Nils Melzer, rapporteur de l’ONU sur la torture : « Journalistes, l’affaire Assange vous concerne »
avril 10, 2022
par lecridespeuples
Par Lode Vanoost
Source : dewereldmorgen.be
Traduction : legrandsoir.info
Nils Melzer, rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture, avait refusé de rendre visite à Julian Assange avant 2019. Il était totalement d’accord avec la version des médias, jusqu’à ce qu’il commence à y regarder de plus près, à lire les rapports et rende visite à Assange. Trois ans plus tard, il écrit The Trial of Julian Assange: A Story of Persecution (Le procès de Julian Assange: L’histoire d’une persécution), un appel urgent à tous les journalistes. « Ce qui arrive à Assange vous concerne tous ».
Nils Melzer est un universitaire de renom, spécialisé dans le droit international, professeur à l’Université de Glasgow et à l’Académie de Droit International Humanitaire de Genève. Il a publié plusieurs ouvrages concernant ces questions.
Depuis 2016, il est rapporteur spécial de l’ONU sur la torture, ce qui lui confère le mandat d’enquêter et de faire rapport à l’ONU à la suite de plaintes déposées par des particuliers et des organisations concernant des pratiques de torture dans tous les États membres de l’ONU. Les États membres des Nations Unies sont tenus de l’aider dans ses investigations.
Un Suisse qui parle aussi suédois…
Le citoyen suisse Nils Melzer est fils d’un père suisse et d’une mère suédoise, d’où son prénom suédois. Ce dernier détail familial va le conduire en 2019 à quelque chose qu’il n’aurait pu envisager trois ans plus tôt. Il avait rejeté pendant plusieurs années les demandes des avocats de Julian Assange d’enquêter sur son cas. Ils avaient fait valoir que les poursuites étaient politiques et que ses conditions de détention équivalaient à de la torture.
Il n’en avait pas cru un mot. La Grande-Bretagne et la Suède sont des démocraties solides, où les pratiques de torture n’existent pas, pensait M. Melzer. En outre, M. Melzer était totalement d’accord avec la version médiatique selon laquelle Assange essayait simplement d’échapper à une condamnation pour le viol de deux Suédoises.
Au printemps 2019, il est contacté pour une énième fois et, pour se débarrasser de cette demande, il décide de rendre visite à Julian Assange à la prison de Belmarsh à Londres. Avant d’abandonner l’affaire, il décide de prendre également le temps de parcourir les rapports et les documents de la cour suédoise.
Il se trouve qu’il parle couramment le suédois, ce qui n’est pas habituel pour un universitaire suisse, expert en droit international. Ce qu’il a lu l’a stupéfié. Il était face à un abus de procédures légales pour détenir une personne sans motif d’accusation.
Trois ans plus tard, après de nombreuses visites à Assange et discussions avec ses avocats, après des dizaines de lettres aux autorités britanniques, suédoises, australiennes (Assange est australien), équatoriennes et étasuniennes, ne voyant aucun autre moyen, il a fait ce qu’il n’avait jamais fait auparavant pour aucune autre enquête : il a consigné l’intégralité du dossier dans un livre.
C’est le dossier complet
A ceux pour qui l’affaire n’est pas claire ou qui n’ont ni le temps ni l’envie de creuser les détails de l’affaire Julian Asange, ce livre offre une réponse toute prête. Toute personne qui lira The Trial of Julian Assange: A Story of Persecution [1] sera pleinement informée de son cas jusqu’aux événements les plus récents, en janvier 2022.
Tout journaliste qui prétend aujourd’hui ne pas avoir eu le temps d’étudier son cas n’a plus d’excuse. Tout est là. Quelques heures de lecture avec un stylo à la main suffisent, la base du travail journalistique.
Depuis la juge d’instruction suédoise qui refuse à plusieurs reprises d’interroger Assange en Suède, jusqu’à ce qu’il parte pour la Grande-Bretagne, et qui rédige du coup un mandat d’arrêt « parce qu’il veut échapper à la justice », jusqu’aux circonstances dans lesquelles on l’empêche de préparer sa défense et de suivre le processus de son extradition à la prison de Belmarsh.
Quel était le but de ces manoeuvres ? Pour Nils Melzer, cela ne fait aucun aucun doute : tout interrogatoire conduirait au classement sans suite des plaintes déposées contre Assaange. En ne l’interrogeant pas alors qu’il est encore en Suède, la juge a pu continuer à faire traîner l’affaire, ce qui a admirablement réussi. Le livre se termine juste avant la dernière décision de la Haute Cour britannique.
Melzer résume ainsi son livre :
Bien que les crimes et le comportement arbitraire de tous les gouvernements impliqués soient devenus de plus en plus flagrants et évidents au cours de la dernière décennie, la véritable dimension de son cas a été presque totalement ignorée par les autres gouvernements, par les grands médias et par l’opinion publique.
