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Qui tue qui en Iraq? par Khouloud El Amri,


Publié par Candide le 2 octobre 2017 dans Chroniques

A Bagdad, les kamikazes sont enterrés à côté de leurs victimes. Les interpellations, les assassinats et les cadavres anonymes, transportés dans de camionnettes officielles à ciel ouvert, font désormais partie de la vie quotidienne des Iraquiens qui semblent s’y être habitués. Pas un jour, depuis trois ans, où l’on n’annonce la découverte de nouveaux cadavres, jetés en bordure des pistes dans les zones agricoles, à proximité des décharges publiques et des canalisations des eaux usées à la lisière des villes et notamment à Bagdad. La plupart du temps, les cadavres ont les mains enchaînées, les yeux bandés et portent des marques de la torture, selon les communiqués du ministère de l’intérieur. Les forces de police iraquienne commencent normalement leur journée en allant à la recherche des « cadavres anonymes » qui leur ont été signalés souvent par des passants. Les statistiques officielles dénombrent en moyenne dix à trente cadavres abandonnés par jour lesquels sont transportés dans les hôpitaux officiels dans un premier temps, puis à l’institut de médecine légale à Bagdad dans l’attente que des proches reconnaissent les victimes. Au bout d’un certain temps, nombre d’entre elles sont enterrées par les médecins eux-mêmes.

L’assassin et la victime côte à côte Selon le docteur Kaïs Hassen, directeur de l’Institut de médecine légale de Bagdad, la morgue a une capacité de moins de 200 cadavres par mois, mais actuellement elle en reçoit plus de 1000 en moyenne par mois. Selon lui, le nombre de cadavres d’inconnus, reçus par la morgue de l’Institut médico-légal de Bagdad, est passé de 2008 en 2002 à 10 105 à la fin de 2005. Ces chiffres ne couvrent pas les victimes des explosions et des affrontements armés dans les villes chaudes, mais couvrent seulement les corps en lambeaux des kamikazes et de leurs victimes, ainsi que les cadavres anonymes découverts par la police. Il ajoute que « les règlements du ministère de la Santé autorisent à conserver à la morgue, pendant deux mois, les cadavres d’anonymes qu’on ne parvient pas à identifier. Mais ces règlements se trouvent faussés par le nombre de plus en plus important de cadavres, si bien que les médecins procèdent, toutes les semaines, à leur enterrement dans les cimetières publics, après avoir obtenu l’autorisation du juge responsable et sous le contrôle de la municipalité de Bagdad ». Les cadavres ne sont enterrés qu’une fois photographiés et leurs signes distinctifs relevés. Les lambeaux de vêtements, les bijoux ainsi que d’éventuels achats des victimes, sont conservés dans l’attente que des proches des victimes viendraient à les reconnaître. Des numéros spéciaux sont donnés aux tombes pour faciliter aux proches la reconnaissance des leurs en cas de besoin. L’enterrement se fait par groupe de 60 à 70 cadavres, y compris les restes des kamikazes, qui côtoient leurs victimes dans le même cimetière. Le docteur Hassen fait remarquer que la majorité des cadavres porte des impacts de balles, alors que d’autres, apparus récemment, portent des traces de strangulation. D’autres cadavres portent les traces de la torture par le feu ou la perceuse. Il ajoute que le nombre de corps réceptionnés à la morgue, au cours du mois de janvier de cette année, était de 1 086, puis de 1 110 au mois de février dernier, remarquant que les mesures de sécurité drastiques prises ces derniers temps, tels que le couvre-feu, ont permis de conserver cette moyenne.

