer, La chute de la CIA : les mémoires d’un guerrier de l’ombre sur les fronts de l’islamisme (trad. Daniel Roche de See not evil, Three Rivers Press, New York, 2001) collection Folio documents, Ed. Gallimard, 2002
- Hürriyet, 8 mars 2012
- Interview de Sibel Edmonds, Russia Today, 16 décembre 2011
- Daniel Iriarte, Islamistas libios se deplazan a Siria para « ayudar » a la revolucion, 17 décembre 2011
- Milliyet, 2 avril 2012
- Russia Today, 6 mars 2012
Source de la photo: etat-du-monde-etat-d-etre.net