Au contraire, le récit officiel a été docilement intégré, répété et maintenu : Assange, le violeur, le pirate informatique, l’espion et le narcissique lâche, qui a le sang d’innocents sur les mains, comparaît enfin devant un tribunal. Ici aussi, comme dans l’histoire des habits neufs de l’empereur, il fallait que quelqu’un vienne jeter un regard neuf et objectif sur tout cela et rompe le charme : « Regardez, l’empereur est nu ». Ceci, cher lecteur, est le but de ce livre.
Ce livre est pour le site DeWereldMorgen.be [2] une confirmation générale de tous les articles publiés dans leur dossier sur Julian Assange. Cependant, vous, lecteurs, n’êtes pas obligés d’accepter cela comme une preuve. Lisez ce livre et jugez par vous-même. Pour l’instant, il n’existe pas de traduction en néerlandais du livre [la version française paraîtra en septembre]. Cependant, pour les journalistes qui prennent leur travail au sérieux, que ce livre soit écrit en anglais ne peut être un obstacle.
Ce n’est pas un texte scientifique ennuyeux
Nils Melzer a fait de l’anglais sa principale langue de travail depuis des décennies. Il a demandé l’aide littéraire d’un spécialiste allemand, Oliver Kobold, pour écrire une histoire facile à lire qui transformait son jargon de droit international en un texte lisible, après quoi la maison d’édition britannique Verso a fait relire l’ensemble du texte par un éditeur britannique.
Le premier chapitre résume la pertinence de WikiLeaks, expose l’hypocrisie et les mensonges diffusés en particulier par les journalistes du Guardian, après qu’un membre de la rédaction a publié dans un livre les mots de passe des fichiers de WikiLeaks. Selon le journal, dont la version des faits reste largement relayée par la quasi-totalité des médias étrangers, c’est Assange qui est l’auteur de cette fuite.
La force centrale de ce livre réside cependant dans l’analyse que Melzer fait de tous les documents impliqués dans le procès suédois, non pas tant les communications avec le tribunal britannique –qui en soi donnent à réfléchir sur la manière dont les motivations politiques à l’origine de la procédure sont questionnées– mais surtout les rapports internes suédois, les enregistrements, les interrogatoires, les notes, les réunions que Melzer a lus en suédois. Depuis le premier jour, l’opération contre Assange a été une opération politique en raison de ce qu’il avait fait avec WikiLeaks et rien d’autre.
Un deuxième mensonge médiatique est l’affirmation selon laquelle WikiLeaks et Assange auraient mis en danger des vies humaines par leurs révélations. Après le procès britannique, le gouvernement américain ne peut toujours pas citer un seul cas de personne prétendument mise en danger par les révélations.
Cet échec systémique soulève les questions de la vérité, de la tromperie et de l’aveuglement, de notre propre léthargie et de notre complicité passive. Ce n’est pas une coïncidence si ce livre commence par mes propres difficultés à transcender mes préjugés personnels.
Le problème n’est pas que nous ne connaissons pas la vérité, mais plutôt que nous ne voulons pas la connaître. Le problème, c’est que nous permettons aux puissants, contre toute attente, d’enfreindre la loi sans même leur demander de rendre des comptes, que ce soit sur le plan juridique ou politique, mais que nous les louons comme de grands dirigeants et les honorons même avec des prix Nobel.
Que les médias puissent jouer un rôle positif est actuellement démontré par la manière dont la solidarité avec les réfugiés ukrainiens est soutenue et étayée, avec efficacité [même si à cet égard, on peut soupçonner l’atlantisme et le racisme de primer sur les considérations humanitaires]. Une campagne ciblée pour libérer Assange peut en effet réussir, tout d’abord en informant l’opinion publique de ce qui est fait en leur nom par leurs gouvernements. Ensuite, il est essentiel que les journalistes, individuellement, réalisent que c’est d’eux qu’il s’agit.
Il suffit que quelques journalistes aient le réflexe journalistique professionnel de faire la même démarche que Nils Melzer : « Bon, je pense que j’ai toujours raison au sujet d’Assange, mais examinons cela de plus près. »
Voir l’interview de Nils MELZER, Toute la vérité sur Julian Assange : ‘Un système assassin est en train d’être créé sous nos yeux’
Il n’en faut pas plus, lisez ce livre, chers collègues, et tirez vos propres conclusions.
Lode Vanoost
(1) Nils Melzer. The Trial of Julian Assange – A Story of Persecution, Verso, Londres, 2022, 354 pages. ISBN 978 1839 7662 51
(2) www.dewereldmorgen.be (’le monde de demain’) site web d’information progressiste en Flandre et aux Pays-Bas.
