Les bombardements de la coalition en Irak : victoire tactique, défaite stratégique ?
février 19, 2019
France-Irak Actualité : actualités sur l’Irak, le Proche-Orient, du Golfe à l’Atlantique
Analyses, informations et revue de presse sur la situation en Irak, au Proche-Orient, du Golfe à l’Atlantique. Traduction d’articles parus dans la presse arabe ou anglo-saxonne, enquêtes et informations exclusives.
Publié par Gilles Munier sur 19 Février 2019,
Un bombardement de la coalition en Syrie
+ en pièce jointe: l’article censuré du colonel Legrier
Par Nicolas Gros-Verheyde (revue de presse: Bruxelles 2 – 17/2/19)*
(B2) Alors que les forces arabo-kurdes (FDS) livrent une des dernières batailles contre l’État islamique, un officier français présent sur place avertit : la bataille est gagnée, la guerre… ce n’est pas sûr
Dans un article paru dans la Revue de défense nationale**, un des organes de réflexion stratégique de l’armée française, le colonel François-Régis Legrier décortique un aspect de l’opération française et américaine en Irak : La bataille d’Hajin : victoire tactique, défaite stratégique ? ». L’auteur sait de quoi il parle. Chef de corps du 68e régiment d’artillerie d’Afrique, il a été le commandant de la Task Force Wagram au Levant depuis octobre 2018.
L’article serait sans doute passé inaperçu du plus grand nombre, malgré sa qualité, s’il n’avait pas donné lieu à un échauffement politique, révélé par Michel Goya dans son blog La voie de l’épée. L’article a été déprogrammé du site internet de la Revue de défense nationale sur intervention de l’état-major des armées et du cabinet de la ministre Florence Parly. Au nom d’un principe : « on ne parle pas des opérations en cours sans autorisation » au plus haut niveau.
Une remise en cause de la stratégie actuelle
Le propos du colonel est en effet implacable pour la stratégie de la France et de la coalition militaire en Irak. Il vient poser un désaveu ‘technique’ à toutes les démonstrations politiques tendant à prouver que la bataille contre Daech est en passe d’être gagnée. Au passage, il fustige la tactique américaine, et occidentale du zéro perte dans les rangs des militaires, et d’une campagne essentiellement de bombardement qui est particulièrement destructrice.
Daech n’est pas vaincu
L’ennemi (alias Daech) n’a pas e?te? de?truit par les frappes aériennes « autant qu’on a bien voulu le faire croire ». Les compte-rendus réguliers d’estimation des pertes ennemies (BDA comme Battle Damage Assessment) sont « impressionnants » mais ils restent « calcule?s de fac?on statistique et non par observation visuelle ».
Le mouvement terroriste peut avoir gardé certains forces au chaud. La de?faite devenue ine?luctable, « il s’est exfiltre? vers des zones refuges pour poursuivre la lutte en mode insurrectionnel ne laissant sur place qu’une poigne?e de combattants e?trangers. »
Une illusion de l’efficacité aérienne
La ‘projection de puissance’, « c’est-a?-dire la projection de destruction, sans ‘projection de forces’, de soldats sur le terrain ne fonctionne pas » dénonce le colonel. « Elle de?truit sans mai?triser la reconstruction et cre?e le chaos. Il y a une vraie illusion de l’efficience ae?rienne : certes, elle permet quelques e?conomies initiales mais elle ne conduit jamais au re?sultat espe?re?. A? la fin des fins, il est toujours ne?cessaire, d’une manie?re ou d’une autre, de contro?ler l’espace. »
Une stratégie qui fait davantage de victimes civiles pour épargner les militaires
Pire… si la bataille d’Hajin a e?te? gagne?e, sur le terrain, elle n’a pas été sans conséquences pour les populations. « En refusant l’engagement au sol, nous avons prolonge? inutilement le conflit et donc contribue? a? augmenter le nombre de victimes au sein de la population. Nous avons de?truit massivement les infrastructures et donne? a? la population une de?testable image de ce que peut e?tre une libe?ration a? l’occidentale laissant derrie?re nous les germes d’une re?surgence prochaine d’un nouvel adversaire. »
Des dommages collatéraux surexploités par Daech
Le mouvement « Daech a su exploiter le moindre succe?s tactique pour le valoriser et en faire un succe?s strate?gique. De me?me, les frappes occidentales et leurs dommages collate?raux re?els ou fictifs ont aussi e?te? largement me?diatise?s avec succe?s. » De quoi s’interroger sur « le de?calage des perspectives : la? ou? Daech, dans une vision strate?gique, s’adresse aux opinions publiques occidentales, la Coalition, outil militaire sans re?elle pense?e politique, est contrainte de rester au niveau tactique et ne peut exploiter ses succe?s dans le champ informationnel avec la me?me re?activite? que l’ennemi ».
Une interrogation stratégique
La façon dont le discours officiel mettant en avant la réduction des poches qui a traîné à une question sur la « strate?gie suivie depuis des anne?es. Ou? est le ve?ritable enjeu ? De?truire Daech ou contenir l’Iran ? » Au final, l’officier s’interroge : « Nous n’avons en aucune fac?on gagne? la guerre faute d’une politique re?aliste et perse?ve?rante et d’une strate?gie ade?quate. Combien d’Hajin faudra-t-il pour comprendre que nous faisons fausse route. »
Commentaire : se taire ou débattre
On peut comprendre que le ministère et l’état-major des armées se soit émus d’une remise en cause aussi féroce de l’intervention en Irak, alors que celle-ci n’est pas terminée. Mais le propos est argumenté, et les questions posées sont légitimes. On peut même se demander si cela ne nécessiterait pas un vrai débat, plus large, au sein du parlement national sur les contours de l’intervention française en Irak.
*Source : Bruxelles 2
**Nota: Le colonel Legrier est l’auteur de « Si tu veux la Paix, prépare le Guerre – Essai sur la Guerre juste » (Via Romana – 2018).
Cliquer ci-dessous pour lire l’article (PDF) du colonel Legrier que le rédacteur en chef de la Revue Défense Nationale a dû retirer du site internet de la publication.
[pdf] 14