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Qassem Soleimani, le grand stratège de l’ombre par lecridespeuples


Nouvel article sur Le Cri des Peuples


Par Scott Ritter

Source : RT, le 3 janvier 2020

Traduction : lecridespeuples.fr

Scott Ritter est un ancien officier du renseignement du corps des Marines américains. Il a servi en Union soviétique comme inspecteur de la mise en œuvre du traité INF, auprès du Général Schwarzkopf pendant la guerre du Golfe et de 1991 à 1998 en tant qu’inspecteur des armes de l’ONU.

Les États-Unis ne sont pas préparés aux conséquences de leur assassinat de Qassem Soleimani, ne serait-ce que parce qu’ils ne connaissent rien de la réalité de l’homme qu’ils ont assassiné et ne peuvent pas mesurer l’impact de sa mort sur l’Iran ou le Moyen-Orient.

Qassem Soleimani, le commandant iranien de l’organisation paramilitaire connue sous le nom de Force Quds, qui a contribué à positionner l’Iran en tant que puissance régionale moderne, a été assassiné le 3 janvier 2020, sur ordre direct du Président des États-Unis, Donald Trump. Les dirigeants politiques américains des deux principaux partis ont été unis dans leur description de Soleimani comme d’un homme malfaisant dont la mort devrait être célébrée, alors même que les conséquences de sa disparition restent inconnues.

La célébration de la mort de Soleimani naît cependant d’une ignorance des événements et des actions qui ont façonné l’œuvre qu’il a dirigée, et qui ont défini le monde dans lequel il opérait. Alors que les États-Unis ont décrit Soleimani comme un sous-produit de l’intention malveillante de l’Iran au Moyen-Orient, la réalité est beaucoup plus frappante : Soleimani est le résultat direct de la politique irresponsable et agressive de Washington. Dans un monde défini par les relations de cause à effet, le lien entre Soleimani et la politique des États-Unis est indéniable.

Création d’un héros ennemi

Soleimani a pris de l’importance en Iran pendant la Révolution Islamique iranienne et la guerre de huit ans contre l’Irak, où ses qualités de leader, son courage et sa détermination ont attiré l’attention de hauts dirigeants iraniens, dont le Président d’alors, Ali Khamenei. Durant cette période, Soleimani a développé les compétences qui lui serviraient plus tard en tant que chef de la Force Quds, l’organisation paramilitaire qu’il a contribué à fonder durant la guerre Iran-Irak. [Comme son nom l’indique, cette force est tournée vers les opérations extérieures, qui tendent ultimement à la libération d’Al-Quds (Jérusalem) et de toute la Palestine].

La Force Quds a été conçue pour projeter l’influence iranienne par des moyens secrets. Soleimani et la Force Quds sont apparus au grand jour pour la première fois en 1998, lorsque les Talibans ont assassiné des centaines de chiites afghans et neuf Iraniens (huit diplomates et un journaliste) après avoir capturé la ville de Mazar-i Sharif, dans le nord de l’Afghanistan.

Alors que de hauts responsables militaires iraniens préconisaient une expédition punitive massive dans l’ouest de l’Afghanistan, Soleimani a conseillé une réponse plus limitée, sa Force Quds fournissant une formation et un soutien matériel à l’Alliance du Nord, un groupe de forces composites opposé aux Talibans. Soleimani a personnellement dirigé cet effort, transformant l’Alliance du Nord [issue de l’Islam traditionnel] en une force de combat efficace face aux Talibans.

Après les attaques terroristes du 11 septembre, les États-Unis ont su s’appuyer sur l’Alliance du Nord pour s’implanter en Afghanistan et finalement chasser les Talibans du pouvoir.

Une coopération américano-iranienne aurait pu voir le jour, n’eût été l’intransigeance de l’hostilité de l’Iran à toute intervention étrangère ; l’Iran a fini par être désigné par le Président Bush comme faisant partie de l’ « Axe du mal ».

Formation des rebelles irakiens anti-américains

L’invasion américaine de l’Irak en 2003 aurait pu créer une autre opportunité de coopération irano-américaine. Alors que l’Iran était farouchement opposée à toute présence militaire américaine dans la région, il aurait pu voir un intérêt commun avec les États-Unis dans le renversement de son ennemi juré, Saddam Hussein.

Les Américains, cependant, n’étaient pas préparés à faire face à la réalité d’un Irak post-Saddam, en particulier celui où la majorité de la population chiite exigerait un rôle majeur pour déterminer comment l’Irak serait gouverné. Soleimani et sa Force Quds ont pris l’initiative d’organiser la résistance anti-américaine en Irak, ce qui a provoqué des affrontements de plus en plus violents qui ont fait de nombreuses victimes américaines.

Aujourd’hui, de nombreux vétérans de la guerre en Irak tiennent Soleimani pour personnellement responsable des centaines de soldats américains qui ont perdu la vie en raison des tactiques employées par les milices irakiennes entraînées et équipées par la Force Quds.

