SYRIE : BATAILLE DE L’EST ET NOUVEAU DELIRE CHIMIQUE…
juillet 3, 2017
L’envers des cartes
par Richard Labévière
lundi 3 juillet 2017, par Comité Valmy
SYRIE : BATAILLE DE L’EST
ET NOUVEAU DELIRE CHIMIQUE…
Les gazettes nous apprennent que les présidents américain et français se sont longuement parlés au téléphone, mardi dernier, sur « la nécessité de travailler à une réponse commune en cas d’attaque chimique en Syrie », a précisé l’Elysée. La veille – lundi – les stratèges du Pentagone révélaient que « le régime de Bachar al-Assad semblait préparer une nouvelle attaque chimique ». Si cette information s’appuie sur les précédents incidents chimiques, on peut craindre le pire ! Toujours est-il que chaque fois – chaque fois – chaque fois que l’armée gouvernementale syrienne reprend l’avantage dans la reconquête de son territoire national, une nouvelle attaque chimique est aussitôt attribuée au « régime de Bachar al-Assad », sans qu’on puisse sans conteste en prouver la paternité…
Ce nouvel épouvantail chimique se déploie en pleine bataille de l’Est, une bataille décisive. Avec l’appui des forces russes, iraniennes et celles du Hezbollah libanais, l’armée gouvernementale a désormais repris le contrôle de la « Syrie utile », un axe s’articulant entre le grand Damas, les agglomérations de Homs/Hama et la ville d’Alep. En décembre dernier, la libération de cette ville, qui fut la capitale économique du pays, a constitué le vrai tournant de cette guerre civilo-globale qui fait rage depuis l’automne 2011. Hormis quelques réduits de mercenaires chinois et tchétchènes qui résistent encore dans la province d’Idlib à l’ouest d’Alep, la moitié du pays du pays est maintenant pacifiée, les forces gouvernementales s’étant redéployées à l’Est en deux axes principaux : la ville de Deraa, sur la frontière jordanienne (localité d’où est partie la révolte en mars 2011) et la région de Deir ez-Zor sur l’Euphrate.
CORRIDOR STRATEGIQUE
Cette offensive est stratégique pour trois raisons : 1) parachever la libération de l’ensemble du territoire national ; 2) libérer les régions riches en hydrocarbures dont les ressources permettront la reconstruction du pays ; 3) enfin, contrôler la frontière avec l’Irak afin de prendre à revers les factions armées pro-américaines qui cherchent à investir Raqqa et Al-Mayadin (toujours aux mains de Dae’ch) pour imposer une partition du pays. En effet, la « fédéralisation » du pays demeure le principal objectif de guerre sur lequel s’accordent les Etats-Unis, les pays du Golfe, Israël et, dans une moindre mesure, les Européens. Comme d’habitude, ces derniers ne peuvent afficher de politique commune. Tenue hors du coup depuis la fermeture de son ambassade à Damas en mars 2012, la France – qui n’a toujours pas de diplomatie lisible dans la région – reste écartelée entre le nouveau président de la République souhaitant la préservation d’une Syrie unitaire avec Bachar al-Assad (tant qu’il n’y a pas d’alternative crédible) et son ministre des Affaires étrangères continuant à affirmer que l’avenir de la Syrie ne peut s’envisager « autour de Bachar al-Assad »…
Voir l’armée syrienne reprendre le contrôle des quelques 700 kilomètres de frontière avec l’Irak constitue le vrai cauchemar du Pentagone et signerait une nouvelle défaite américaine dans la région. Cette longue bande désertique qui court à partir de la frontière syro-jordanienne, le long de l’Irak – cap nord – au fil de la vallée de l’Euphrate conditionne un futur couloir stratégique décisif pour l’avenir de la région. Ce « corridor » permettrait d’opérer une liaison opérationnelle entre l’armée syrienne et les unités irakiennes chi’ites alliées permettant de relier Téhéran à Beyrouth, via l’Irak et la Syrie. Cette éventualité fait frémir Israël, la Jordanie et les pays du Golfe, au premier rang desquels l’Arabie saoudite…
L’autre dimension de cette bataille de l’Est inquiète davantage Washington. Depuis des mois, le Pentagone livre des tonnes d’armes lourdes et blindés aux Kurdes des FDS (Forces démocratiques syriennes), auxquels sont venus s’adjoindre des groupes de Jabhat al-Nosra (Al-Qaïda en Syrie), rebaptisés « rebelles modérés et démocratiques ». Ces groupes assiègent Raqqa, l’état-major de Dae’ch en Syrie et la localité d’al-Mayadin (plus au sud sur l’Euphrate) où les cadres militaires de l’organisation terroriste sont en train d’organiser exfiltrations, redéploiements et fuites de leurs Katiba les plus opérationnelles.
C’est dans la cadre de cette sous-bataille – dans la bataille de l’Est – qu’on assiste à une escalade entre Washington, Moscou et Téhéran. Jusqu’à récemment, Américains et Russes se transmettaient mutuellement les plans de vols de leurs chasses et drones respectifs afin d’éviter les « tirs amis ». Depuis deux mois, ce téléphone rouge est coupé, si bien que depuis le début mai, deux drones iraniens et un bombardier syrien ont été abattus (18 juin), tandis que les incidents entre armées de l’air américaine et russe se multiplient. Par conséquent, Washington intensifie ses opérations aériennes, multipliant les bavures. Dernièrement, 57 civils ont été tués dans l’Est du pays, sans beaucoup émouvoir la presse occidentale qui reste très discrète sur les « dégâts collatéraux « de la Coalition internationale…
DEFAITE AMERICAINE ANNONCEE
Dans un entretien qu’il vient d’accorder au quotidien saoudien Ash-Shark al-Awsat, le dernier ambassadeur américain à Damas Robert Ford annonce une « défaite américaine », rien de moins ! Il affirme, par ailleurs que « la partie est finie, que les Etats-Unis seront obligés, une fois Dae’ch écrasé, de déguerpir. Comme cela s’est passé au Liban en 1983 et en Irak en 2011 ».
