Remise en question des « listes des victimes » syriennes
avril 13, 2012
INVESTIG’ACTION
Sharmine Narwani
11 avril 2012
Selon le vieil adage, la politique serait constituée de 100% de perceptions. Le fait d’affirmer quelque chose maintes fois le transforme souvent en vérité. Tout le monde « sait » que « l’aspirine, c’est bon pour le coeur ». Cependant le jeu des perceptions s’avère parfois dangereux. Dans le monde sordide de la politique, la perception des faits prend toujours le pas sur la réalité de ceux-ci. Dans le cas du conflit syrien, le sujet qui nourrit tous les débats au niveau international est le nombre de morts et son corollaire : la liste syrienne des victimes. « La liste » jouit d’une grande reconnaissance non pour sa spécificité mais pour les chiffres qu’elle répand : 4000, 5000, 6000, parfois plus. Ce ne sont pas que de simples chiffres : ils représentent des morts syriens.
Mais voici où les perceptions commencent à être dangereuses. Il existe plusieurs listes de victimes syriennes qui donnent des chiffres différents. Comment fait-on pour affirmer qu’un nombre X soit bien celui du nombre des morts ? Comment les décès ont-ils été vérifiés ? Qui a vérifié les morts et les vérificateurs avaient-ils des intérêts en jeu ? Est-ce que tous les morts sont des civils ? Des civils pro ou anti-régime ? Est-ce que ces listes incluent les quelques 2000 morts chez les forces de sécurité syriennes ? Est-ce qu’elles prennent en considération les membres de groupes armés ? Comment les agents recenseurs font-ils la différence entre un civil et un membre de la milice vêtu en civil ?
Un vrai défi logistique. Comment arrive-t-on à relever des nombres précis quotidiennement sur la totalité du territoire syrien ? Un membre de l’équipe libanaise d’établissement des faits enquêtant sur le décès de manifestants palestiniens abattus le 15 mai 2011 par les israéliens à la frontière libanaise me disait qu’il leur aurait fallu trois semaines pour découvrir qu’il y a eu en réalité six décès au lieu des 11 déclarés le jour de l’incident. La confrontation n’ayant duré que quelques heures.
Comment peut-on relever 20, 40 ou 200 morts en quelques heures au beau milieu d’une zone de combat ?
Le premier endroit où je me suis arrêté pour tenter de répondre à ces questions quant à la liste des victimes syriennes a été le bureau du Haut Commissariat aux Droits de l’Homme des Nations Unies, qui semblait être la source la plus fiable d’information sur le sujet, jusqu’à ce qu’ils renoncent à recenser les morts du conflit le mois dernier.
L’ONU avait commencé ses efforts visant à fournir un décompte des pertes humaines syriennes en septembre 2011 s’appuyant principalement sur cinq sources différentes. Trois de ces sources étaient : le Centre de Documentations sur les Violations (VDC), l’Observatoire Syrien pour les Droits de l’Homme (SOHR) et le site internet syrien Shuhada. A cette époque, les nombres apparaissant sur les listes variaient entre 2400 et 3800 morts.
La liste non-ONU citée le plus fréquemment par les médias est celle de l’Observatoire Syrien pour les Droits de l’Homme ou SOHR.
Le mois dernier, le SOHR a fait parler de soi dans les médias lorsqu’un différend entre l’orientation politique et le décompte des corps avait éclaté. En effet deux Observatoires Syriens pour les Droits de l ‘Homme (SOHR) se réclamaient l’authenticité du SOHR. Néanmoins, le groupe reconnu par Amnesty International est dirigé par Rami Abdul Rahman.
