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Lecture du Projet de Constitution russe pour la Syrie sous l’angle des objectifs de la guerre



Hayat al-Hweik

Jeudi 9 février 2017

Sous la plume du journaliste Elie Hanna, le quotidien Al-Akhbar a publié ce 7 février un article intitulé : « Texte intégral du Projet de Constitution de Moscou … et les remarques de Damas » [1], sans préciser de qui sont les annotations manuscrites sur le document PDF joint à l’article [2].

L’auteur précise que ce document est en possession d’Al-Akhbar depuis dix mois, et que si le quotidien n’en a publié que quelques extraits jusqu’ici, c’est « en quelque sorte » à cause des démentis et des critiques ayant fusé de toutes parts. Il explique qu’à l’époque, le quotidien n’avait cherché qu’à dévoiler les intentions « négatives » concernant l’avenir de la Syrie, car il était impossible de rester neutre face à n’importe quel projet de partition ou de « libanisation » de la Syrie pour satisfaire un projet colonial taillé sur des mesures confessionnelles ou ethniques, au nom de la prétendue « protection des minorités » et d’autres calculs ou intérêts étrangers. Il ajoute que si le quotidien publie aujourd’hui le document original dans son intégralité avec les amendements « syriens », c’est pour le soumettre à la réflexion de l’opinion publique.

À savoir que dès le 25 janvier dernier, ce document, non annoté, circulait sur plusieurs sites et qu’il a été présenté par la Russie aux chefs des factions armées présents à la Réunion d’Astana les 23 et 24 janvier, lesquels auraient refusé d’en accuser réception.

Nombre d’articles réagissant avec plus ou moins de colère, d’indignation ou de déception ont été publiés dans la presse locale et régionale en réaction à ce projet de Constitution, certains affirmant qu’il est absolument inapplicable.

Document authentique correctement traduit ? Propositions faites, comme il se dit, pour pousser les Syriens à s’engager dans le processus politique, ou propositions sérieuses de la Russie en faveur des ennemis de la Syrie ? Il nous est difficile d’imaginer que la Russie puisse se trahir elle-même, trahir les principes qu’elle défend et qui la défendent, avant de trahir les Syriens et ce, sur toute la ligne.

Oui, il est difficile d’imaginer qu’alors que les soldats russes se dépensent à aider les habitants d’Alep, encore une fois privés d’eau et d’électricité avec de grandes difficultés d’approvisionnement en mazout, depuis mi-janvier par un temps particulièrement glacial, la Russie s’emploierait à favoriser le retour masqué de leurs pires ennemis.

Voici une lecture de ce projet de Constitution russe par Mme Hayat al-Hweik [ici], publiée le 25 janvier sur le site Mayssaloon News, quotidien libanais des progressistes arabes [NdT]. Elle a le mérite de mettre certains points sur les « i ».

Étudiante en droit au Liban, nous étions fiers d’être les élèves de M. Edmond Rabbath [1902-1991], un géant du droit constitutionnel, né à Alep en Syrie. Rendue à Paris en 2004, j’ai pu constater qu’il était une référence fondamentale en la matière pour les étudiants de l’Université Paris 1-Sorbonne. Ceci, en sachant que cet expert internationalement reconnu était un grand parmi tant d’autres grands juristes arabes sortis de l’Université de Damas. Où sont-ils donc, pour que des experts russes proposent un projet de Constitution syrienne ?

Les Russes sont des alliés qui considèrent qu’ils ont protégé l’État syrien et qu’étant donné qu’ils sont l’une des quatre ou cinq grandes puissances de ce monde, ils ont le droit d’intervenir à ce sujet. D’un autre côté, les Iraniens estiment que ce sont eux qui ont protégé le régime syrien et qu’ils ont aussi le droit d’intervenir sur ce même sujet.

Mais l’Histoire écrira ce que nous savons tous, notamment, que c’est la résistance de Damas qui a ramené la Russie à sa position de force actuelle, que le prix de l’intervention russe est la réalisation de son rêve tenace d’atteindre les mers chaudes depuis Catherine II jusqu’à Vladimir Poutine, en passant par Staline, et que si Damas était tombée entre les mains des terroristes, ils seraient déjà rendus au Kremlin, vu le projet expansionniste déclaré du terrorisme international.

Quant aux Iraniens, ils savent parfaitement que sans la résistance de Damas, l’accord sur le nucléaire n’aurait pas été conclu et que l’Iran serait déjà assiégé aux niveaux régional et international.

