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Les conflits palestinien et syrien résonnent au Liban


25 novembre 2012 LA CROIX

Deux quartiers, l’un pro-Assad, l’autre sunnite, s’opposent dans la ville libanaise de Tripoli.

à Tripoli, la rue de Syrie, qui sépare le quartier sunnite du quartier chiite pro-syrien, porte l...

SAM TARLING / AFP

à Tripoli, la rue de Syrie, qui sépare le quartier sunnite du quartier chiite pro-syrien, porte les marques des tensions entre communautés.

La guerre en Syrie fragilise ce pays voisin à l’équilibre politique déjà précaire.

Israël, qui respecte une trêve avec le parti Hezbollah au pouvoir au Liban, surveille de près l’évolution du pays.

 

 

« Si le régime de Bachar Al Assad en Syrie tombe, on devra en finir avec les groupes pro-syriens et la mafia du quartier de Jabal-Mohsen »,  déclare celui qui, dans le quartier sunnite opposé de Tabbaneh, se fait appeler Hajj Omar. L’homme a l’allure débonnaire d’un père de famille et de fait, il a quatre filles.

Une apparence cependant trompeuse car cet ancien combattant de la gauche libanaise, qui s’est battu aux côtés des Palestiniens dans les années 1970 et a payé de neuf ans de prison (1990 à 1999) sa lutte contre le régime d’Hafez Al Assad, dirige les groupes armés de Tabbaneh, à Tripoli, la grande ville sunnite du nord du Liban, historiquement la plus syrienne du pays du Cèdre car elle faisait partie du même département que Homs avant la création du Liban.

Tabbaneh, quartier parmi les plus pauvres de la ville portuaire, est divisé en deux par la – bien nommée – rue de Syrie. De l’autre côté de celle-ci vivent les habitants du quartier de Jabal-Mohsen, en majorité des alaouites pro-syriens, soutenus par le Hezbollah, parti chiite libanais. Tripoli est ainsi devenu la caisse de résonance des tensions communautaires et des affrontements politiques au Liban et en Syrie.

LA NUIT, TOUT PEUT TRÈS VITE DÉGÉNÉRER

Le jour, la vie est quasi normale sur la rue de Syrie. Les magasins qui bordent cette « ligne de démarcation » sont ouverts, les enfants vont à l’école cartable sur le dos et les voitures circulent tant bien que mal au milieu des embouteillages des camions qui déchargent fruits et légumes. En revanche, la nuit, tout peut très vite dégénérer. Habitués des combats, les commerçants tirent des rideaux faits de bâche en plastique vert qui masquent les rues perpendiculaires à la « ligne de front ». « Pour protéger les passants des snipers »,  justifie Hajj Omar.

La fréquence des heurts entre ces deux quartiers dépend clairement du baromètre politique au Liban et en Syrie. Exemple : le 12 novembre dernier, cheikh Ahmad Assir, un sunnite salafiste de la ville de Saïda (sud du Liban) a déchiré des portraits de Hassan Nasrallah, le dirigeant du Hezbollah chiite. À Saïda, les heurts qui ont suivi entre chiites et sunnites ont fait trois morts.

Le soir même, des échanges de tirs ont eu lieu à Tripoli entre les quartiers Tabbaneh et Jabal-Mohsen, sans faire de victime. « Tout a commencé vers 22 h 30, jusqu’à 6 heures du matin »,  raconte Hajj Omar. Quel rapport pourtant entre Tripoli et Saïda ? « Le cheikh Ahmad Assir a beaucoup de partisans dans le quartier auprès des jeunes salafistes », explique Hajj Omar, qui se méfie de « ces barbus ». « Je suis solidaire de lui parce que nous sommes de la même communauté sunnite, mais je ne suis pas d’accord pour qu’il nous entraîne dans la guerre entre chiites et sunnites. La priorité, c’est ce qui se passe en Syrie. »

LA COMMUNAUTÉ ALAOUITE SE SENT COMME DANS UNE FORTERESSE ASSIÉGÉE

Hélas, de plus en plus les deux s’entremêlent au Liban. « Les sunnites de Tabbaneh sont armés de plus en plus par l’Arabie saoudite et le Qatar », confirme un cheikh salafiste du quartier. Les alaouites de Jabal-Mohsen, eux, reçoivent leurs armes de la Syrie voisine et sont soutenus par le Hezbollah libanais. Ils veulent aussi en découdre.

