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Les Palestiniens, le Monde arabe & la Crise syrienne


Liwa al-Quds (Brigade Jérusalem) à Alep

Jacques Borde 08/03/2017
10/03/2017

liwa al-Quds (Brigade ak-Un aspect de ce qu’on appelle de manière générique, la cause palestinienne est systématiquement ignorée par les media mainstream : leur implication, participation, voire leur intérêt pour des causes autres que la leur. D’où cette question qu’en est-il des Palestiniens & de la crise syrienne ? 3ème Partie.

Pour quelles raisons les media parlent-ils aussi peu de ce aspect précis de la Guerre de Syrie ?

Jacques Borde. Oh, parce que, de prime abord,le phénomène n’intéresse guère les media. À commencer par les media arabes.

Une raison à cela ! À plus de 80% ces media arabes sont des media officiels et semi-officiels. Alors, d’entrée, enterrons un mythe : les pays arabes – par là, je veux dire l’officialité des pays arabes – se contrefichent des Palestiniens autrement qu’en tant qu’objets de leur propre(s) géopolitique(s). Vous pouvez appelez ça de l’instrumentalisation, si ça vous arrange. Mais ça n’y changera pas grand-chose.

Quant aux nôtres (sic), on sait à quels tropismes les poussent leur sensibilité au froissement des pétrodollars ou des dollars tout court. Parler de cet aspect du problème palestinien ne va pas dans le sens de ce que, par lassitude, j’appellerai leur(s) ligne(s) éditoriale(s)…

Depuis les printemps arabes, vous voulez dire ?

Jacques Borde. Non, depuis toujours ! Globalement, les Palestiniens ont toujours servi de variable d’ajustement dans les relations internationales des pouvoirs arabes :

1- soit entre eux. On utilisait des activistes palestiniens comme proxies : provocations, manifestations, actions violentes. Y compris des assassinats de rivaux politiques.

2- soit vis-à-vis de l’Occident. Principalement les États-Unis, visés en tant que soutien militaire d’Israël. Ou, plus sérieusement, comme rivaux énergétiques.

3- soit les deux à la fois. Voir l’étrange affaire de la prise d’otages de l’OPEP.

4- vis-à-vis de Jérusalem,évidemment. C’est toujours moins risqué de se battre par proxy interposé. Moins courageux aussi.

À ce stade, je trouve l’idée de l’administration Nétanyahu de s’allier avec l’administration Salm?n, à la fois curieuse et aventureuse. On peut supposer que l’utilisation de l’espace aérien séoudien par des appareils israéliens pour atteindre l’Iran a quelque-chose à voir dans ce rapprochement. Les Israéliens ont toujours eu sous le coude l’option militaire pour clore le dossier du nucléaire iranien. Et, là encore, on note que l’idée centrale de ce rapprochement n’a rien à voir avec la question palestinienne reléguée à la périphérie la plus lointaine des relations bilatérales israélo-séoudiennes…

Et vis-à-vis de l’Iran, l’administration Nétanyahu irait aussi loin ?

Jacques Borde. C’est sur la table, en tout cas. En parler ou tout faire pour qu’on en parle, fait en tout cas partie de la tension dialectique autour du sujet. C’est de bonne guerre.

Même vis-à-vis d’un locuteur stratégique comme Téhéran ?

Jacques Borde. Qui vous dit, qu’en cette affaire, Jérusalem s’adresse seulement à Téhéran. L’administration Nétanyahu a d’autres locuteurs face à elle dans cette tension dialectique : l’administration Trump, les Européens, le monde arabe. Une manière de remettre le couvert en somme…

Pourquoi doutez-vous de l’opportunité pour les Israéliens de s’appuyer sur Riyad. ?

Jacques Borde. Pas seulement pour Jérusalem, ma remarque a une portée générale. J’ai toujours gardé à l’esprit cette émission, juste après le 11 Septembre, où Alexandre Adler avait clairement affirmé qu’on ne pourrait jamais, jamais faire confiance aux Séoudiens en tant qu’alliés ou même partenaires. À l’époque, son analyse m’avait heurté. Eh bien, je le confesse, j’avais tort. C’est Alexandre Adler1 qui avait raison : on ne peut pas se fier à ces gens-là. À meilleure preuve (pour rester sur notre sujet) : à chaque fois que les Palestiniens (ou les Libanais) se sont fiés aux Séoudiens, ils se sont fait rouler dans la farine…

Bon revenons à notre sujet principal. Vous pouvez préciser votre pensée vis-à-vis des media français ?