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En France, Le Monde et Mediapart sont de beaux exemples de cette fausse gauche atlantiste, qui a soutenu les groupes terroristes en Syrie (en les présentant comme des « rebelles », démocrates ou autres), diffamé et abandonné Assange après avoir profité des révélations de Wikileaks et porte le folliculaire Navalny aux nues. Cf. par exemple cet éditorial du Monde suite à l’arrestation d’Assange et à son inculpation par les Etats-Unis, développements qui lui donnaient entièrement raison : au lieu de faire son mea culpa, Le Monde s’enfonce ignominieusement :
« Julian Assange est un justiciable comme les autres. Ses démêlés avec la police ont commencé parce qu’il a refusé de se rendre à une convocation de la police suédoise qui souhaitait l’entendre après les plaintes de deux femmes pour agression sexuelle, au motif fantaisiste, à l’époque, qu’il craignait que la Suède ne le livre à la CIA. Il a eu tort de refuser de s’expliquer sur ces graves accusations. »
Comme l’établit le rapporteur de l’ONU sur la torture, Nils MELZER, lorsqu’il était réfugié à Londres, la Suède a refusé d’interroger Assange à l’ambassade d’Equateur ou via vidéo (alors que durant la même période, de tels interrogatoires de suspects entre la Suède et l’Angleterre ont eu lieu dans 44 autres cas) et de lui garantir qu’il ne serait pas extradé :
« Assange n’a pas cherché à se cacher de la justice. Par l’intermédiaire de son avocat suédois, il a proposé aux procureurs plusieurs dates possibles d’interrogatoire en Suède. Cette correspondance existe. Ensuite, les événements suivants se sont produits : Assange a eu vent du fait qu’une affaire criminelle secrète avait été ouverte contre lui aux États-Unis. À l’époque, cela n’a pas été confirmé par les États-Unis, mais aujourd’hui nous savons que c’était vrai. À partir de ce moment, l’avocat d’Assange a commencé à dire que son client était prêt à témoigner en Suède, mais il a exigé l’assurance diplomatique que la Suède ne l’extraderait pas aux États-Unis. [Ce risque était tout à fait réel, car] quelques années auparavant, le personnel de sécurité suédois avait livré à la CIA deux demandeurs d’asile, tous deux enregistrés en Suède, sans passer par la moindre procédure judiciaire. Les abus ont commencé à l’aéroport de Stockholm, où ils ont été maltraités, drogués et transportés par avion en Égypte, où ils ont été torturés. Nous ne savons pas s’il s’agit des seuls cas de ce type. Mais nous sommes au courant de ces deux cas car les hommes ont survécu. Tous deux ont par la suite déposé plainte auprès des agences des droits de l’homme de l’ONU et ont obtenu gain de cause. La Suède a été obligée de payer à chacun d’eux un demi-million de dollars en dommages et intérêts. Les avocats d’Assange affirment que pendant les près des sept ans au cours desquels leur client a vécu à l’ambassade d’Équateur, ils ont fait plus de 30 offres pour organiser la visite d’Assange en Suède, en échange d’une garantie qu’il ne serait pas extradé vers les États-Unis. La Suède a refusé de fournir une telle garantie en faisant valoir que les États-Unis n’avaient pas fait de demande formelle d’extradition. »
Voir également l’infâme article de Mediapart Julian Assange, l’histoire d’une déchéance, qui prend au sérieux les accusations de viol et valide sans l’ombre d’une preuve la thèse de la collusion avec la Russie (réaffirmées dans l’article de Mediapart sur les projets d’enlèvement et d’assassinat d’Assange par la CIA, commodément attribués à Trump, comme s’il ne s’agissait pas du modus operandi de la CIA depuis des décennies) :
[…] Depuis Londres, le fondateur de WikiLeaks annonce qu’il refuse de se rendre en Suède au motif que cette procédure n’est qu’un prétexte. Selon lui, dès qu’il foulera le sol suédois, les États-Unis demanderont son extradition pour être jugé pour espionnage, crime passible de la peine capitale. Sous le coup d’une procédure d’extradition accordée par la justice anglaise, Julian Assange va tout d’abord mener une bataille juridique pour en obtenir l’annulation. Une fois tous les recours épuisés, il se réfugie, le 19 juin 2012, dans les locaux de l’ambassade de l’Équateur qui lui accorde l’asile politique. Il y restera cantonné dans une pièce de l’immeuble sans pouvoir sortir au risque d’être immédiatement interpellé par les policiers britanniques qui le surveillent en permanence.
Avec ces accusations sexuelles, Julian Assange tombe de son piédestal. Son image de chevalier blanc se fissure et, même au sein de WikiLeaks, des langues se dénouent, dévoilant un tout autre visage. De nombreux témoignages décrivent un homme égocentrique, intransigeant et exigeant de ses collaborateurs une obéissance absolue.