De l’autre côté de la rue de Syrie, Mohamed est un des lieutenants de Refaat Eid, chef des alaouites du quartier. La rencontre avec ce Syrien soupçonné d’appartenir aux services de renseignement de Damas, venu s’installer à Tripoli en 1989 par « solidarité avec la minorité alaouite »,  se fait dans un jardin public de la ville, loin des oreilles indiscrètes.

La trentaine, le crâne rasé et la barbe courte noire, Mohamed reconnaît que les combats entre habitants des deux quartiers « sont en général “contrôlés et contrôlables” ».  La preuve, le 12 novembre, quand l’armée libanaise, discrète, a voulu s’interposer, les combattants ont cessé les tirs. Résultat d’une négociation politique entre notables de la ville.

Il n’empêche, la communauté alaouite du quartier se sent comme dans une forteresse assiégée, d’autant que les nouvelles de Syrie ne sont pas bonnes. Qu’adviendra-t-il du quartier si le régime syrien s’effondrait ? « Si c’est le cas, on brûlera la ville,  répond sans ambages Mohamed, c’est une question de vie ou de mort. »

Les alaouites de Tripoli qui vivent en dehors de ce quartier pauvre ont eux aussi peur de faire les frais de la situation en Syrie. « Je ne crois pas à un bain de sang,  estime l’un d’entre eux. Au pire, la famille de Refaat Eid et ceux qui ont collaboré avec le régime syrien devront partir. Les Tripolitains en veulent aux groupes armés, soutenus par Damas, mais pas à la communauté alaouite dans son ensemble. »

« CES COMBATS NE SERVENT QU’À ENTRETENIR LA TENSION »

En attendant, l’instabilité règne. Récemment encore, lors de l’assassinat à Beyrouth du général sunnite, chef des renseignements de la police libanaise, Wissam Al Hassan, un fils de Tripoli, les deux quartiers ont connu des accrochages très durs. Trois jours de combat et quatre morts. « Saad Hariri (NDLR : fils de Rafic Hariri – assassiné en 2005 – et chef de la coalition réunissant les partis d’opposition) avait accusé la Syrie, alors on s’est battu contre les alaouites à Tripoli », raconte Hajj Omar, qui ne cache cependant pas son ras-le-bol. « À quoi cela a servi de fermer nos magasins pendant trois jours, d’avoir perdu quatre hommes ? Il n’y a pas d’objectif militaire. Ces combats ne servent qu’à entretenir la tension. » En colère, Hajj Omar, qui a connu tant de combats, se demande ce qu’il y a à gagner aujourd’hui dans cette bataille de quartiers.

Pas grand-chose à regarder l’état des lieux : rues défoncées, façades trouées de balles, fenêtres noircies par les tirs et portraits de jeunes martyrs tombés dans les combats. Des deux côtés, la majorité de la population est au chômage. Il n’y a ni électricité ni eau potable. Il faut acheter des bouteilles. Dans une ruelle, des hommes s’acharnent sur une carcasse de voiture calcinée. « On récupère la ferraille et on la revend pour se faire un peu d’argent. Il n’y a rien d’autre à faire ici », déplore un père de famille qui s’en va ensuite fumer le narguilé assis sur le trottoir.

« C’EST LEUR INTÉRÊT QUE LE CONFLIT PERDURE »

« Il n’y a rien dans le quartier, sinon chômage et pauvreté. Du coup, les jeunes ne sont pas djihadistes mais sensibles au renouveau islamique que prônent les salafistes », explique un cheikh salafiste du quartier de Tabbaneh. Chemise sport, jean, barbe soignée, la quarantaine, il explique aussi cette montée des salafistes par le vide idéologique laissé par les partis traditionnels.

« À Tabbaneh, leur nombre progresse depuis 2010-2011 et le début de la chute de popularité du parti politique de Saad Hariri, et le fait qu’il a fermé ses bureaux d’aide et de services à la population du quartier. » Un alaouite de Tripoli redoute une « déstabilisation » du fait de ces islamistes salafistes : « Électoralement, ils ne représentent pas plus de 40000 voix, mais ils sont organisés et peuvent facilement bloquer la ville. »

D’autant qu’en l’absence depuis des mois au Liban de son chef Saad Hariri, la communauté sunnite se sent aujourd’hui orpheline. Et ce alors que les tensions sont fortes avec la communauté chiite. « Le conflit à Tripoli n’ira pas plus loin, tant que la situation en Syrie n’est pas tranchée », affirme de son côté Hajj Omar, pointant la responsabilité des services de renseignement syrien qui manipulent les alaouites de sa ville. « C’est leur intérêt que le conflit perdure. »

 

 

Agnès Rotivel, à Tripoli

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