Jacques Borde. Leur problème de fond, c’est qu’ils sont toujours aux ordres de quelqu’un. Et qu’au-delà, formatés par des gens généralement sans talents, et, la plupart de temps, vendus au plus offrants. On a, souvent, dit de Jacques Chirac qu’il était de l’avis de la dernière personne avec qui il avait pris langue. Outre qu’apparemment il a dû beaucoup s’entretenir avec la famille Hariri pour qu’elle soit aussi généreuse avec lui, nos Tycons des media, c’est un peu la même chose. Leurs ligne(s) éditoriale(s) suivront celles de leur(s) partenaire(s) en affaires. Suivez l’argent plutôt que les idées. Le CAC 40 et les cours du pétroles. Bien plus que les souffrances des civils, qui sous les bombes des F-16, qui sous les engins sol/sol du Hamas…

Ajoutez pour nos media francophones, qu’ils ont toujours oscillé entre une forme assez grotesque de romantisme oriental, les hauts et les bas de nos politiques arabes et, il serait temps de l’admettre, une forme larvée d’antisémitisme. La plupart de nos intervenants sur le sujet ne s’en préoccupant que contre Israël et non pas pour les Palestiniens. Ce qui n’est pas la même chose.

Sans parler de la doxa gauchiste qui anime certains. Voir les délires d’un Shlomo Sand, par exemple. Avec des amis pareils…

Et les guerres contre Israël. À quoi ont-elles servi ?

Jacques Borde. Du point de vue palestinien ? Là, encore, ouvrons les yeux : à rien ! En clair, à partir de 1967, les pays arabes ont compris qu’ils n’arriveraient pas à parité militaire avec Israël.

Quant à la la Guerre d’octobre 1973, en dépit d’une logorrhée destinée à mobiliser quelques idiots utiles ça et là en dehors de l’Orient compliqué, elle fut une guerre militairement totalement déconnectée de la cause palestinienne. Ce que les Égyptiens cherchaient – et, de ce point de vue, géostratégiquement, 1973 est un succès égyptien – était de :

1- faire une démonstration de leur capacité de nuisance militaire sur le long terme ;

2- récupérer le Sinaï égyptien ;

3- ouvrir la voie à un accord de paix avec leur voisin ;

C’est, très exactement, ce qu’ils ont obtenu.

Mais, vous ne pouvez pas dire que 1973 a été une défaite israélienne ! Ça ne tient pas debout…

Jacques Borde. Oui. Mais ça n’est pas ce que je vous dis ! Une guerre doit se juger aux buts de guerre affichés (lorsqu’ils le sont) par les parties en lice. Que voulait Israël ?

1- repousser et reconduire les Égyptiens à leur point de départ. Rappelons que 1973 est, du point de vue d’Israël une guerre à 100% défensive. C’est l’Égypte, qui en est le maître d’œuvre, qui a pris l’initiative ;

2- régler la question du Sinaï. Assez peu défendable (comme l’a démontré le débordement de la Ligne Bar-Lev) mais qui était tombé dans l’escarcelle hiérosolymitaine suite à 1967 ;

3- geler durablement le Front Sud, ce qui a été obtenu par la paix conclue entre Jérusalem et Le Caire.

Quelque part, géopolitiquement, 1973 fut une confrontation gagnant-gagnant pour ces deux-là !

Quant aux autres acteurs arabes de 1973, Palestiniens notamment, leur rôle fut secondaire comparativement à l’enjeu du Front Sud.

Et, que vous preniez cette guerre par n’importe quel bout, 1973 fut une guerre classique, à enjeux territoriaux et diplomatiques classiques, totalement déconnectée de la cause palestinienne, dans l’esprit des chefs militaires arabes qui, au Caire, décidèrent de la déclencher.

La Ligne Bar-Lev, vous disiez ?

Jacques Borde. Oui. La Ligne Bar-Lev (ou Kav Bar Lev, en hébreu) était la ligne de fortifications construite par Israël le long du Canal de Suez après la conquête de la Péninsule du Sinaï durant la Guerre des Six Jours de 1967. L’ouvrage, nommé d’après le Rosh Ha’Mateh Ha’Klali2, le Rav Alouf3 Haïm Bar-Lev, était destiné à couvrir un front d’environ 200 km le long du canal.

Creusés à une profondeur de plusieurs étages sous le sable, des forts de béton étaient prévus pour procurer un abri aux troupes capable de résister à des bombes de 500 kg tout en étant équipés de l’air conditionné. Chacune avait une identification, comme par exemple : Tasa, Maftzach, Milano, Mezach, Chizayon, Mifreket, Orcal, Budapest (le plus grand), Nisan, Lituf, Chashiva.

Bien que la Ligne Bar-Lev n’a pas été construite comme une ligne Maginot, le haut commandement israélien s’attendait à ce qu’elle joue un rôle somme toute similaire et empêche tout effort égyptien d’établir des têtes de pont sur la rive-est du canal.