Comme nous savons, qu’avant même l’agression militaire sur la Syrie, le pari historique était la pérennisation du système mondial unipolaire établi en 1990, par un nouvel ordre mondial régional et international.

Oui, les alliés de la Syrie l’ont soutenue, mais c’est l’Armée syrienne qui a offert son sang dans une lutte épique qui dure depuis six années, durant lesquelles la moitié du monde offrait toutes sortes d’appuis financier, militaire, logistique et médiatique aux organisations terroristes et aux politiciens ayant accumulé, dans diverses capitales, les fortunes reçues pour avoir vendu la Syrie.

Ceci étant dit, il nous faut dépasser ces précisions fondamentales pour nous intéresser à ce projet de Constitution en nous basant sur une question essentielle : « pourquoi cette guerre contre la Syrie ? ».

Abstraction faite de la propagande, cette guerre visait trois objectifs :

Le modèle social syrien qui ne revient pas aux Al-Assad, père et fils, mais à la Syrie historique multiethnique et multiconfessionnelle par une combinaison de multiples civilisations unifiées en une seule, depuis des milliers d’années, et confirmée par l’État moderne, quels que soient les reproches qu’on pourrait lui faire.

Le modèle économique syrien fondé sur l’organisation de la production nationale de sorte que la Syrie était devenue le seul pays arabe non endetté, bénéficiant d’une autosuffisance agricole et, à un moindre degré, d’une certaine autosuffisance industrielle. Le tout dans le cadre d’un système de justice sociale fournissant une protection générale dans les domaines essentiels et étroitement lié au principe de la souveraineté ; principe que la mondialisation exige de renverser par la force si nécessaire.

L’Armée arabe syrienne, la dernière armée arabe à abattre sur la liste d’Israël, depuis la neutralisation de l’Armée égyptienne pas encore suffisamment exsangue pour arrêter de la saigner, et la dissolution de l’Armée irakienne.

Partant de là, nous voyons que le projet de Constitution rédigé par la Russie répond aux attentes de trois catégories :

les partisans de la division sectaire et/ou ethnique et de la partition masquée ;

les partisans de l’économie néolibérale avec tout ce qu’elle implique comme conséquences sur la société ;

les partisans de l’affaiblissement de l’Armée syrienne, de ses effectifs, de sa doctrine et de son rôle.

Ceci étant dit, nombre de points méritent discussion

I. La question de ladite « Assemblée des régions » :

[Traduction de l’article 2;6 : Il est interdit à toute personne d’une autre nationalité que la nationalité syrienne d’être membre de l’Assemblée nationale, membre de l’Assemblée des régions, Président de la République, Premier ministre, vice-Premier ministre, ministre et membre de la Haute Cour constitutionnelle.][NdT].

À quoi correspond ladite Assemblée des régions, en l’absence de précisions sur sa formation tout le long du texte ? Certains pourraient dire qu’elle serait l’équivalent d’un Sénat ; l’Assemblée nationale étant désignée par l’« Assemblée du peuple » au lieu du terme « Majlis » en vigueur. Mais vu les prérogatives accordées à cette Assemblée des régions, elle détient le vrai pouvoir avec autant de présidents que de régions, ce qui n’est pas très loin d’une partition. [Prérogatives de l’Assemblée des régions : articles 41; 45; 46; 51; 53; 60; 61;63; 64… NdT].

D’autres pourraient dire qu’elle correspond à un système fédéral, lequel est effectivement pratiqué aux États-Unis, en Russie et dans plusieurs autres pays d’Europe ou d’Asie, mais la question est : l’un ou l’autre des gouvernements russe et américain, accepterait-il que la fédération soit construite sur des bases confessionnelle, religieuse ou ethnique ?

Sinon, il ne semble pas qu’elle corresponde à un État décentralisé ou à des zones géographiques soumises à l’État fédéral en ce qui concerne la Politique étrangère et la Défense, puisque des Gouvernorats avec des conseils locaux élus existent déjà en Syrie [au nombre de 14, NdT] et dont le fonctionnement pourrait être modifié, si besoin est.

À moins qu’il ne s’agisse de satisfaire les Kurdes, auquel cas c’est la porte ouverte à de violentes tempêtes dans un pays dont l’histoire millénaire a réuni diverses ethnies.

II. La question des langues :

À l’appui de cela, l’article concernant l’adoption de la langue kurde, auquel a été ajoutée la possibilité de l’adoption d’autres langues dans d’autres régions.