Le porte-parole du Haut-Commissariat aux Droits de l’Homme Rupert Coleville avait déclaré lors d’un entretien téléphonique que l’ONU procédait à une évaluation de ses sources pour vérifier leur fiabilité mais a semblé prendre ses distances avec l’Observatoire Syrien pour les Droit de l’Homme (SOHR) lors du différend apparu dans les médias disant que : « Bien que nous ayons étudié leurs chiffres, le fonctionnaire de l’ONU en charge des listes n’avait pas de contact direct avec l’Observatoire syrien. Nous n’étions pas au courant de l’existence de ce groupe auparavant, il n’était pas basé dans la région donc nous étions quelque peu méfiants envers lui. »
Colville d’expliquer que l’ONU a toujours cherché à « faire des estimations prudentes » et que « nous somme assez confiants que ces chiffres arrondis ne soient pas trop éloignés de la réalité. »
Bien « qu’ayant reçu des témoignages de victimes et de transfuges, dont certains confirmaient des noms spécifiques », l’ONU, dit Colville, « n’est pas en mesure et ne sera jamais en mesure de contre-vérifier des noms. »
J’ai encore parlé avec lui après que l’ONU ait décidé de suspendre le décompte des victimes fin janvier. « Il n’a jamais été facile de procéder à des vérifications mais cela était plus simple avant. La composition du conflit a changé. Il est devenu beaucoup plus complexe, beaucoup plus fragmenté, » dit Colville. « Bien qu’il ne fasse aucun doute qu’il y ait des victimes civiles et militaires, nous sommes dans l’impossibilité de les chiffrer. »
« Les listes sont claires. La question est de savoir si l’on peut totalement approuver leur exactitude, » explique-t-il, citant les « chiffres élevés » faisant obstacle à la vérification.
Les listes des victimes sous la loupe : des histoires derrière les chiffres
Parce que l’ONU a cessé le recensement du nombre des victimes, les journalistes ont commencé à se tourner vers leurs sources préalables pour chiffrer le nombre de morts syriens. L’Observatoire Syrien pour les Droits de l’Homme (SOHR) étant toujours la plus connu d’entre elles.
Bien que la liste publiée par l’Observatoire Syrien pour les Droit de l’Homme (SOHR) d’Abdul Rahman ne soit ouverte au public, j’ai trouvé début février un lien sur le site internet de l’autre Observatoire Syrien pour les Droit de l’Homme et voici ce que j’ai pu y trouver. La base de données répertorie le nom, l’âge, le sexe, le lieu, la province et la date du décès des victimes lorsqu’elles sont disponibles. Par exemple, en décembre 2011, on pouvait trouver 77 victimes enregistrées sans informations pour les identifier. Il y figurait environ 260 inconnus en tout.
A cette époque j’avais mis la main sur une première liste de syriens tués dans le conflit qui aurait été compilée en collaboration avec le SOHR. La liste contenait les noms de réfugiés palestiniens tués par des tirs israéliens sur le plateau du Golan le 15 mai 2011 ainsi que le 5 juin 2011 lorsque des manifestants s’étaient rassemblés sur la ligne d’armistice israëlo-syrienne. Mon premier réflex a été de vérifier si ce genre d’erreur flagrante apparaissait sur la liste produite par le SOHR examinée ici.
A mon grand étonnement la liste des victimes de ces deux jours était inclue dans le décompte de SOHR, quatre victimes du 15 mai (#5160 à #5163) et 25 victimes des tirs israéliens du 5 juin (#4629 à #4653). Le répertoire de la liste mentionne même que les décès ont eu lieu à Quneitra, situé sur le plateau du Golan.
On a pu faire rapidement un lien entre des noms connus de personnes pro-régime syrien de la liste du SOHR et des images de funérailles diffusées sur YouTube. La raison pour laquelle nous avons fait des recherches de liens concernant les obsèques est qu’on peut remarquer une grande différence entre les messages écrits sur les bannières, les drapeaux et autres signes entre les pro et anti-régimes. Nous retrouvons ci-dessous une liste de huit de ces individus avec leurs numéros, noms, dates et lieux du décès sur la liste des victimes suivis par un lien video et autres informations si disponibles :
#5939, Mohammad Abdo Khadour, 19/04/2011, Hama, colonel hors-service de l’armée syrienne, tué par balles dans sa voiture, Funeral link
#5941, Iyad Harfoush, 18/04/2011, Homs, Commandant hors-service de l’armée syrienne. Sa femme affirme dans une vidéo que Harfoush a été tué alors qu’il enquêtait sur des tirs qui ont eu lieu dans le quartier de al Zahra, zone pro-régime de Homs, Funeral link.
