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NOS PAS DE SOLEIL (Claire De Pelteau)


par Ysengrimus

La poésie et ses remous
provoquent l’éveil
diffusent une sollicitude
(p. 23)

.

YSENGRIMUS — La poétesse Claire de Pelteau récite ses vers et médite le monde et ce, dans un même souffle. Ses compagnons de route sont des figures de la pensée fondamentale universelle comme Camus, Montaigne, Schiller, Platon ou Bouddha. Les mantras font partie de son rythme d’existence. L’ouvrage est sous-titré poèmes et réflexions et, du sein de ses étapes de vie, la poétesse-philosophe tire effectivement des réflexions de sagesse parfois formulées dans un petit nombre de miniatures en prose datées et documentées. Mais la part du lion de ce recueil fluide et vif est livrée à la poésie. On prend indubitablement connaissance d’une versification philosophique qui gorge la respiration du texte tant des éléments de la réflexion fondamentale que de leur charge critique.

Une planète

Une planète inquiète
des scientifiques avertis
des dirigeants sourds
des promoteurs menteurs
des populations vulnérables
une ignorance maintenue
la convoitise exploitée
les conflits civils entretenus
les boucherie d’assassins
des génocides un holocauste
Les dévastations terrestres
le chimique, le nucléaire
la pollution des océans de l’air et de la terre.
alors que dire de la pollution humaine…?
(p. 61)

Humaine, trop humaine… socratique surtout, la sagesse prend la mesure des grands développements universels mais elle le fait prioritairement à l’aune de l’humain. C’est ainsi que le temps se déroule, lentement, fatalement. Mais, mais, mais… il s’installe à travers le travail de mise en mots de la poétesse. Elle égrène à la fois les grands déroulements fondamentaux de l’existence et, simultanément, le geste intime, infime de sa poésie. La catégorie temporelle court de sa main au papier, au fil des heures.

Les heures

Des halos de lumière
ouvrent le rideau des nuits

L’aube défie les heures
d’une inconnue ferveur

Le ciel pastel balbutie
et moi j’écris

Sur la pointe du cœur
les images s’animent

Une figuration s’éveille
porteuse d’avenir

Une trame actualise
des mots en suspension

Mesure et démesure
seront-elles éphémères

L’âme fugitive s’accorde au vent
elle engendre des rêves salvateurs

Agenouillée au jardin de la terre
je peins de secondes… les jours

Avec amour et doigté je compose
chaque son de l’universalité
(p. 36)

Le malaxage polymorphe de poéticité, je le cherche et je le trouve donc, dans le cheminement des conventions du texte poétique. Ces dernières savent parfaitement ce qu’elles font. Elles assument que l’amplitude, l’universel, l’immense, le gigantal, le grand, le stable déroulement, tout cela passe, se restreint, se contraint, existe et exulte… à travers le canal de la miniature. Et c’est dans la miniature de pensée et d’écriture que déboulent et se déroulent les particularités essentielles de l’être. Elles se définissent, se stabilisent, se reçoivent et se rejoignent en culbutes… un tout petit peu dans toutes les directions… pas trop non plus… en une sorte de stabilisable méli-mélo.

Méli-mélo

Méli-mélo
Sur la route des mots
Sur des sentiers entrelacés
L’inattendu me dirige

J’avance à pas de soleil
Multiforme multicoloration
Multipassage à chaque rivage
Brillance et transparence

Je m’alimente de sonorités
De gouttelettes d’étoiles
D’écume de lune
De résonance d’accords

J’opère dans une intimité profonde
Dans une suspension du temps
J’habite un refuge restreint
Là où la miniature s’affirme

Le dépouillement est maître
La simplicité l’accompagne
L’intériorité se nourrit
D’une envoûtante vision
(p. 56)

Oh, mais le secret est avoué. Il ne donnera pas le change. Nous sommes voués ici au bonheur de la rencontre avec une poésie concrète, versifiée sur le ton des Verlaine et des Villon. On le retrouve, notre petit monde des conventions, comme un intérieur familier. La rose, le grain, le pain, la coupe de vin. Mais ici, en ceci, tout cet univers se réactive. Il retrouve l’intégralité de sa fraîcheur. Il comprend, de nouveau, ou, osons le mot… derechef. C’est la victoire du simple, qui est aussi celle de la poésie. Il n’y a pas que l’émotion ordinaire qui engendre le vers. D’astuces lettrées ou de roueries orales, parfois on n’hésite pas à cultiver certains tours de… passe-passe.