[Ici, traduction de l’article 4 dans sa totalité :

1. L’arabe est la langue officielle de l’État et l’usage de la langue officielle est précisé par la loi.

2. Les appareils de l’administration autonome culturelle kurde et ses organisations utilisent les deux langues arabe et kurde en tant que langues égales.

3. Garantie est donnée aux citoyens de la Syrie de l’enseignement de leurs enfants dans leur langue maternelle dans les institutions scolaires publiques, et dans les institutions scolaires privées, conformément aux critères en vigueur.

4. Toute région a le droit, conformément à la loi, d’utiliser en plus de la langue officielle, la langue de la majorité des habitants si cela est conforme à une consultation locale.][NdT].

Le multilinguisme n’est pas le problème tant que l’État possède une langue officielle et qu’une autre langue est ramenée à sa dimension secondaire. Le problème est le risque réel d’une confusion au niveau de l’identité et de l’unité territoriale de l’État.

D’autant plus que nous ne savons pas si l’article relatif aux modifications des frontières de l’État est en rapport avec le projet kurde ou le projet turc, bien qu’il soit évident qu’il vise à légitimer, par avance, une solution à venir, proposée ou imposée, concernant les territoires syriens occupés par Israël.

[Article 9.2 : … Il est interdit de modifier les frontières de l’État autrement que par une consultation générale entre tous les citoyens syriens, et sur la base de la volonté du peuple syrien.][NdT].

III. La question des quotas ethniques et confessionnels :

Pire que les quotas ethniques, il y a l’article concernant les quotas confessionnels par la réservation de certains postes aux minorités confessionnelles et nationales.

[Article 46.3 :…Les postes de députés, du Premier ministre et des ministres tiennent à la représentation proportionnelle de tous les courants confessionnels et nationaux des habitants de la Syrie, et quelques postes sont réservés aux minorités confessionnelles et nationales, le président de la République et le Premier ministre ont le droit de consulter sur ce sujet les représentants de l’Assemblée du peuple et de l’Assemblée des régions.][NdT].

Depuis quand la Syrie aurait besoin de ce genre de quotas ? Farés al-Khoury serait-il devenu Premier ministre grâce aux quotas ? Daoud Rajha serait-il devenu ministre de la Défense ? Et Kuftaru ? Et Qadri Jamil ? Avons-nous jamais su quelles étaient les identités secondaires confessionnelle ou ethnique des dirigeants politiques de la Syrie, autrement que par hasard ? N’est-ce pas un crime que de transformer un État historiquement fondé sur la citoyenneté en un État fondé sur des quotas ?

N’en avons-nous pas mesuré les conséquences au Liban et en Irak ? Au Liban, les patriotes ont lutté pour annuler les quotas et doter leur pays d’un véritable État. Nous sommes entrés en guerre civile pour en sortir encore pire qu’auparavant. Puis, ce fut la libanisation de l’Irak. Elle a réussi et nous nous retrouvons encore devant le pire.

Et voilà qu’on nous propose l’« ethnicisation » de la Syrie contre laquelle d’honorables patriotes se battent depuis six années ! Est-ce à dire que la paix imposée par le sang des Syriens, et de leurs alliés, détruira ce que la guerre n’a pas pu détruire ? L’identité nationale devra-t-elle se définir par l’ethnie et la confession pour servir de prétexte à une situation d’occupation ; voire, à un retour de nos pays aux âges d’avant la société et d’avant l’État ?

IV. La question de l’économie de marché :

Une deuxième dimension dangereuse réside dans la subordination de l’État syrien à l’économie de marché :

[Article 11.2 : L’État crée, sur la base des relations du marché, les conditions du développement de l’économie, garantit la liberté des entreprises, interdit le monopole et la concurrence injustes dans les relations commerciales / Article 11.3 : L’État garantit la liberté de circulation des marchandises et des capitaux entre les régions (?) conformément à la loi.][NdT].

Étrange qu’une telle proposition arrive au moment même ou Donald Trump revient vers le protectionnisme et la promotion de l’économie de production, et que l’Europe cherche à s’orienter dans cette voie. C’est comme si l’on exigeait de la Syrie de revenir vers ce qui serait pire que le plan appliqué par Abdallan al-Dardari [vice-Premier ministre syrien chargé des affaires économiques de 2006 à 2011, devenu économiste en Chef et directeur de la division du développement économique de la mondialisation à l’ESCWA : The United Nations Economic and Social Commission for West Asia ; NdT].