#5969, Abdo al Tallawi, 17/04/2011, Homs, Général de l’armée syrienne tué aux côtés de ses deux fils et d’un neveu. Les images des funérailles montrent les quatre victimes. On trouve les autres victimes sur la liste au #5948, Ahmad al Tallawi, #5958, Khader al Tallawi et #5972, Ali al Tallawi, tous à Homs, Funeral link.
#6021, Nidal Janoud, 04/11/2011, Tartous, un Alawite qui a été sérieusement tailladé par ses assaillants. L’homme portant la barbe à droite sur la photo et un autre suspect sont actuellement en procès pour meurtre, Photo link.
#6022, Yasar Qash’ur, 04/11/2011, Tartous, lieutenant colonel de l’armée syrienne, tué avec 8 autres personnes lors d’une embuscade contre un car à Banyas, Funeral link.
#6129, Hassan al-Ma’ala, 05/04/2011, policier, banlieue de Damas, Funeral link.
#6130, Hamid al Khateeb, 05/04/2011, policier, banlieue de Damas, Funeral link.
#6044, Waeb Issa, 04/10/2011, Tartous, colonel de l’armée syrienne, Funeral link.
Figurant sur la liste du SOHR, les noms du Lt. Col. Yasar Qashur, Iyad harfoush, Mohammad Abdo Khadour et le Général abdo al Tallawi ses deux fils et son neveu apparaissent également sur deux autres listes de victimes, celle du VDC et celle de Shuhada (mentionnées plus haut), les deux utilisées par les Nations Unies pour leurs statistiques.
Le journaliste américain Nir Rosen qui a passé plusieurs mois dans les zones sensibles syriennes et qui avait accès aux groupes armés de l’opposition déclarait dans un interview récent sur Al Jazeera,(Al Jazeera interview 🙂 :
« L’opposition donne chaque jour une estimation du nombre de victimes généralement sans donner aucune explication sur les causes des morts. Beaucoup de ces victimes
sont en réalité des combattants dans l’opposition mais la cause de leur mort est dissimulée et décrits dans les rapports comme étant des civils innocents tués par les forces de sécurité alors qu’ils protestaient ou étaient tranquillement assis chez eux à la maison. Bien sûr que de telles morts arrivent aussi régulièrement. »
« Et chaque jour des membres de l’armée syrienne, des forces de sécurité et du vague phénomène de milice paramilitaire connu sous le nom de shabiha [« voyous »] se font tuer par les combattants anti-régime, » de continuer Rosen.
Le rapport publié en janvier par des observateurs de la Ligue Arabe, complètement ignoré par les médias internationaux, après une mission d’observation d’un mois en Syrie signale que les observateurs ont été témoins d’actes de violence de la part de groupes armés de l’opposition à l’encontre de civils et des forces de sécurité.
Il est écrit dans le rapport : « La mission d’observation a été témoin à Homs, Idlib et Hama d’actes de violence commis contre les forces gouvernementales et des civils…Par exemple le bombardement d’un car civil tuant huit personnes et en blessant d’autres parmi lesquelles femmes et enfants…Lors d’un autre incident à Homs, un car de la police a explosé tuant deux policiers. » Les observateurs relèvent également que « certains groupes armés utilisaient des fusées éclairantes ainsi que des munitions antiblindage. »
Fait très important, le rapport confirme la dissimulation d’informations sur les victimes en déclarant que : « Les médias ont exagéré la nature des incidents et le nombre de personnes tuées au cours d’incidents et de protestations dans certaines villes. »
A la veille d’un vote du conseil de sécurité de l’ONU portant sur la Syrie le 3 février, une information était diffusée disant qu’un massacre était en train d’être commis à Homs,( massacre was taking place in Homs,). Les médias de masse considérant cette information comme étant la véritéprétendaient que les violences étaient perpétrées par le gouvernement syrien. Le SOHR de Rami Abdul Rahman avait largement été cité par les médias portant le nombre des victimes à 217. Les Comités de Coordination Locaux (LCCs) qui sont la source d’information du VDC évaluaient à « plus de 200 » et le Conseil National Syrien (SNC), une sorte de gouvernement par contumace des expatriés, portaient l’évaluation à 260 victimes.