Dès septembre 2010, plusieurs membres de WikiLeaks quittent l’organisation en raison d’un désaccord sur la manière dont Julian Assange gère la publication des « leaks » et son refus de toute critique. Selon le site Wired, six volontaires ont quitté l’organisation à ce moment-là. Sur le tchat interne de l’organisation, Julian Assange leur aurait lancé : « Je suis le cœur de cette organisation, son fondateur, philosophe, porte-parole, codeur original, organisateur, financeur et tout le reste. Si vous avez un problème avec moi, faites chier. »
Parmi les défections, figure celle de Daniel Schmitt, porte-parole de WikiLeaks, qui annonce sa démission dans les colonnes du Spiegel. « Julian Assange réagit à toute critique avec l’allégation que je lui ai désobéi et que j’ai été déloyal vis-à-vis du projet. Il y a quatre jours, il m’a suspendu – agissant comme le procureur, le juge et le bourreau en une personne », accuse-t-il. Daniel Schmitt racontera en détail son conflit avec Assange dans un livre paru en 2011, Inside WikiLeaks. Dans les coulisses du site internet le plus dangereux du monde (Grasset, 2011).
En début d’année 2011, un autre collaborateur de WikiLeaks, Julian Ball, claque la porte de l’organisation trois mois après y être entré. Il rejoint le Guardian et décrit, dans un article publié en septembre 2011, un Julian Assange tyrannique, plus préoccupé par sa propre défense que par les idéaux de WikiLeaks. En 2014, c’est Andrew O’Hagan, l’auteur d’une Autobiographie non autorisée publiée en 2011, qui se répand dans la presse. « Il voit chaque idée comme une simple étincelle venant d’un feu dans son propre esprit. Cette sorte de folie, bien sûr, et l’étendue des mensonges de Julian m’ont convaincu qu’il était probablement un petit peu fou, triste et mauvais, malgré toute la gloire de WikiLeaks en tant que projet », affirme-t-il.
Beaucoup s’interrogent également sur la ligne éditoriale de Julian Assange. Le rédacteur en chef de WikiLeaks est notamment accusé d’être trop indulgent, voire trop proche, de la Russie, pays sur lequel l’organisation n’a publié que peu de documents. Plusieurs interventions de Julian Assange surprennent, comme lorsqu’il assure, durant quelques mois en 2012, une émission de géopolitique sur la chaîne Russia Today (RT), The Julian Assange Show. Ou lorsque, à l’occasion d’une table ronde organisée pour les dix ans de RT, il livre un discours dans lequel il appelle « à oublier le concept de liberté individuelle, qui n’existe plus ».
La question de la proximité de WikiLeaks avec la Russie va devenir centrale avec la publication, en 2016, des DNC Leaks. Le 22 juillet, trois jours avant l’ouverture de la convention annuelle du Parti démocrate, WikiLeaks publie 19 252 mails piratés dans les ordinateurs de sa direction, le Democratic National Committee (DNC). La convention doit justement entériner l’investiture d’Hillary Clinton comme candidate démocrate à l’élection présidentielle américaine. Or, les mails révèlent une collusion dans la direction du parti visant à défavoriser son principal concurrent, Bernie Sanders.
Les DNC Leaks vont empoisonner la campagne d’Hillary Clinton et faire le délice de son adversaire républicain Donald Trump qui ira jusqu’à déclarer : « I Love WikiLeaks. » Le malaise est encore accentué par les déclarations de Julian Assange qui assume avoir publié ces « leaks » afin de nuire à Hillary Clinton, qu’il voit comme « un problème pour la liberté de la presse », et reconnaît avoir volontairement fait coïncider leur publication avec la convention démocrate. […]
WikiLeaks s’isole encore plus lorsque l’enquête sur le piratage des mails de la direction du Parti démocrate révèle que celui-ci a été réalisé par un groupe de hackers, Guccifer 2.0, lié aux services secrets russes, le GRU. Julian Assange démentira formellement que sa source soit des hackers et les différentes enquêtes ne permettront pas d’établir un lien direct entre WikiLeaks et Moscou. Mais pour beaucoup, la ficelle est trop grosse. Que Julian Assange se soit rendu complice, même à son insu, d’une opération de déstabilisation russe est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. […]
Pour ne rien arranger, Julian Assange multiplie les prises de position polémiques, voire parfois difficilement compréhensibles. En septembre 2017, il affirme par exemple, chiffres à l’appui, que le capitalisme, l’athéisme et le féminisme sont responsables de la stérilité de nos sociétés qui, elle-même, est la cause de l’immigration. […]
Le Cri des