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Rester ou quitter, tel est le dilemme auquel font face, plus que jamais, les Syriens


Témoignage

Rester ou quitter, tel est le dilemme auquel font face, plus que jamais, les Syriens
Nabil Antaki

Lundi 1er septembre 2014

Lettre d’Alep (No 19)

Rester ou quitter, tel est le dilemme auquel font face, maintenant plus que jamais, les Syriens en général et les Alépins en particulier. Quoi faire?… Résister encore?… Rester en dépit de tout ce qui se passe ? De tout ce que nous subissons depuis plus de trois ans ? Quelle solution ?…Quel avenir ?… Mais y-en a-t-il un ?…Quitter définitivement ?… Aller vivre ailleurs son avenir et surtout celui de ses enfants ?…Aller où ?…Comment ?… Faire une croix sur tout le passé ? Laisser tout ce qu’on possède et repartir à zéro ?… La litanie de ces questions sans réponses est longue et elle est répétée à longueur de journée. De plus en plus, les gens qui temporisaient, qui laissaient les questions et…les réponses en suspend en attendant de voir plus clair, en espérant une solution prochaine à la crise ou tout simplement parce qu’ils n’osaient pas ; De plus en plus les gens (surtout les chrétiens) quittent maintenant la Syrie et partent pour un exil définitif, pour un pays qu’ils n’ont pas choisi ; « Peu importe où je vais, l’important, c’est que j’y arrive pour que je puisse vivre en paix ».

La patience des gens est à bout ; depuis 3 ans que dure le conflit syrien (avec ses 192000 tués, ses millions de déplacés et de réfugiés), ils ne voient pas de solution poindre à l’horizon. Et puis, il y a eu cette cascade d’évènements qui ont faire perdre, même aux plus optimistes, leurs illusions. D’abord le blocus de la ville qui a duré plusieurs semaines, puis la coupure totale de l’eau pendant plus de deux mois, les bombes et les mortiers qui continuent à faire leur ravage quotidien en morts et blessés….

Mais c’est surtout la peur, la trouille qu’ont les gens devant ce groupe de sauvages qui ont pris possession de tout l’est de la Syrie et du nord de l’Irak pour y instaurer un État avec une loi islamique qui n’a rien à voir avec l’Islam ;

Un groupe composé en majorité d’étrangers avec lesquels nos compatriotes musulmans ne s’identifient guère. Des gens qui égorgent (des personnes vivantes), qui décapitent (et pas seulement des journalistes américains), qui crucifient (des personnes vivantes jusqu’à la mort), qui lapident (des femmes soi-disant adultères), qui flagellent pour punir (les fumeurs par exemple), qui enterrent des personnes vivantes, qui vendent les femmes (comme esclaves)….La liste de leurs actes barbares et cruels est très longue pour qu’elle soit décrite dans cette lettre.

Et c’est, surtout, le sort réservé aux chrétiens de Mossoul et de Qaraqosh ainsi qu’à d’autres « minorités » religieuses (qui sont irakiennes autant que les musulmans) comme les Yezidis qui a été l’évènement…la catastrophe les plus déterminants dans la décision des syriens de quitter le pays ; Se convertir ou la mort ?… Fuir… Partir en exode…Des centaines de milliers de personnes qui quittent la terre de leurs ancêtres,… leurs racines,… leur histoire et partir sans pouvoir rien emporter avec soi, même pas son alliance ou un peu d’argent, être chassés… puis exterminés comme les Arméniens l’ont été par les Ottomans en 1915 lors du 1er génocide du 20ème siècle.

Alors, Alep se dépeuple de ses chrétiens ; Il n’en reste plus que la moitié (selon les optimistes) ou le tiers, par rapport à leur nombre d’avant le conflit. Il y’ a trois ans, les gens aisés et l’élite (médecins, hommes d’affaires, universitaires…) avaient quitté en attendant des jours meilleurs, puis le provisoire est devenu définitif. Mais récemment, tout le monde veut quitter : classes moyennes, jeunes, moins jeunes, pauvres, personnes sans ressources… c’est à qui mieux mieux.

Et nous, que pouvons-nous dire, qu’avons- nous à dire à tous ces candidats à l’exil ? Les encourager ? Les dissuader ?

Que pouvons-nous dire à ces 3 jeunes couples qui sont venus il y a une semaine nous faire leur adieu, partant au Liban s’inscrire au bureau des Nations-Unis pour les réfugiés pour avoir un visa d’immigration ? Trois ans sans travail pour de jeunes foyers à qui tout souriait quand ils se sont lancés dans la vie professionnelle et conjugale il y a quelques années ?