Le jour suivant, le décompte avait été revu à la baisse par les Comités de Coordination Locaux (LCCs) à 55 victimes (lien : http://www.bbc.co.uk/news/world-middle-east-16883911 )
55 victimes est un nombre décidément élevé. Par qui ont-elles été causées ? Par le gouvernement Syrien ? Par l’opposition armée ? Les victimes ont-elles été prises entre les tirs croisés entre les deux parties ? Ce sont les questions qui devraient ressortir d’entre tous ces discours assourdissants, des listes et de l’inventaire des corps.
En droit international, les détails sont importants
Bien que la perception générale des victimes syriennes tend à nous faire croire qu’elles seraient principalement civiles non armées et délibérément visées par les forces gouvernementales, il est devenu évident que l’on peut aussi trouver parmi les victimes : des civils pris au milieu de combats entre les forces gouvernementales et l’opposition armée, des victimes de violences perpétrées par des groupes armés, des membre de ces mêmes groupes armés décédés dont les vêtements ne permettent de faire aucune distinction d’avec des civils et des membres des forces de sécurité syriennes actifs ou non.
Même si nous pouvions vérifier les noms et chiffres figurant sur une liste syrienne des victimes cela ne nous informerait en rien sur l’histoire de ces gens. Si leur histoire était révélée, cela pourrait changer complètement le visage de ce qui se déroule actuellement en Syrie.
Ces questions sont d’une importance capitale pour pouvoir comprendre la charge des responsabilités dans ce conflit. Le droit international prévoit différentes principes selon le type de conflit. Les deux plus plus utilisées sont : le principe de nécessité qui prévoit l’usage de la force en cas de nécessité et le principe de proportionnalité qui prévoit l’utilisation de la force en rapport avec la menace.
Dans le cas de la Syrie, Bahrain, du Yemen, de l’Egypte et de la Libye il est généralement admis que les forces gouvernementales aient utilisé la force de manière abusive en première instance. Comme beaucoup de dirigeants arabes le président syrien Bashar el-Assad est allé jusqu’à admettre ces « erreurs » au cours des premiers mois de contestation. Par erreurs on entend des assassinats par balles, la détention d’un très grand nombre de manifestants dont certains on été torturés.
Admettons que le gouvernement syrien ait utilisé la force abusivement dès le départ, violant ainsi le principe de nécessité. J’ai tendance à adhérer à cette version puisqu’elle a été rapportée comme tel par la mission d’observation de la Ligue Arabe qui a été la seule à observer le conflit sur le terrain sur place .
Toutefois et c’est ici qu’entrent en ligne de compte les listes de victimes syriennes : il n’y a pour l’instant pas assez de preuves, du moins recevables par une cours de justice, que le gouvernement syrien ait enfreint le principe de proportionnalité. D’affirmer que le régime ait fait un usage disproportionné de la force pour faire face à la crise est aujourd’hui difficile à admettre en grande parti parce que l’opposition a dès le début utilisé des armes à l’encontre des forces de sécurité et des civils favorables au régime.
En considérant le nombre des victimes fourni par le Haut Commissariat aux Droits de l’Homme de l’ONU qui est d’environ 5000, la question serait de savoir si ce nombre était très disproportionné par rapport aux 2000 soldats de l’armée régulière syrienne et autres forces de sécurité qui auraient été tués depuis avril 2011.
