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L’État islamique et la guerre contre la terreur


Djamal Benmerad
24 novembre, 20:41 ·

L’État islamique et la guerre contre la terreur
Après les exécutions de masses, l’exil des musulmans modérés, des chrétiens et autres minorités, il y a eu l’atroce décapitation du journaliste James Foley. L’organisation terroriste qui depuis peu se fait appeler État islamique (EI) inspire l’horreur. Non seulement pour ses méthodes barbares, mais aussi pour les objectifs politiques qu’elle poursuit.
Tony Busselen

18 août 2014. Un groupe de yézidis kurdes, avec en majorité des femmes et des enfants, arrivent dans le village de Sirnak, à la frontière irako-turque. Ils ont dû s’enfuir de la terreur de l’État islamique.

L’EI est dirigé par Abu Bakr Al-Bagdhadi, qui, depuis 1999, faisait partie du noyau dur d’Al-Qaïda, mais qui a, l’an dernier, quitté le mouvement pour fonder sa propre organisation, l’EIIL, rebaptisé le mois dernier État islamique (EI). [i] Tout comme Al-Qaïda, l’EI s’est servi de l’Islam pour créer son mouvement fasciste et réactionnaire. La seule différence est que l’EI est un groupe terroriste beaucoup plus radical qui recourt à des méthodes bien plus barbares que celles d’Al-Qaïda. Le quotidien britannique The Independent a tenté de trouver une explication à cette évolution. [ii]

Les deux pays les plus impliqués dans la promotion d’Al-Qaïda et son idéologie, à savoir l’Arabie saoudite et le Pakistan, ont le champ libre

Depuis les attentats du 11 septembre 2001, les États-Unis ont attaqué divers pays, comme l’Irak et la Lybie, et ont tenté de renverser Assad en Syrie. Ce qui est assez surprenant, car les leaders de ces trois pays, Saddam, Kadhafi et Assad combattaient le fondamentalisme musulman bien plus intensément que ne le font d’autres régimes du Moyen-Orient plus répressifs encore. Ces trois États laïques qui se voulaient autonomes par rapport aux grandes puissances occidentales ont en outre proposé bien plus d’avancées sociales que la plupart des autres pays de la région. The Independent souligne encore que « les deux pays les plus impliqués dans la promotion d’Al-Qaïda et son idéologie, à savoir l’Arabie saoudite et le Pakistan, ont le champ libre. Ces deux pays étaient et restent de fidèles alliés malgré les attentats du 11 septembre. Aujourd’hui, l’Arabie saoudite fait un peu marche arrière, car elle craint que l’incendie ne se propage sur ses terres ».

L’EI est dirigé par Abu Bakr Al-Bagdhadi, qui, depuis 1999, faisait partie du noyau dur d’Al-Qaïda, mais qui a, l’an dernier, quitté le mouvement pour fonder sa propre organisation, l’EIIL, rebaptisé le mois dernier État islamique (EI).

The Financial Times est du même avis : « L’Arabie saoudite n’exporte pas seulement du pétrole, mais elle exporte également des cargaisons d’idées totalitaires et des pipelines de volontaires pour le jihad », écrit le journal. « La position de l’Arabie saoudite en tant que principal exportateur de pétrole, marché pour les industries de l’armement occidentales et contrepoids face à l’Iran dans le Golfe permet à ce pays de rester à l’abri des critiques. » « Ce qui dérange les terroristes par rapport à la maison royale c’est que les idées propagées ne sont pas en accord avec leurs actes », poursuit le journal. « Le roi Fahd, prédécesseur du roi actuel, même s’il était un play-boy et un joueur notoire a fait bâtir à l’étranger durant son règne 1 359 mosquées et 210 centres islamiques » [iii]

Les chiffres officiels relatifs aux montants que l’Arabie saoudite a dépensés durant des décennies et qu’elle continue de débourser pour financer la propagande de l’idéologie réactionnaire féodale, à l’heure actuelle surtout incarnée par les combattants d’Al-Qaïda et de l’EI, sont ahurissants : « Entre 1975 et 1986, l’aide versée s’élève à 48 milliards de dollars, soit 4 milliards par an. Fin 2002, cette aide est passée à plus de 70 milliards. Ces chiffres réfèrent uniquement aux aides d’État officielles et n’incluent pas les cadeaux privés. » [iv]
Alliance stratégique entre les États-Unis et l’Arabie saoudite

