Les Frères par procuration par Ahmed Halfaoui
septembre 4, 2012
Dans les années 1970 beaucoup s’étonnaient de voir des universitaires, boursiers en long cursus, en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis, rentrer au pays totalement transformés, affichant un radicalisme religieux étonnant pour l’époque. Surtout qu’il était contracté dans des pays occidentaux « très avancés ». L’incompréhension le disputait à l’évidence, l’opinion majoritaire ne pouvant expliquer le phénomène. On ne pouvait admettre que les bastions de la modernité pouvaient produire de tels profils, cela bousculait les idées établies. On ne pouvait revenir de là-bas que plus occidentalisé, ce qui devait couler de source. Mais, ce genre de détail ne préoccupait pas outre-mesure, c’était le temps des révolutions et des nationalismes triomphants contre un colonialisme donné pour finissant. C’était le temps des défis et de l’émancipation du sous-développement. Les indépendances avaient donné les assurances que l’avenir ne pouvait être que promesses de progrès économique et social. La Guerre froide se passait ailleurs, entre les blocs. La victoire des Vietnamiens lui donnait un air de promenade contre « l’impérialisme mauvais élève ». L’assurance du vieux général Giap confortait les plus sceptiques. Nous étions bien sortis du cauchemar et pour toujours. Et puis sont venus les temps du doute. Les quelques « originaux » revenus méconnaissables, presque des intrus, étaient de moins en moins seuls dans l’espace public. Leur discours, aussi, se faisait plus répandu. On connaît la suite. Ce qui est moins connu fut cette connexion entre les mouvements islamistes et Washington, qui n’est apparue au grand jour qu’à l’occasion de l’intrusion de l’armée soviétique dans le conflit afghan. On a pu voir le soutien massif apporté aux moudjahidines, sur tous les plans, militaire, diplomatique, médiatique. Ensuite, au fur et à mesure des crises qui affectaient les pays nationalistes arabes ou dits arabes, les Etats-Unis proposaient ouvertement la promotion des « islamistes modérés » dans les gouvernements. Ces précieux alliés qui ont servis de bouclier contre la montée du communisme, allaient contribuer à l’effondrement des nationalismes, dont le tort est de s’opposer à la mainmise du capitalisme mondial sur leurs économies et de revendiquer la fin de l’échange inégal. Ce concept inspiré des grilles de lecture marxistes. Aujourd’hui nous assistons à un presque couronnement des efforts, avec l’accession des Frères musulmans au statut de force politique capable de s’accaparer du pouvoir politique. Ce qui a pu se produire en Egypte et en Tunisie, du moins pour la forme, en attendant une emprise plus marquée sur les institutions et sur la société. En quelques décennies le résultat est appréciable. Les nationalismes ont disparus ou sont fragilisés et les courants de pensée anticapitalistes sont marginalisés et confinés dans des cercles ultra minoritaires. Les conflits sur le mode de vie, les libertés culturelles, les droits de l’individu, déchirent la société sur fond d’hégémonie idéologique des courants religieux les plus radicaux. La violence devient une donnée ordinaire sur ce terrain. Le recul drastique de l’esprit critique et la disparition des grands débats, sur l’état du monde, a tétanisé les intelligentsias, quand elles n’ont pas été mises au service de la propagande néocolonialiste. Au bout lorsque le laminoir du pouvoir religieux aura détruit les derniers remparts opposés à leur emprise, les « libérateurs » pourront se présenter fiers de servir leur « liberté ».
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