Passe passe

Passe, passe
Et passera
Comme le vent
S’enfuit le temps

Ouvre le jour
Petit matin
Mouds le grain
Pétris le pain

Cueille la rose
La rose éclose
Goutte rosée,
Rosa rosae

Aux chants d’oiseaux
Frissonne l’eau
Le soir chavire
Nuit d’avenir

Bois à la vigne
Coupe de vin
Les sortilèges
Ne sont pas vains

Et la rivière
S’inscrit toujours
Au parchemin
De mon parcours
(p. 102)

Certes, la poésie admet ici qu’elle s’enrobe de sa parole donnée et reçue et qu’elle découvre le monde, la mer, les ondes ou tout ce qui fait la nature en parlotant de sa petite voix. Rituelle et stabilisée, c’est toujours à travers son regard, à travers sa démarche, à travers son cheminement et à travers la grille des mots, la grille de ses mots, de sa langue, de son écriture, que le travail de découverte et d’investigation du monde s’investit. Et voici que la grève est blonde. Elle a des cheveux. Ils sont de sable, avant tout et par-dessus tout. C’est parce que la poésie a dit ici… Grève blonde… a dit ici.. traces d’encre.

Grève blonde

Grève blonde
mouillure d’écume
des voix multipliées
m’envoûtent

Tracés d’encre
mes pas de papier
escortent les mots
d’un passage oublié

Je m’éloigne des sables
pour mieux orchestrer
l’appel intérieur
fluctuant au marées

En conjugaison
de verbes d’action
de verbes d’horizon
je décline le jour

Pétrir les vents
redresser le mât
franchir les cycles
dans toutes les traversées
(p. 22)

La natte musicale se resserre. Retrouvant la puissance expressive de ce que notre poète national (Vigneault, qui d’autre) appelait les anciennes rimes, la poéticité renoue ici avec l’évocation d’atmosphères parolières. C’est aussi qu’elle renoue avec les rythmes. Nous lirons ici, tant pour les thèmes que pour les tons, des textes qui, de facto, sont des chansons dont il ne manque que la musique

Chanson d’automne

C’est une chanson d’automne
Celle d’un cœur aimant
Qui bat à chaque jour
Pour toi que j’aime tant

Passe passera le temps
Au chemin des amours
Que parfois l’on se perd
À trop vouloir toujours

Le cœur a ses raisons
Que l’on ne comprend pas
Si tout n’est qu’éphémère
Toi, tu es toujours là

Jamais je n’oublierai
Ces instants généreux
Quand tu m’offrais la mer
Un présent merveilleux

Jusqu’à mon dernier souffle
Je reviendrai encore
Devant cet océan
te parler dans le vent

Nous partirons tous deux
Au pays infini
Où le ciel et la mer
Se joignent mon ami

C’est une chanson d’automne
Celle d’un cœur aimant
Qui bat à chaque jour
Pour toi que j’aime tant
(p. 48)

Tourbillonnant toujours un petit peu entre Québec et France, les allusions s’instillent. J’entends toujours au fond de moi l’hymne d’ici et de là-bas (p. 57). Et on s’amuse, comme l’avait fait un petit peu autrefois Brassens, à enchevêtrer nos chansons folkloriques entre elles, à jouer des intertextes, comme on joue avec des rubans que l’on noue en fredonnant. Et en lisant la chanson suivante. Je me dis quand même qu’il faut être tellement de culture française pour goûter tout le sucre pour sentir tout le sel et pour arriver à se redire ce qu’il y a là, en ces petits jeux suaves. Raconte. Entre. Entrecroise des genres populaires et littéraires. Ris. Exulte. C’est fait. Frisson d’époque. Au clair de la lune. Je vous prie de me croire…