Un rapport du gouvernement américain publié en septembre 2009 explique pourquoi les États-Unis n’ont rien entrepris contre la propagation de l’idéologie réactionnaire de l’Arabie saoudite : « Depuis la formation de l’État saoudien contemporain en 1932 et notamment durant la Guerre froide, les États-Unis et l’Arabie saoudite ont développé des relations basées sur leurs intérêts communs, et en particulier la production d’énergie et la lutte contre le communisme. Tant l’Arabie saoudite que les États-Unis ont, par exemple, largement soutenu les moudjahidines afghans contre l’invasion soviétique en 1979. » [v]

En 1998, Zbigniew Brzezinski, conseiller à la Sécurité nationale du président Jimmy Carter de 1977 à 1981, confirmait dans une interview au Nouvel Observateur qu’il ne regrettait pas le soutien américain aux fondamentalistes islamistes et futurs terroristes : « Qu’est-ce qui est le plus important dans le monde ? Les Talibans ou la chute de l’Union soviétique ? Quelques musulmans excités ou la libération de l’Europe centrale et la fin de la Guerre froide ? » Sur la photo : Brzezinski en visite auprès du jeune Oussama Ben Laden, à l’entraînement avec l’armée pakistanaise en 1981. (Photo Sygma/Corbis)

Les écoles construites au Pakistan grâce à l’argent saoudien ont formé des milliers de jeunes gens conformément à l’idéologie réactionnaire féodale qu’on a ensuite envoyés combattre les Russes avec des armes américaines expédiées en Afghanistan. Après le retrait des troupes soviétiques d’Afghanistan, ces combattants formés par les États-Unis et l’Arabie saoudite ont imposé la domination réactionnaire des talibans et donné naissance à l’organisation terroriste Al-Qaïda. Dans une interview tristement célèbre de 1998, Zbigniew Brezinski, ancien conseiller à la sécurité du président Carter et concepteur de la stratégie US, défend sa politique : « Qu’il y a-t-il de plus important au monde ? Les talibans ou la chute de l’Union soviétique ? Une poignée de musulmans frénétiques ou la libération de l’Europe centrale et la fin de la Guerre froide ? » [vi]
« Des rebelles made in America »

Dès le début, nous étions au courant que certains groupes radicaux et combattants formés par les États-Unis et leurs alliés pour obtenir la “démocratie” en Libye et en Syrie avaient un agenda djihadiste, à ce moment-là déjà, ou juste après, ils ont rejoint Al-Nusra ou l’EI

Dans un autre article, The Washington Post écrit que les États-Unis et leurs alliés n’ont pas hésité à soutenir les « groupes rebelles » en Libye et en Syrie, « dont les membres ont soit des idées anti-américaines et anti-occidentales, soit s’y sont embrigadés durant la guerre… C’est exactement ce qui s’est produit avec les fractions de l’Armée syrienne libre ». Cette « Armée syrienne libre » est opposée au régime Assad. Fin juin, Obama a demandé au Congrès américain de débloquer d’urgence 500 millions de dollars pour soutenir avec des armes et programmes d’entraînement cette opposition syrienne. [vii] Selon le Washington Post, qui se base sur les interviews accordées au journal par des membres de groupes militants en Irak et en Syrie, comme l’EI et le front Al-Nusra, l’aide accordée à l’opposition syrienne a, en réalité, été versée à l’EI. « À l’est de la Syrie, l’Armée syrienne libre n’existe plus. Tous les membres de l’Armée syrienne libre ont rejoint l’EI, explique Abu Yusaf, haut dirigeant militaire de l’EI. » Un haut responsable des services de sécurité américains a confié au journal « qu’en réalité, les groupes comme l’État islamique ne sont pas nos amis, mais ils sont devenus puissants parce que nous avons mal géré la situation ». Le journal cite les noms de responsables des services de renseignements arabes et européens qui auraient prévenu Washington : « Dès le début, nous étions au courant que certains groupes radicaux et combattants formés par les États-Unis et leurs alliés pour obtenir la “démocratie” en Lybie et en Syrie avaient un agenda djihadiste, à ce moment-là déjà, ou juste après, ils ont rejoint Al-Nusra ou l’EI. Mais la plupart du temps, nos interlocuteurs nous répondaient qu’ils savaient que nous avions raison, mais que leur président et ses conseillers n’y croyaient pas. » Pour preuve de ce qu’il avance, le journal reprend les témoignages de plusieurs anciens membres des groupes rebelles modérés. Parmi eux, le jeune Abu Saleh (28 ans) qui quitte la Turquie en 2012 pour se rendre en Syrie où il rejoint d’abord l’Armée syrienne libre et le front Al-Nusra par la suite. Depuis son lit d’hôpital en Turquie, Abu Saleh raconte au journaliste du Washington Post : « J’ai déjà pris la décision, si je me remets de mes blessures, de rejoindre l’État islamique. Parfois j’aime plaisanter en disant qu’en fin de compte je suis un combattant made in America. » [viii]