La Ligne Bar-Lev était très populaire dans l’opinion publique israélienne, sauf auprès de quelques généraux (notamment Ariel Arik Sharon) qui étaient très critiques à son sujet. Ils n’avaient pas tout à fait tort : sur les 441 hommes occupant la Ligne Bar-Lev au début de la guerre, 126 furent tués et 161 capturés. Seul Budapest, à l’extrême nord, près de Port-Saïd, tint bon, alors que tous les autres forts furent submergés.

À noter que bien que globalement inefficace, la Ligne Bar-Lev a, malgré tout joué un rôle retardateur que Tsahal a su mettre à profit pour organiser ses contre-attaques. Comme quoi…

Et Gaza ?

Jacques Borde. Les Égyptiens se sont toujours contrefichus de Gaza. En tant qu’enjeu palestinien, je veux dire.

À raison, on a toujours dépeint Gaza comme un des endroits les plus misérables de la terre. Oui, mais ça ne date pas d’hier : sous tutelle égyptienne, Gaza était déjà ce bidonville géant que nous connaissons aujourd’hui.

Et avant 1967, la cause palestinienne ?

Jacques Borde. Là, je dirai que c’était pire.

De 1948 à 1967, les pouvoirs arabes ont mené des guerres à enjeux limités. Voire concurrents ! Ce que voulait le Palais à Amman n’était pas ce à quoi l’on songeait à Damas ! C’est tout le problème des coalitions, chacun y va avec sa petite idée. Ou comme disait Foch : « J’ai beaucoup moins d’admiration pour Napoléon depuis que j’ai commandé une coalition ». Et, dans ces guerres israélo-arabes, au-delà du discours, les enjeux réels n’ont jamais été de rendre quoi que ce soit aux Palestiniens.

Revoyez l’excellent (quoi qu’un peu gauchisant) Ô Jérusalem d’Élie Chouraqui. On voit bien que les enjeux de la Bataille de Jérusalem conduite pas les troupes royales jordaniennes, et la redoutable force d’élite de la Légion arabe4, n’avaient que peu de rapport avec la lutte des Fedayin. À meilleure preuve l’arrêt des combats pour la Ville sainte par cette même Légion arabe scellant le sort de cette partie de la ville pour les Palestiniens.

Remontons plus en arrière. Aux début du film, on y voit Abdel Khader revenir écœuré de Damas où il n’a rien obtenu de sérieux et a dû payer de ses deniers les quelques armes qu’il a pu en ramener.

Donc, pour vous la cause palestinienne est un mythe ?

Jacques Borde. Non. Là encore, ça n’est pas ce que je dis. Même si pour beaucoup d’Arabes elle n’a souvent été que ça. La cause palestinienne est, aussi dur que cela puisse paraître pour ceux qui s’en font les défenseurs, essentiellement la cause des Palestiniens. Et, fort peu, sauf à brûler quelques drapeaux, celle des Arabes. Qui d’ailleurs n’ont longtemps accordé au camp palestinien et à ses dirigeants que des statuts approximatifs.

Avec comme effet pervers (du point de vue palestinien, il s’entend) de voir la partie adverse (Jérusalem) se refuser à lui reconnaître un statut international que la plupart des gouvernements arabe lui accordait du bout des lèvres. Voire pas du tout. Mais posons-nous, enfin, la question : pour quelle obscure raison les dirigeants israéliens auraient-ils dû accorder à Arafat et à son appareil plus de reconnaissance que les États arabes ne lui en ont si longtemps peu offert ? Lorsque Premier ministre israélien, Binyamin Nétanyahu, parle d’accorder aux Palestiniens un minus State diverge-t-il tant que ce que l’on pense dans beaucoup de chancelleries arabes ?

En tout cas, je note que sa nouvelle définition d’un État palestinien n’a guère mobilisé les instances arabes ou arabo-musulmanes…

Ce qui a porté et a fait de la Palestine une cause, ce sont ses leaders historiques : Yasser Arafat, Georges Habache, Ahmed Djibril et Nayef Hawatmeh. Certainement pas les potentats arabes qui ont laissé prospérer des camps-bidonvilles à leurs périphéries. Ou chez les autres comme ils l’ont si longtemps fait au Liban, qui y perdra sa paix et sa prospérité…

Notes

1 À ce stade, l’auteur ignore si Alexandre Adler défend toujours cette analyse.
2 Ra’Mat’Kal, chef d’état-major israélien.
3 Lieutenant-général.
4 Son nom arabe a toujours été Al-Jayš al-Arabi, l’armée des Arabes. Initialement composée de Tchétchènes de Jordanie.

Bar-Lev, Ô Jérusalem, Arafat, Habache, Djibril, Hawatmeh,

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