En calculant le nombre de victimes du côté des forces gouvernementales syriennes depuis les 11 derniers mois nous obtenons une moyenne de six décès par jour. Ceci est à mettre en comparaison avec le taux total de 15 morts par jour rapporté régulièrement par les militants, beaucoup de ces décès n’étant potentiellement pas des civiles ou victimes de violences ciblées. Le nombre comparable des victimes suggère que ce conflit comporte pratiquement le même nombre d’actes de violence des deux côtés.
Alors que les syriens étaient appelés à voter lors d’un référendum constitutionnel dimanche dernier, l’agence Reuters (Reuters reports) citant le SOHR rapportait que 9 civils et 4 soldats avaient été tués à Homs et que 8 civils et 10 agents de sécurité avaient été tués sur le reste du territoire. En tout 17 civils et 14 soldats du régime. Les membres de l’opposition armée ne figurent-ils pas dans ces chiffres ? N’y a-t-il pas de victimes parmi eux ou est-ce que leur nombre est inclus dans le nombre des victimes civiles ?
Déserteurs ou simples soldats ?
Il a été rapporté à plusieurs reprises que la majorité des soldats qui avaient été tués lors d’accrochages ou d’assauts étaient en fait des déserteurs exécutés par d’autres membre de l’armée régulière. Il s’agirait d’un phénomène très limité selon les preuves disponibles. Il serait presque impossible pour l’armée syrienne de rester intacte si elle se retournait de la sorte contre ses propres soldats. Les forces armées ont fait preuve d’une cohésion remarquable lors de ce conflit considérant la durée et l’intensité de ce dernier.
En outre, les noms, grades et lieux d’origine de chaque soldat décédé sont largement diffusés quotidiennement par les médias contrôlés par l’état souvent accompagnés de funérailles télédiffusés. Il serait assez simple pour l’opposition organisée d’identifier les noms des déserteurs sur leurs listes de victimes, ce qui n’a pas été fait.
Le tout premier incident faisant des victimes au sein de l’armée régulière syrienne que j’ai pu vérifier remonte au 10 avril 2011 lorsque des hommes armés avaient pris un car de soldats pour cible, traversant Banyas faisant 9 victimes chez les soldats. Cet incident s’était déroulé quelques semaines seulement après le début des protestations pacifiques en Syrie, retraçant l’origine des violences contre le régime syrien au début du soulèvement politique dans le pays.
Des « témoins » cités par la BBC, Al Jazeera et The Guardian soulignaient le fait que les 9 soldats tués étaient en réalité des « déserteurs » exécutés par l’armée syrienne pour avoir refusé d’obéir à l’ordre de tirer sur des manifestants.
Joshua Landis, directeur du centre d’études sur le Moyen Orient à l’université d’Oklahoma démenti (debunked that version) cette version des faits sur son site internet. Un autre survivant de l’attentat, soldat présent à l’intérieur du car au moment des faits, une relation du lieutenant-colonel Qashur Yasar, #6022 sur la liste du SOHR, dont on peut trouver le lien des les funérailles plus haut dans cet article, a réfuté qu’ils étaient des déserteurs. La théorie disant que les soldats décédés sont en majorité des déserteurs exécutés par l’armée revient de façon récurrente depuis le début de ce conflit moins comme preuve que des groupes armée ciblent les forces syriennes et les civils pro-régime, ce qui devient de plus en plus évident.
Le VDC (centre de documentation sur les violations), une autre source d’information du Haut Commissariat aux Droits de l’Homme de l’ONU quant au dénombrement des victimes prétendent que 6399 civils et 1680 déserteurs ont été tués en Syrie entre le 15 mars 2011 et le 15 février 2012. Est-ce que tous les militaires tués en Syrie depuis les 11 derniers mois étaient bien des « déserteurs » ? Pas un soldat, policier ou agent de renseignement n’aurait été tué en Syrie sauf pour ceux faisant parti des forces opposées au régime ? Voici le genre de théorie sans fondement qui continue d’être répandue sans la moindre vérification. Pire encore, nous retrouvons précisément cette statistique du VDC dans le dernier rapport de l’ONU portant sur la Syrie publié la semaine dernière.