Plus précisément, c’est comme si l’on exigeait de la Syrie de renoncer à toute une politique économique qui en a fait le seul État arabe non endetté, ce qui est probablement l’une des principales raisons de cette guerre et ce qui reviendrait à la vendre aux enchères.

Ajoutez à cela que nous ne comprenons pas ce qui est signifié par « les ressources naturelles appartiennent au peuple », sauf à penser qu’elles ne sont pas soumises à la souveraineté de l’État au moment même où il s’agit de commencer à extraire le gaz.

[Article 11.5 : Les ressources naturelles appartiennent au peuple. Et le droit d’utilisation des ressources naturelles ou de franchise est organisé par la loi.][NdT].

V. La question de la justice sociale

Ce qui précède paraît pleinement compatible avec la suppression de la représentation obligée des ouvriers et des paysans au sein du Parlement, et de la suppression du serment d’investiture de l’expression « Je jure de réaliser la Justice sociale » telle qu’elle figure dans la Constitution syrienne actuelle.

[Article 17.4 : Je jure d’obéir à la Constitution du pays et à ses lois, de respecter et de protéger les droits et les libertés de l’homme et du citoyen, de défendre la souveraineté de la patrie, son indépendance et la sécurité de son territoire, et de toujours agir conformément aux intérêts du peuple.][NdT].

Il ne nous reste plus qu’à imaginer l’état du pays sorti d’une guerre destructrice pour se retrouver dépouillé de tout ce qui engage l’État à assurer la justice sociale, alors qu’il doit ouvrir grand ses portes au capitalisme néolibéral et se jeter dans l’océan de l’économie de marché.

VI. la question des Forces armées

Un dernier point, et non des moindres, concerne les articles relatifs aux Forces armées :

[Article 10.4 : Les Forces armées et autres unités armées sont sous la surveillance de la société. Elles protègent la Syrie et son unité territoriale. Ne sont pas utilisées comme instrument de répression des habitants syriens. N’interviennent pas dans le domaine des intérêts politiques. Ne jouent aucun rôle dans l’opération de transition du pouvoir.][NdT].

Pas d’allusion à la conscription obligatoire, pas de rôle dans la transition politique et plus étrange encore : pas de répression des citoyens !

L’armée syrienne, qui a héroïquement défendu l’unité territoriale de la Syrie et sa souveraineté, face à l’afflux de terroristes venus des quatre coins de la planète et contre les agents de l’étranger, réprimerait le peuple ?! À qui revient la responsabilité de protéger le pays ? Qui est censé détenir la « violence légitime de l’État » figurant parmi les principes constitutionnels de tous les États du monde ? Que signifie la phrase : « Les Forces armées et autres unités armées sont sous la surveillance de la société » ? De quelle société s’agit-il ? Et pourquoi avoir supprimé la mention figurant dans la Constitution actuelle : « défend la sécurité du territoire de la patrie et sa souveraineté régionale » ?

Est-ce là le prix des sacrifices des « Houmat al-Diari » [Défenseurs de la patrie ou Armée arabe syrienne] ? Ou bien est-ce le prix demandé par Israël pour affaiblir l’Armée syrienne qu’il n’aura pas réussi à anéantir, après avoir réussi à détruire l’Armée irakienne et avoir imposé la neutralité à l’Armée égyptienne ?

Conclusion :

Annulation de l’identité arabe de l’État syrien [selon ce projet, il ne s’agit plus de République arabe syrienne, mais de République syrienne ; NdT] au lieu de définir le concept de l’arabité culturellement et non ethniquement ; annulation de son caractère laïc ; annulation de son système économique fondé sur la production, l’indépendance, la résistance à la culture de surconsommation, la justice sociale ; décentralisation frôlant la partition ; affaiblissement de son Armée…

Par conséquent, que reste-t-il des objectifs de la guerre sur la Syrie ?

Dr Hayat al-Hweik
08/02/2017

Traduction de l’arabe par Mouna Alno-Nakhal

Source : Mayssaloon News, le quotidien des progressistes arabes (Liban) [LIEN]

Notes :

[1] ???? ?????? ???????? ????? ??????? … ???????? ????
http://www.al-akhbar.com/node/27224

[2] Document PDF du projet de Constitution russe publié par Al-Akhbar
http://www.al-akhbar.com/sites/default/files/pdfs/20170207/doc20170207_1.pdf

Le sommaire de Mouna Alno-Nakhal
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Source : Mouna Alno-Nakhal

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