Que pouvons-nous répondre à ces familles des plus démunies que nous aidons matériellement et qui n’en peuvent plus d’habiter le quartier pauvre de Midane, cible quotidienne des obus des rebelles et qui ont vu plusieurs voisins tués ou blessés et qui ont peur pour elles-mêmes et leurs enfants ?

« Nous voulons partir, aidez-nous dans les formalités, nous avons des cousins ou des frères en Amérique latine et qui peuvent demander le visa pour nous ».

Que faire, que dire à toutes ces personnes qui n’en peuvent plus d’attendre que « les évènements » se terminent, qui n’arrivent plus à supporter les privations (d’eau, d’électricité, de produits, de médicaments, d’argent), les obus, les souffrances, qui ne veulent plus voir leurs enfants grandir sans rien connaître de la vie que la guerre, et qui veulent, enfin, un avenir sûr, stable, paisible….

Que répondre à ce médecin révolté par la lâcheté des occidentaux :« Les dirigeants occidentaux ont qualifié la décapitation du journaliste américain d’acte barbare. Il faudra leur rappeler que ces sauvages qui commettent des actes de barbarie chez nous ont été encouragés, financés et protégés par eux et leurs alliés sous prétexte d’amener au peuple syrien la démocratie ! et la liberté ! Dans le cadre d’un plan au nom très romantique : « le printemps Arabe » qui a remplacé les formulations précédentes de « Chaos constructif » et de « nouveau Moyen Orient ». Ces sauvages étaient considérés, en occident, comme des combattants de la liberté ou des rebelles quand ils commettaient leurs crimes en Syrie et sont subitement « devenus » des barbares et des terroristes quand ils sont passés, en partie, en Irak !!!

Que dire à ces dizaines, à ces centaines de personnes, rencontrées chez les Maristes ou dans la rue ou à mon cabinet et qui expriment leur angoisse et leur panique devant la déferlante Daech (EIIL) : et s’ils envahissaient Alep ? Et si nous devions subir le même sort que les chrétiens de Mossoul ? La conversion ou la mort ? Fuir en colonnes de réfugiés sans pouvoir rien emporter ? Autant quitter maintenant avant qu’« ils » n’arrivent. Nous ne voulons pas mourir égorgés, décapités, enterrés vivant, crucifiés par ces sauvages. Et dire qu’« ils » ne sont qu’à quelques kilomètres à l’est d’Alep et viennent de prendre le contrôle de toute la région au nord de la ville.

Et les gens quittent. Récemment, notre chauffeur, sa famille, ses frères et leurs familles sont arrivés en Allemagne. Plusieurs internes de l’hôpital ont débrouillé un visa et sont partis en Europe. Notre femme de ménage s’apprête à aller au Venezuela. Une autre famille est partie en Australie, sans parler de ceux qui partent aux USA (surtout les arméniens) et en Europe du Nord.

Pendant ce temps, le Vatican et les institutions caritatives de l’Eglise demandent aux chrétiens de Syrie de ne pas abandonner leur terre, le berceau du Christianisme. Entretemps, leurs représentants sur place distribuent l’aide reçue avec parcimonie pour « responsabiliser » les gens, ne pas en faire des « assistés » !!! Dans quelques mois, il leur restera beaucoup d’argent mais personne à qui le donner. Un ami bien informé me disait : « si dans quelques mois, l’EIIL envahissait Alep, ce sera une colonne de quelques milliers seulement de réfugiés chrétiens qui seront sur les routes de l’exil ».

Nous, les Maristes Bleus, n’avons pas de certitudes à donner à toutes ces interrogations, d’objections à toutes ces décisions, de réponses à toutes ces craintes…

Mais…

Nous essayons par notre présence active à être une petite lueur d’espoir pour ceux qui ont perdu tout espoir…

À être une force pour ceux qui doutent…

À être un réconfort pour tous ceux qui sont tourmentés…

Nous essayons aussi de soulager les souffrances, physiques et mentales, d’offrir, au moins, des conditions de vie acceptables à ceux qui restent pour que leur manque ne soit pas la principale raison de quitter.

Ainsi, tous nos programmes continuent malgré la perte cruelle que nous avons subie avec le décès d’un des piliers des Maristes d’Alep, notre ami et notre frère, Ghasbi Sabe, emporté par une crise cardiaque à 59 ans. Pédagogue, Animateur, Membre de l’équipe de secours alimentaire, Responsable des différents paniers alimentaires, Membre de l’équipe du MIT, un homme chaleureux, fidèle, simple, humble, cuistot hors pair, apprécié et aimé de tous.