Au clair de la lune

Au clair de la lune
Mon ami Jacquot
Ce n’est pas Jacquot
C’est l’ami Pierrot

A perdu sa plume
Devint gigolo
Il a fait fortune
Est devenu sot

Quant au frère Jacques
En mille combines
De Noël à Pâques
Oublie les matines

Dormez dormez-vous
Il ferme ses portes
ne sonne pas les cloches
Ah! ce qu’il est moche

Changeons de chanson
Le cœur nous le dit
Que parler d’amour
Vaut bien le détour

Vois comme l’on s’aime
Aux claires fontaines
Belles demoiselles
Nymphes tourterelles

L’eau étant si belle
Se baigneront-elles
La rose au rosier
Ne peut s’échapper

De corolles en fleurs
Messieurs n’ayez peur
Mais soyez prudents
L’épine vous piquant

Au clair de la lune
M’enchante à nouveau
Mes amis des dunes
En pays plus chaud

Je reprends ma plume
J’écris quelques mots
Au clair de la lune
S’envole l’écho
(p. 95)

Si les flonflons et les amusettes sont avec nous, il y a aussi une force. Et cette force nous fait retrouver, toujours dans l’univers extrêmement chamarré et déterminant du compagnonnage de la chanson, des figures comme Léo Ferré ou Edith Piaf. Des forces, tant de la nature que de la culture, qui ont su, sur un mouchoir de poche de ritournelle, nous faire naitre à nous-même. Nous sommes nés. Nous sommes à ressentir l’intensité. La force des sentiments fondamentaux. Quand on retourne encore et encore à cette source éternelle qu’est la chanson d’amour, on le voit, Il faut la redécouvrir dans une forte voix de femme. Il faut. Il faut… Il aurait fallu.

Il aurait fallu

Il était toute ma cité
mon espace de vie
mon parterre mes avenues
je ne lui disais point
mais il aurait fallu

Il était multiples présences
de partage et d’échange
bravant trop l’avenir
ses parole je buvais
mais il ne l’a pas su

Il était mon penseur
mon premier amant
devenu le veilleur
de mon cheminement
le destin n’a pas voulu

Il était l’audace de mes trente ans
En des chairs aimantes
aux brûlures du cœur
ah! combien je l’aimais
mais il ne m’a point crue

Il était mon inspiration
mon conseiller
mon ami ma passion
et point ne lui disais
mais il aurait fallu.
(p. 47)

On oscille jubilativement entre la scribesse et la troubadourette, entre le texte de pensée et la parole qui porte toutes nos danses. Tout est frais, ou plutôt rafraichi, renouvelé, réjuvéné, retravaillé, matois, tonique. Le recueil de poésie Nos pas de soleil contient 52 poèmes et proses poétiques. Il se subdivise en six petits sous-recueils: Voyage (p 9 à 23), Nature (p 25 à 37), Intimité (p 39 à 49), Réflexion (p 51 à 68), Événements (p 71 à 88), et Fantaisie (p 91 à 102). Ils sont précédés d’une préface de Huguette Desrosiers (pp 7-8), et suivis de deux annexes, soit la notice biographique de la poétesse Claire de Pelteau (pp 105-106) et la notice biographique de l’artiste peintre Marion H. Gérard (p 107). Le tout se termine sur une table des matières (pp 109-111). Le recueil est illustré d’une peinture à l’huile, dite huile subaquatique, intitulée Sun Set de Marion H. Gérard, enveloppant le tome, en première et quatrième de couverture.

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Claire De Pelteau, Nos pas de soleil – Poèmes et réflexions, Éditions Le grand fleuve, 2021, 111 p.

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