Les dessous de l’agenda arabe en Syrie.
février 13, 2012
Par Pepe Escobar.
Les machinations “démocratiques” de la Ligue arabe ont essuyé un dérapage incontrôlé. Lorsque nous parlons de la Ligue arabe, il serait plus opportun de parler de la Ligue du Conseil de Coopération du Golfe (CCG) tant le véritable pouvoir dans cette organisation panarabe est exercé par deux des six monarchies du Golfe persique qui composent le CCG, aussi connu sous le nom du Club de la Contre-révolution du Golfe. Ces deux pays sont le Qatar et la Maison des Saoud.
Au départ, le CCG a créé un groupe d’observateurs de la Ligue arabe pour voir ce qu’il se passait en Syrie. Le Conseil National Syrien – basé en France et en Turquie, deux pays membres de l’Otan – a soutenu l’initiative avec enthousiasme. Il se dit que le Liban, voisin de la Syrie, ne l’a pas fait.
Quand les observateurs, qui étaient plus de 160, ont remis leur rapport après un mois d’enquête… surprise ! Le rapport ne suivait pas la ligne officielle du CCG selon laquelle le gouvernement du « diabolique » Bachar el-Assad tue sans distinction et unilatéralement son propre peuple si bien qu’un changement de régime est nécessaire.
Le comité ministériel de la Ligue arabe a approuvé le rapport, avec quatre votes pour (Algérie, Egypte, Soudan et le membre du CCG Oman) et seulement un vote contre ; devinez qui ? le Qatar, qui préside actuellement la Ligue arabe depuis que l’émirat a acheté son tour à l’Autorité palestinienne dans le système de présidence tournante.
Le rapport a donc été soit ignoré par les médias mainstream d’Occident soit carrément détruit sans pitié par les médias arabes, ces derniers étant presqu’exclusivement financés soit par les Saoud, soit par le Qatar. Le rapport n’a même pas été discuté. En effet, le CCG a bloqué sa traduction de l’arabe vers l’anglais ainsi que sa publication sur le site internet de la Ligue arabe.
Puis il y a eu la fuite. Voici le rapport (français ou anglais). Il est catégorique. Il n’y a pas eu de répression meurtrière et organisée du gouvernement syrien contre des manifestants pacifiques. Au lieu de cela, le rapport pointe d’obscurs gangs armés responsables de la mort de centaines de civils syriens et de milliers de soldats de l’armée syrienne. Ces gangs utilisent des techniques redoutables comme le bombardement de bus civils, le bombardement de trains transportant du gasoil, le bombardement de bus de la police et le bombardement de ponts et pipelines.
Une fois encore, la version officielle de l’Otan-CCG sur la Syrie est qu’un soulèvement populaire est réprimé par les balles et les tanks. Mais la Russie et la Chine, membre des BRICS, ainsi qu’un large éventail des pays en voie de développement, pensent que le gouvernement syrien combat des mercenaires étrangers lourdement armés. Le rapport confirme largement ces suspicions.
Le Conseil National Syrien (CNS) est en fait essentiellement composé de Frères musulmans soutenus à la fois par la Maison des Saoud et le Qatar – avec un embarrassant soutien d’Israël qui œuvre discrètement en second-plan. La légitimité n’est pas vraiment sa tasse de thé vert. Comme pour l’Armée syrienne libre, le CNS a ses déserteurs et ses opposants bien intentionnés au régime d’Assad. Mais il est surtout infesté de mercenaires étrangers armés par le CCG, particulièrement des gangs salafistes.
Jusqu’à maintenant, l’Otan-CCG n’a pas pu appliquer en Syrie son modèle à taille unique de promotion de la démocratie : bombarder un pays et se débarrasser du méchant dictateur. Mais ils ne se découragent pas. A la tête du CCG, la maison des Saoud et le Qatar ont rejeté leur propre rapport sans ménagements pour entrer directement dans le vif du sujet : imposer un changement de régime made in Otan-CCG à travers le Conseil de sécurité des Nations unies.
Si bien que l’actuelle « campagne arabe pour assurer une fin pacifique à dix mois de répression » en Syrie auprès de l’ONU n’est rien d’autre qu’une grossière campagne pour un changement de régime. Les suspects habituels de Washington, Londres et Paris ont été contraints de se mettre en quatre pour assurer à la véritable communauté internationale qu’il ne s’agissait pas d’un nouveau mandat à la libyenne qui permettrait à l’Otan de bombarder. La secrétaire d’Etat Hillary Clinton l’ a décrit comme « une chemin vers une transition politique qui préserverait l’unité et les institutions syriennes ».
Mais la Russie et la Chine, membres des BRICS, voient ce projet pour ce que c’est. Un autre membre des BRICS, l’Inde, rejointe par le Pakistan et l’Afrique du Sud, a également levé de sérieuses objections au projet de résolution des Nations unies dessiné par l’Otan-CCG.
Il n’y aura pas une autre no-fly-zone comme en Libye ; après tout, le régime d’Assad ne déploie pas de Migs contre les civils. Une résolution de l’ONU pour un changement de régime sera bloquée – à nouveau – par la Russie et la Chine. La confusion règne même au sein de l’Otan-CCG. Washington, Ankara, ou le duo formé par la Maison des Saoud et Doha…
Chacun des acteurs-clé de cette alliance a son propre agenda géopolitique sur le long-terme. Et ne parlons même pas de l’Irak, voisin crucial de la Syrie et principal partenaire économique. Bagdad a officiellement déclaré s’opposer à n’importe quel plan de changement de régime.
Voici donc une petite suggestion à l’égard de la Maison des Saoud et du Qatar.
Traduit de l’anglais par Investig’Action