Plaidoyer pour la non-ingérence en Syrie
mars 24, 2012
par Miville Couture
Mondialisation.ca, Le 23 mars 2012
L’aut’journal info
Bonjour à tous et à toutes,
Bonjour Monsieur Desautels,
J’écoute très souvent votre émission pendant que je voyage ou que je prépare mon repas du soir. Je veux d’abord vous féliciter de la qualité de votre émission en général. Les invités auxquels vous accordez des entrevues m’ouvrent très souvent de nouveaux horizons et je l’apprécie beaucoup. Je me dis que si les taxes et les impôts que je paie peuvent servir à diffuser dans le grand public des connaissances valables et vérifiables, les capacités organisatrices et nourricières de ces connaissances nous feront graduellement comprendre que le monde entier est notre famille. On ne peut plus rester indifférent aux horreurs de la guerre. Si nous sommes capables de mieux voir ce qui arrive à notre planète et à ses habitants, nous agirons mieux dans nos milieux et nous cesserons d’encourager et de supporter les prédateurs de tous poils.
J’écoute la radio de CBC autant que celle de Radio-Canada. Au cours des dernières années, j’ai envoyé plusieurs fois mes commentaires d’appréciation. À d’autres moments j’ai voulu ajouter un peu de lumière au débat public à partir de mon vécu quotidien au Nouveau-Brunswick et surtout à partir des expériences que j’ai connues au cours de 15 années de travail bénévole dans les pays en développement. J’ai 66 ans et tant que j’en aurai la force et la santé, je veux continuer de partager mes connaissances et mon expérience avec les plus démunis.
Les années que j’ai passées en Haïti, en Colombie, en Inde, aux Philippines et au Sénégal de même que des séjours plus ou moins longs aux États-Unis, en France, en Hollande, en Allemagne, au Chili et en Angleterre m’ont permis de voir le monde dans une perspective plus vaste. J’ai appris qu’il y avait plusieurs façons d’aborder et de solutionner les mêmes problèmes. J’ai appris que nous, Occidentaux, n’avions pas le monopole du droit, de la justice et de la rectitude. J’ai aussi profité de mes séjours à l’étranger pour lire les oeuvres de plusieurs écrivains des pays où je travaillais et leur savoir m’a servi et continue de me servir.
Quand j’écoute la radio ou que je regarde la télévision, je compare, je questionne, et j’évalue en fonction de toutes ces connaissances et expériences acquises au cours des années.
Aujourd’hui, c’est la première fois que je vous écrit. J’ai une grande faveur à vous demander et je vais l’expliquer le mieux possible.
Depuis quelques mois, j’entends des nouvelles au sujet de la Syrie et je dois dire que j’ai de la peine à rester calme. Je suis fâché. Je suis outré. Sachant que Radio-Canada et CBC n’ont pas toujours les moyens d’avoir des correspondants indépendants dans les endroits chauds de l’actualité internationale, j’essaie de tempérer mes transports et de me renseigner ailleurs. L’Internet a depuis longtemps enlevé le monopole de l’information aux grands médias « politiquement prudents. » L’Internet nous permet aussi d’avoir accès aux opinions des écrivains et des journalistes du milieu où se déroulent les événements qui envahissent nos demeures qu’on le veuille ou non.
Nous sommes tellement mal informés au sujet de la Syrie que les religieuses syriennes doivent maintenant sortir de leurs monastères pour dire au troupeau des organisations occidentales de s’ouvrir les yeux et de cesser de s’enfermer dans les grilles de lecture préfabriquées par la pensée hollywoodienne, par la doctrine sioniste, par les diktats de l’empire américain et du Nouvel Ordre Mondial. En tant que francophones, nous nous référons trop souvent aux médias de la France qui n’est plus celle du Général De Gaulle, mais bien celle de Sarkosy. Ce démagogue dangereux est bien sûr le reflet fidèle de la conscience collective qu’il dirige et cela se voit dans les dogmes du rationalisme outrancier et autres élucubrations dangereuses que bien des médias français voudraient faire avaler au reste du monde.
Depuis le printemps dernier, des journalistes indépendants ont séjourné en Syrie. Ils ont été témoins d’une opposition minoritaire et fragmentée, aux objectifs différents, parfois violente et armée. Il faut se demander par qui cette opposition est armée et dans quel but. Les deux mots latins (CUI BONO), attribués à Cicéron, devraient être utilisés plus souvent par tous les journalistes intègres et soucieux de donner l’heure juste. Les mensonges finissent toujours par se savoir; pensons aux fameuses armes de destruction massive restées introuvables. Sommes-nous capables de tirer des leçons de l’Irak, de l’Afghanistan, de la Yougoslavie, de la Libye, etc.?