La Turquie, cet autre allié occidental et… pilier de l’EI

La Turquie, membre de l’OTAN et candidate à l’adhésion à l’Union européenne est aussi un allié de l’Occident qui a joué un rôle important dans le renforcement de l’EI. Les combattants qui souhaitent rallier les rangs de l’EI en Syrie peuvent le faire sans encombre via la Turquie. Le pétrole que l’EI vend (pour environ 3 millions de dollars par jour) quitte la Syrie et l’Irak via la Turquie. En Turquie, on ne critique pas l’EI. Au contraire. Inge Vrancken, journaliste à la VRT, a voulu savoir lors de ses reportages sur les dernières élections pourquoi à Istanbul on pouvait voir dans le métro des sympathisants de l’EIIL arborant leur drapeau et pourquoi une boutique vendait ouvertement du matériel de propagande de l’EIIL. Dans une interview, Ahmet Davutoglu, ancien ministre des Affaires étrangères, récemment nommé Premier ministre, s’est montré très compréhensif à l’égard de l’EI : « L’organisation que vous appelez l’État islamique est peut-être considérée comme une structure radicale et terroriste, mais elle regroupe des Turcs, des Arabes et des Kurdes. La colère du passé a provoqué une vive réaction. » [ix]
L’Occident une nouvelle fois en guerre

En décidant d’envoyer une nouvelle fois des avions de guerre dans l’espace aérien irakien, Barack Obama est le quatrième président américain à ordonner une action militaire en Irak. Les interventions militaires de l’Occident n’ont jamais aidé à résoudre les conflits complexes au Moyen-Orient. Au contraire, elles n’ont fait que les aggraver.

Au terme de 9 ans d’embargo, une année de guerre et 7 ans d’occupation, les troupes américaines se sont retirées d’Irak en 2011. Washington pensait avoir mis en place dans le pays un pantin de confiance en la personne du Premier ministre Al-Maliki. Le programme d’armement conclu par les États-Unis avec son gouvernement est l’un des plus importants au monde. Les milices déployées sur ordre du Premier ministre Al-Maliki pour faire régner la terreur sur les sunnites ont été entraînées et armées par les Américains. Aujourd’hui, Washington estime qu’il faut remplacer Al-Maliki par une autre personnalité du parti, mais, en même temps, les États-Unis continuent de soutenir l’armée irakienne, qui combat les sunnites depuis des années. Les États-Unis prétendent hypocritement qu’il faut renouer le dialogue et réconcilier les sunnites et chiites irakiens, mais en réalité les actes de terreur envers les sunnites se poursuivent impunément. Une semaine à peine après la destitution d’Al-Maliki, 65 personnes ont été assassinées dans une mosquée sunnite dans un village du nord de la province de Dyabala.

Il est logique, dans un contexte d’interventions de l’Occident, de guerres, d’occupations et de soutien aux régimes les plus réactionnaires et sectaires de la région que l’EI soit apparu et qu’il soit devenu le dangereux mouvement terroriste qu’il représente aujourd’hui.

[i] Bruce Riedel, directeur des renseignements du Brookings Institute, Al Monitor 14 juillet.

[ii] The Independent, 19 août, “How The IS became the jugernaut it is today”.

[iii] Financial Times, 8 août, “Saudis have lost the right tor take Sunni Leadership”.

[iv] Wahhabism: state-sponsored extremism worldwide. U.S. Senate Subcommittee on Terrorism, Technology and Homeland Security , jeudi 26 juin 2003. http://www.au.af.mil/…/awcgate/congress/sc062603_alexiev.pdf

[v] http://www.gao.gov/new.items/d09883.pdf.

[vi] Le Nouvel Observateur, 15-21 janvier 1998.

[vii] CNN, 27 juin.

[viii] The Washington Post, 18 août

[ix] Le Figaro, 11 août.
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Ginette Hess Skandrani

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