Les proches des victimes et les tombes d’inconnus Dans les grands cimetières de Bagdad, Kerbala, Nadjaf, il y a entre les rangées de tombes, de nombreux espaces difformes, défrichés et ne portant aucune marque distinctive. Il s’agit en fait de tombes creusées à la hâte et renfermant des morts anonymes, enterrés par les autorités après des semaines d’attente pour une reconnaissance par des proches. Le propriétaire du « Moghtasel Al Fourat », « endroit où l’on purifie les morts », Abou Zineb déclare que les enterrements se font sous le contrôle des autorités administratives et des Habous chiites [« biens religieux »], ajoutant que de nombreux cadavres étaient anonymes. Il dit que le dernier chiffre des morts réceptionnés était de 125, tués de diverses manières et dont certains avaient les bras et les jambes coupés. Abou Saad, le père d’une victime classée inconnue, raconte son calvaire dans la recherche de son fils, kidnappé par un groupe armé, à sa sortie de la maison pour aller au travail. Ainsi, il a dû faire et refaire une longue tournée des postes de police et autres centres de sécurité dépendant des ministères de l’Intérieur et de la Défense, pour finir enfin entre les cadavres anonymes dans les hôpitaux et à l’institut médico-légal. Il dit que c’est un de ses voisins qui le lui avait conseillé. Ce dernier avait retrouvé le corps de son fils, ancien agent des forces de sécurité, disparu depuis trois mois, par l’intermédiaire de l’institut médico-légal. Il a pu ainsi obtenir le numéro de la tombe de son fils au cimetière Al- Karakh à Bagdad et dit avoir caché cette terrible vérité à sa femme, étant donné son état de santé et pour la laisser encore vivre sur l’espoir.

Accusations et suspicions Quoique toutes les composantes politiques, sunnites et chiites, s’accordent à dire que les assassinats confessionnels perpétrés récemment dans le pays, font partie de tentatives de provoquer la guerre civile, elles n’hésitent pas cependant à s’accuser mutuellement d’en porter la responsabilité. Certains dirigeants sunnites accusent des milices chiites, notamment l’organisation Badr dépendant du Conseil de la révolution islamique en Iraq, présidé par Abdel Aziz Al Hakim, de commettre ces opérations. Utilisant des cagoules noires et des véhicules comparables à ceux des forces de police et de sécurité du ministère de l’Intérieur, elles enlèvent leurs victimes, les assassinent et jettent leurs corps dans des lieux inconnus. Ces escadrons de la mort constituent une grande énigme en Iraq et leurs actions meurtrières sont l’objet d’une polémique entre les Iraquiens car ils ont fait des centaines de victimes innocentes et sans armes, dont ils n’hésitent pas à martyriser les corps et à les jeter dans les décharges publiques et les canalisations des eaux usées. Leurs méfaits, plus nombreux chaque fois qu’il y a un relâchement de la sécurité, s’exercent surtout dans les grandes villes où cohabitent de nombreuses composantes religieuses, confessionnelles et ethniques. Les habitants des grandes villes telles que Bagdad, Mossoul, Babel et Diali peuvent voir ces escadrons déambuler dans les rues de leurs villes respectives, interpellant les fidèles dans les mosquées, pénétrant dans les maisons pour enlever le père, souvent accompagné du fils, dont on retrouve les corps martyrisés et portant les traces de la torture, le lendemain. Les accusations à l’encontre de la milice Badr, reposent sur le fait que ces assassinats se sont multipliés après que le Conseil supérieur de la révolution islamique a pris le portefeuille de l’Intérieur dans le gouvernement provisoire, au mois d’avril de l’année dernière. Le ministère de l’Intérieur, pour sa part, nie toute implication dans ces assassinats et dément disposer d’escadrons spécialisés dans les assassinats ciblés de sunnites. Il reconnaît cependant que des hommes armés, portant sa tenue, sont derrière une série d’enlèvements et d’assassinats perpétrés dans des quartiers à majorité sunnite.

Original : http://www.alhayat.com/special/features/04-2006/Item-20060408-7a2ee778-c0a8-10ed-0105-00346473ba9f/story.html/

Traduit de l’arabe par Ahmed Manaï

http://www.tunisitri.net/

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