Crise humanitaire ou violence ordinaire ?
Bien qu’il ne fasse peu de doutes quant à la répression violente face à la révolte de la part des autorités syriennes, la question à savoir si il y a effectivement une « crise humanitaire » comme l’on suggéré plusieurs dirigeants arabes et occidentaux depuis l’année dernière se pose de plus en plus. Je suis allé chercher des réponses lors d’un voyage à Damas début janvier 2012. J’étais allé rencontrer quelques OMG sélectionnées qui avaient accès à tout le territoire syrien.
Etant donné que des mots comme « massacre », « carnage » et « crise humanitaire » sont employés lorsqu’on parle de la Syrie, j’ai demandé au porte parole du Comité International de la Croix Rouge Saleh Dabbakeh combien d’appels d’urgence médicale son organisation avait reçu en 2011. Sa réponse fut choquante : « un seul dont je me souvienne », avait répondu Dabbakeh. D’où venait-il ? avais-je demandé, » de l’hôpital Quneitra National Hospital dans le Golan », avait-il dit, « en juin dernier. » C’était lorsque les troupes israéliennes avaient ouvert le feu sur des manifestants syriens et palestiniens marchant vers la ligne d’armistice de 1973 avec l’état juif. Les noms de ces mêmes manifestants sont apparus sur la liste des victimes publiée par le SOHR.
Un membre du Croissant Rouge Arabe a dit aussi se souvenir que son organisation était intervenu auprès de centaines de victimes de cet incident hautement médiatique.
Cependant, alors que le niveau de violence a augmenté, la situation s’est détériorée et le CICR reçoit actuellement plus d’appels demandant de l’aide médicale principalement d’hôpitaux privés de Homs. Le Croissant Rouge Arabe Syrien (SARC) est présent sur neuf sites à l’intérieur de Homs pour fournir de l’aide médicale. Pour leur propre sécurité par ce qu’il y a des combats qui y font rage, les deux seuls endroits dans lesquels ne se rendent pas les membres du SARC sont les quartiers de Baba Amr et Inshaat.
Un officiel d’une ONG m’expliquait lors d’un entretien téléphonique que le niveau de la « crise humanitaire » se limite aux denrées de base, des services et des soins médicaux. Il m’a aussi affirmé hors entretien « qu’il y a une crise humanitaire actuellement à Baba Amr mais pas en Syrie. Si les combats devaient prendre fin demain, il y aurait suffisamment de denrées alimentaires et de matériel médical. »
« Il y a suffisamment de denrées alimentaires pour que la Syrie se nourrisse pendant longtemps. Le secteur médical fonctionne encore très bien. Il n’est encore pas sous pression au point de déclencher une crise, » a-t-il précisé. « Il y a crise humanitaire lorsqu’une large partie de la population n’a plus accès aux soins médicaux, à l’alimentation, à l’eau, à l’électricité etc…lorsque le système ne peut plus répondre aux besoins de la population.
Mais un travailleur des droits humains internationaux nous met en garde : » les meurtres prennent part des deux côtés, il n’y a pas un parti mieux que l’autre. »
Les gens doivent en finir avec ce réflexe opportuniste, avec cette obsession hystérique des chiffres de Syriens tués. Ils devraient plutôt se demander : « qui sont ces gens et par qui ont-ils été tués ? » Ceci est le stricte minimum que méritent les victimes. Moins que cela enlèverait tout sens à leur mort. Le manque de transparence tout au long de la chaîne d’informations et de diffusion, des deux côtés, transforme le conflit syrien en concours de perceptions faisant l’impasse sur les faits.Il s’agit d’un résultat creux et des gens mourront en bien plus grand nombre.
Sharmine Narwani est écrivain et analyste politique qui couvre le Moyen Orient. Vous pouvez le suivre sur twitter@snarwani.
Source originale : Al-Akhbar
Dessin : Carlos Latuff
Traduit de l’anglais par Francis Roux pour Investig’Action
Source : Investig’Action – michelcollon.info