Le programme « Civils blessés de guerre » continue à soigner les blessés atteints par les mortiers ; aujourd’hui c’est une maman, médecin et son fils de 8 ans ; Elle pour des fractures ouvertes aux 2 bras et lui pour des atteintes multiples au ventre : nous avons été obligés de lui enlever la rate, un rein et une partie des intestins.

Nos trois paniers alimentaires mensuels ou bi-hebdomadaires servent à nourrir les familles chrétiennes déplacées de Djabal Al Sayde (panier de la montagne), les familles musulmanes déplacées d’autres régions (panier des Maristes Bleus) et les familles démunies de Midane (panier de « l’Oreille de Dieu).

Nous continuons notre projet de logement des déplacés en louant des petits appartements pour ceux qui n’ont plus de toit. Nous leur fournissons couvertures, ustensiles de cuisine, bidons d’eau….

Nous distribuons aussi des vêtements à tous les enfants des familles déplacées dont nous avons la charge.

Récemment, nous avons initié un projet de distribution d’eau aux bénévoles et bénéficiaires de nos projets. Nous avons installé, dans une camionnette, des citernes que nous remplissons de l’eau d’un puits qui est ensuite pompée dans les réservoirs (200-1000 litres) des personnes concernées.

Au M.I.T. (notre centre mariste de formation), nous continuons à former les jeunes adultes avec des workshops de 3 jours ; Le dernier en date s’est terminé dimanche passé et avait pour thème : Les normes de Qualité. De plus, nous offrons un espace de réflexion avec des conférences-échanges dont la dernière a été très remarquée et qui traitait de « l’épreuve du croyant face à la guerre ».

Les enfants de 3 à 6 ans de « Apprendre à Grandir » et ceux de 7 à 13 ans de « Je veux Apprendre » participent à des colonies de vacances chez nous, de une semaine chacune alternativement. Des programmes merveilleux leur sont organisés.

« Skill School » continue pour les adolescents(tes) avec des programmes variés alliant le sport, des habilités manuelles et des programmes pédagogiques.

« Tawassol » pour les mamans ne chôme pas. Même avec des températures de 40 à 45 degrés, tout le monde est là.

Nous continuons dans des conditions de vie très difficiles : Pénurie d’eau (approvisionnement de chaque quartier d’Alep pendant 10 heures chaque 10 jours). Pénurie d’électricité (2 fois 1h30 chaque 24 heures) et dangereux tirs de mortier….

Que nous réserve l’avenir ? Devrions-nous quitter ? Rester ? Des questions sans réponses pour le moment, en attendant… en attendant quoi ?

Un prêtre Dominicain d’Irak a récemment écrit : « L’Irak d’aujourd’hui est complètement détruit. En plus, le tissu social des irakiens est clairement déchiré. Les statistiques indiquent également que le pays est très dangereux, qu’il est devenu invivable et inhabitable. Les pauvres de ce pays se demandent vers quel avenir l’Irak est poussé? Est-ce vers un pays moderne, stable, démocratique ? Une simple réponse de n’importe quel habitant d’Irak sera : l’Irak est poussé vers l’inconnu. Mais, dans ce désordre imposé par le pouvoir du mal, la question centrale est la suivante : quel est l’avenir des chrétiens d’Irak? Faut-il les chasser ou les exterminer? Notre pèlerinage, notre chemin de croix et notre fardeau sont apparemment devenus lourds et longs. L’évènement dramatique que les chrétiens irakiens subissent en ce moment, est scandaleux. Il ne reste que des camps de concentration dans ce projet de déracinement diabolique. Pendant que les délégués politiques et ecclésiastiques se succèdent, les exilés passent leurs nuits sous les tentes et dans les lieux publics. Malgré l’alerte rouge, le temps passe et les exilés, eux, restent sans abri ».

Remplacez le mot Irak par Syrie, et Irakiens par Syriens et vous aurez tout compris.

Cette lettre est datée du 1er septembre, fête d’un des Saints les plus réputés de Syrie, St Siméon le Stylite, qui avait, au 5ème siècle, vécu 42 ans sur une colonne de 18 mètres de hauteur. Il avait choisi cette voie, selon la tradition, pour être plus près de Dieu ! Puisse notre sacrifice et notre calvaire ne durer pas aussi longtemps.

Alep le 1er septembre 2014

Nabil Antaki pour les Maristes Bleus

Publié le 1er septembre 2014 par Arrêt sur Info

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