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Livre : Le désert et la source – Djihad et contre-djihad en Asie centrale, par René Cagnat


France-Irak Actualité : actualités du Golfe à l’Atlantique

Analyses, informations et revue de presse sur la situation en Irak et du Golfe à l’Atlantique. Traduction d’articles parus dans la presse arabe ou anglo-saxonne.


Publié par Gilles Munier sur 24 Septembre 2019, 05:48am

Note de lecture – Par Leslie Varenne (revue de presse : IVERIS – 10/9/19)*

René Cagnat est certes un ancien colonel et un spécialiste de la réflexion stratégique reconnu, mais c’est aussi et surtout un homme de terrain et un amoureux de l’Asie centrale où il vit d’ailleurs depuis des décennies. Son livre à double entrée, poétique et géopolitique, est une sorte de grand voyage. Le lecteur, peu familier de l’Asie centrale, région méconnue, se retrouve assis dans un train et voit défiler des paysages qui lui ouvrent des horizons de compréhensions.

L’Asie centrale est cette partie du monde, enclavée, représentée par cinq anciennes républiques socialistes de l’Union soviétique : l’Ouzbékistan, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Turkménistan, et le Tadjikistan, qui partagent « une communauté de civilisation, une proximité linguistique, un même destin historique » et qui pourtant se retrouvent dans une incapacité « génétique » de s’unir. A ces Etats, s’ajoutent l’Afghanistan, qui tient une large place dans le livre, et le Xinjiang, région autonome chinoise, terre d’islam en pays bouddhiste et patrie des Ouïgours.

Cette région, carrefour stratégique essentiel encerclé par l’Inde, la Chine, la Russie, le Pakistan, quatre puissances nucléaires, est aussi aux avant-postes des routes terrestres de la soie. C’est dire si l’histoire de la fin du 20ème siècle et de ce début de 21ème siècle que raconte René Cagnat se déroule sur un terrain riche, complexe et… miné.

La réislamisation

Dans cet ouvrage l’auteur insiste sur le piège qui a consisté à remplacer petit à petit l’islam sunnite soufi par un islam radical : « l’effacement de l’Union soviétique s’est traduit par une crise que nul n’a vu venir : la relève du communisme par l’islam fanatique – qui imprègne à des degrés divers les différents pays de la région. » « Après 90, le pèlerinage à la Mecque, par exemple, qui était limité à quelques individus triés sur le volet est devenu massif : il a favorisé une ouverture à tous les niveaux des fidèles en faveur de l’islam rigoriste des wahhabites. » En Asie centrale, comme dans d’autres régions du monde, les mosquées poussent comme des champignons, partout même dans les plus petits villages, et les femmes sont toujours plus nombreuses à porter le voile. Et René Cagnat de raconter « il m’a été dit un jour que le port de l’hijab pouvait rapporter, par jour, quelques dollars adjugés par un pays du Golfe… C’est ainsi qu’on lance une mode ! » D’autant que cette région est « une contrée de toute première importance pour l’islam : elle a joué un rôle essentiel dans son histoire et son développement. » C’est la raison pour laquelle, toute l’Asie centrale est dans le viseur de Daech. Al-Baghdadi, le chef de l’Etat islamique, élargit son action au grand Khorassan, appellation historique qui correspond dans son projet à l’Afghanistan et à l’Asie centrale, avec comme objectif plus lointain, l’Iran, la Russie et l’Ouest chinois…

« Le royaume de l’insolence »

Dire que l’Afghanistan, cette « bombe sur le flanc de l’Asie centrale » « ce pays où grouillent Taliban et Daechistes » est un autre terrain miné est un euphémisme. En lisant ce livre, on comprend plus clairement pourquoi Donald Trump se heurte à tant de résistance au sein de son administration pour réaliser sa promesse de campagne de quitter enfin l’Afghanistan, ce « cimetière des empires » après 18 ans d’une guerre perdue… En effet, les bases militaires US permettent au Pentagone de figurer sur les arrières de la Chine, de la Russie, de l’Inde, de l’Iran et du Golfe persique. « L’Amérique ne peut pas en partant laisser de côté à la surface du monde, un carrefour d’influences et de conflits aussi crucial que celui de l’Asie centrale et de l’AFPAK ; pour s’y maintenir, elle devra se ménager au moins une base considérable en pays afghan ou en Asie centrale ce que les Taliban ou les Centrasiatiques ne sont guère enclins, pour l’instant à lui accorder. » Rester, serait prendre le risque d’une « évacuation » à la vietnamienne…

Mais il y a d’autres enjeux : l’Afghanistan est aussi le plus grand marché de pavot au monde. L’auteur rappelle d’ailleurs les propos de l’actuel président Afghan, Achraf Ghani, « sans drogue, cette guerre aurait été finie depuis bien longtemps, l’héroïne est la raison pour laquelle elle se poursuit. » Les proportions qu’ont atteintes cette culture sont démentielles, 9000 tonnes en 2017 comparées aux 185 en 2001. En prime, les insurgés afghans et les trafiquants ont compris tout l’intérêt de maximiser leurs revenus, ils ne se contentent plus de produire à l’ancienne, ils perfectionnent, 15% de plus de rendement à l’hectare. Mais surtout ils transforment la matière première, plus de 500 laboratoires sont installés dans le pays. Résultat, une fortune de 4 milliards de dollars qui profite certes au Taliban et leur permet d’intensifier la guerre, mais qui bénéficie aussi à d’autres acteurs, banques, paradis fiscaux et sûrement à la CIA, souvent accusée de participer au trafic sans que jamais cela ait pu être prouvé. (1)

Et il serait fort étonnant que Daech ne participe pas au festin. Car, l’Organisation de l’Etat islamique est désormais très présente en Afghanistan. Elle a, en juin 2017, bénéficié d’une « installation-éclair avec des hélicoptères non-identifiés » dans le Nord-afghan et à proximité du Nangarhar. La présence de ce groupe terroriste pourrait « compromettre les routes de la soie » « enfoncer un coin entre le chiisme iranien, le communisme chinois et l’orthodoxie russe » « surveiller la péninsule indienne où l’islam est si présent » Bref tout un programme éminemment stratégique…

Dans ses livres, comme dans ses articles, René Cagnat donne à ses lecteurs un cours, fort agréable au demeurant, de géopolitique en décortiquant le Très Grand Jeu.

René Cagnat cite l’article du journaliste Pepe Escobar paru en 2017, intitulé :  » L’Afghanistan et la route secrète de l’héroïne de la CIA »

Le désert et la source
Djihad et contre-djihad en Asie centrale
Publié aux éditions du Cerf

*Source : IVERIS

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