Le cerveau du plan de Téhéran pour dominer la région ?

Soleimani n’est pas apparu dans un vide, mais a plutôt été la manifestation de la réponse logique de l’Iran aux menaces extérieures provoquées par les actions des Etats-Unis et de leurs alliés. Le rôle de l’Iran au Liban a pris toute son ampleur par la décision d’Israël d’envahir et d’occuper le sud du Liban en 1982 [l’Imam Khomeini avait fait de la cause palestinienne une cause centrale avant même le triomphe de la Révolution, soutenant financièrement l’OLP] ; la création du mouvement libanais du Hezbollah a suivi.

L’intervention de l’Iran en Syrie est également intervenue après une ingérence massive de puissances extérieures, notamment les États-Unis [et ses vassaux britannique et français], la Turquie et l’Arabie Saoudite, qui ont créé une force armée destinée à retirer le Président syrien Bachar al-Assad du pouvoir. Les actions de Soleimani en ordonnant à la Force Qods d’organiser des milices chiites pro-Assad en Syrie, n’étaient qu’une réaction à cette intervention étrangère dans les affaires souveraines de la Syrie.

De même, lorsque Daech a fait irruption sur la scène en 2014, c’est Soleimani, à l’invitation du gouvernement irakien, qui a aidé à organiser et à équiper diverses milices chiites sous l’égide des Unités de mobilisation populaire (Hachd al-Cha’bi). Soleimani a ensuite dirigé ces Unités dans une série de batailles sanglantes qui ont contribué à inverser la tendance contre Daech bien avant que les États-Unis ne s’engagent [de manière cosmétique] dans les combats. Soleimani a joué un rôle déterminant dans la formation du Moyen-Orient au lendemain du 11 septembre, positionnant l’Iran comme une puissance majeure dans la région, sinon la première puissance.

Cependant, les actions de Soleimani pour atteindre ce résultat ne faisaient pas partie d’un plan directeur iranien visant à la domination régionale, mais de la capacité de l’Iran à réagir efficacement aux erreurs commises par les États-Unis et leurs alliés dans la mise en œuvre de politiques d’agression dans la région.

Au lendemain du retrait américain de l’accord sur le nucléaire iranien en 2018, et de la mise en œuvre ultérieure de la campagne dite de « pression maximale » de sanctions économiques et de confinement géopolitique entreprise par les États-Unis, Soleimani a mis en garde le Président Trump de ne pas s’embarquer sur la voie de la confrontation.

« Vous êtes conscient de notre pouvoir et de nos capacités dans la région », a déclaré Soleimani dans un discours prononcé à l’été 2018. « Vous savez à quel point nous sommes puissants dans la guerre asymétrique. »

Les déclarations de Soleimani étaient prophétiques : après que les États-Unis ont bloqué la vente de pétrole iranien, la Force Quds de Soleimani a réagi en orchestrant clandestinement une série d’attaques contre des pétroliers dans le détroit d’Ormuz et a formé et assisté les Houthis au Yémen, qui ont pu lancer une attaque dévastatrice à l’aide de drones armés contre des installations stratégiques de production pétrolière saoudienne.

Conscient de la vulnérabilité de la position américaine en Irak, Soleimani a pu exhorter le gouvernement irakien à mettre fin à la présence militaire américaine sur le sol irakien. Ces activités étaient en cours avant même que les États-Unis ne bombardent les forces de la milice populaire irakienne dimanche dernier, déclenchant les événements qui ont abouti à l’assassinat de Soleimani.

Sa mort rendra-t-elle le monde plus sûr ?

La réalité est que la seule chose plus dangereuse pour les États-Unis qu’un monde avec Qassem Soleimani est un monde sans Qassem Soleimani, dans lequel il est mort assassiné sur l’ordre d’un Président américain.

Vivant, Soleimani serait en mesure d’enjoindre efficacement à la patience et à la prudence une direction iranienne de plus en plus poussée par des membres plus raidcaux de l’establishment iranien de la défense, qui souhaiteraient prendre une position plus proactive pour contrer les politiques américaines, saoudiennes et israéliennes dans la région.

Thousands take to the streets of #Iran in honor of killed military general #Soleimani

MORE: https://t.co/CzbTI1MiB8 pic.twitter.com/Kc0gn8yymh

— RT (@RT_com) January 3, 2020

Assassiné, Soleimani se transforme en martyr-héros dont les exploits motiveront ceux qui cherchent à les reproduire, face à un ennemi américain dépourvu de la retenue et de la sagesse qui naissent habituellement de l’expérience.

Loin de faire du Moyen-Orient et du monde un endroit plus sûr où vivre et travailler, l’assassinat précipité de Qassem Soleimani par le Président Trump a condamné une nouvelle génération à subir les conséquences tragiques des prétentions hégémoniques excessives des États-Unis après le 11 septembre.

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