À qui ces violences profitent-elles et quels en sont les véritables auteurs? Depuis le mois de mars, des journalistes indépendants ont vu une Syrie pas du tout à feu et à sang, généralement très calme, dans les grandes villes notamment où une large partie de la population soutenait le gouvernement. Ils ont vu en mai, en juin et en juillet, des grandes manifestions de soutien pour le gouvernement. Ils ont vu encore dernièrement les résultats d’un référendum favorable au gouvernement. Même l’opposition intelligente ne veut pas de cette ingérence étrangère qui a été désastreuse partout où elle s’est produite.
Qu’est-ce que les révolutions colorées ont amené en fin de compte? Par qui sont-elles fabriquées et financées? L’empire américain et ses vassaux de même que les empires financiers transnationaux continuent de fourrer leurs nez partout sans comprendre que le pouvoir absolu qu’ils recherchent depuis des lustres leur échappe de plus en plus. Les puissantes baleines banquières qu’on ne pouvait pas harponner parce qu’elles ne faisaient jamais vraiment surface sont maintenant forcées d’apparaître au grand jour dans toute leur laideur, leur égoïsme et leur cruauté de prédateurs sans conscience. Les grandes banques dirigent maintenant officiellement la Grèce et l’Italie et d’autres pays vont bientôt passer à la caisse. La démocratie est à la poubelle pendant que la plèbe fait les frais du grand ménage.
Pendant ce temps les médias toujours occupés à se gargariser du « printemps arabe » sans savoir tout ce qui s’est passé en sous-main.pour le préparer et sans parler de l’après désastreux. On ne peut pas en parler parce qu’on est trop occupé à foutre le bordel ailleurs.
Pour ce qui est de la Syrie, les grands médias français bien au chaud dans leurs bureaux de presse et de connivence avec la presse britannique et celle du Qatar ont choisi de construire graduellement un climat de violence attribué uniquement au gouvernement syrien. Mais, ce n’est plus un secret que la France de Sarkozy, le MI6, l’OTAN, Israël, la Turquie, Al-Qaïda, la CIA et les monarchies du Golfe se sont associés–jolis partenaires!–pour soutenir les rebelles et autres groupes de mercenaires et de fanatiques très peu sympathiques et pas du tout démocratiques. Comment ces grands joueurs avec leurs feuilles de route ensanglantées pourraient-ils apporter la démocratie à la Syrie? Leurs régimes est la contradiction même de la démocratie. Ils peuvent envoyer en parlementaires en Syrie tous les Kofi Annan qu’ils peuvent trouver, ils ne pourront jamais redorer le blason de leur crédibilité. Ils l’ont perdu depuis longtemps, même si les médias mainstream prétendent le contraire et s’acharnent à nous le faire croire.
Avant-hier, vous avez invité François Brousseau à brosser un bref tableau de la situation syrienne. M. Brousseau devrait savoir que de nos jours, les connaissances partielles et les demi-vérités sont dangereuses. Oui, de plus en plus dangereuses car elles circulent à la vitesse de la lumière et elles sont reprises en boucles par ceux qui veulent faire flèches de tout bois. Au lieu de se presser avec des informations mal digérés qui risquent d’envenimer le débat, il est préférable de reporter son jugement et de continuer de faire ses devoirs. En Inde, il y a un proverbe qui nous dit que ceux qui arrivent tard arrivent souvent plus forts. What comes late comes stronger.
J’invite François Brousseau à lire un article intitulé Le terrorisme au nom de la « démocratie » où Nadia Khost, une écrivaine syrienne, dénonce le cynisme de l’Occident. Voir: http://www.mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=29200
Sylvia Cattori, une journaliste européenne, peut aussi apporter au moulin de Radio-Canada de l’eau plus limpide que celle qu’on nous a servie depuis plusieurs mois. Voir: http://www.mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=29741 où elle explique assez clairement que les auteurs d’atrocités sont les opposants armés.
Dans la vie, il vient un moment où, malgré nos occupations quotidiennes, on ne plus se taire. Je vous ai écrit longuement car je crois que mon intervention peut servir. J’ai simplement voulu partager une part utile de ce que j’ai appris. Je termine en partageant avec vous des mots de Gilles Vigneault tirés de son livre Balises (Page 110):
Dans le secret des ministères
On calcule encor le moment
Le plus favorable à la guerre
Et s’il reste quelqu’un debout
Ce sera pour dire avant tout
« Si seulement quelque poète
Avait chanté notre méprise
Malheur à celui qui s’est tu. »
Et pour cela même je veille
Ce n’est ni vice ni vertu
Peut-être est-ce au fond pour qu’on dire
Que c’était moi le plus têtu.
Avec Monsieur Vigneault, je répète: « Et les humains sont de ma race. »
Bonne lecture!
Miville Couture
Saint-Jean, Nouveau Brunswick