Pour Robert Ford, les Kurdes syriens commettent une grande erreur en se fiant aux Américains qui ne vont pas se battre pour eux après la libération de Raqqa. « Donald Trump prétend réduire l’influence de l’Iran en Syrie et en Irak », ajoute-t-il, « mais il ignore que les dés sont jetés et que Obama ne lui a laissé aucune carte à jouer, à part de se retirer ». Il ajoute : « Les Kurdes paieront un lourd tribut pour leur confiance aux Américains. L’armée américaine ne les soutiendra pas face au gouvernement syrien et à la Turquie. Ce que nous (les Américains) faisons à l’égard des Kurdes, est un acte non éthique et une erreur politique ».
Et de préciser : « Les Américains se sont servis des Kurdes pendant longtemps sous le régime de Saddam Hussein. Est-ce que vous pensez qu’ils auront une autre attitude envers les Kurdes syriens du PYD ? Les Kurdes irakiens ont été délaissés par Henry Kissinger. Les Kurdes syriens connaîtront le même sort que leurs voisins irakiens, c’est ce que les Américains m’ont dit ». R. Ford conclut : « la plus grande erreur politique que j’avais commise était de croire que le « régime allait négocier son départ. Je n’avais pas prévu que l’Iran et le Hezbollah allaient envoyer des milliers de combattants pour soutenir le pouvoir en Syrie ». Ni le soutien indéfectible de la Russie !
Quelques jours auparavant, un autre grand témoin et acteur de la tuerie syrienne – l’ancien Premier ministre qatari Hamad Bin Jassem – a lui aussi rompu le silence qui lui a été imposé depuis son limogeage en juin 2013. Il rappelle aujourd’hui à tous ceux qui accusent maintenant le Qatar d’avoir financé le terrorisme, qu’ils étaient complices de ce crime. Dans une interview avec Charlie Rose sur la chaîne américaine PBS il fait plusieurs révélations : « en Syrie, tout le monde, y compris les Etats-Unis, ont commis de lourdes erreurs. Nous avons coopéré ensemble dans deux centres d’opérations principaux, l’un en Jordanie, l’autre en Turquie. L’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, les Etats-Unis, et bien d’autres, en faisaient partie. Au fil du temps, nous avons découvert que certains groupes avaient d’autres agendas. Malgré tout, nous avons continué de les financer les uns et les autres ».
Répétons-le, il n’est pas étonnant que – dans ce contexte -, une nouvelle guerre de communication fasse rage quant aux armes chimiques qui pourraient « justifier » une nouvelle intervention franco-américaine, soutenue par la Grande Bretagne.
Le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov a redit que l’attaque d’avril près de Khan Cheikhoun « ?ne pouvait pas être attribuée aux forces armées syriennes? », faute d’« ?enquête impartiale? »( refusée par les occidentaux). Et comment se fait il que l’enquête de Seymour Hersch, lauréat du prix Pulitzer, sur cette attaque soit passée à la trappe dans les medias occidentaux ( sauf dans le Welt am Sonntag).
(http://www.jonathan-cook.net/blog/2017-06-26) …
Pour sa part, Bachar al-Assad a assuré à plusieurs reprises avoir remis tous ses stocks d’armes chimiques, conformément à l‘accord mis au point sous les auspices de la Russie à l’occasion du G-20 de Saint-Pétersbourg en septembre 2013. Le président syrien a, aussi multiplié les sorties publiques, pour se rendre sur les marchés de Damas et chez des particuliers afin de visiter des blessés et familles. Les médias occidentaux ont, aussitôt hurlé à la propagande, pratique qui – mais voyons bien sûr – leur est totalement étrangère !
L’INSOUTENABLE LEGERETE FRANCAISE
Dans L’Insoutenable légèreté de l’être, Milan Kundera nous rappelle combien l’indécision peut être à la fois délicieuse et dramatique. Dans un entretien accordé le 21 juin à huit quotidiens européens, dont Le Figaro, le nouveau président de la République française vitupère le « néo-conservatisme importé (des Etats-Unis) depuis dix ans », sans évoquer le surgeon français de cette idéologie mortifère dont les petits soldats peuplent pourtant la cellule diplomatique de l’Elysée, le Quai d’Orsay et le ministère de la Défense. Ne parlons pas des insubmersibles conseillers es-stratégie – tous partisans de la guerre anglo-américaine d’Irak au printemps 2003 -, qui reprennent du service.
Dans ce premier flottement entre Les mots et les choses, dont Michel Foucault nous assure que toutes les torsions de pouvoirs sont possibles, le président Macron définit en quelques phrases quelle pourrait être sa politique envers la Syrie : « je n’ai pas énoncé (sic) que la destitution de Bachar était un préalable à tout. Car personne ne m’a présenté son successeur légitime ». et de rappeler que la guerre franco-britannique de Libye (mars 2011) a transformé de pays en « Etat failli (…) Je ne veux pas de cela en Syrie ». Et encore : « les groupes terroristes, ce sont eux nos ennemis (…) Et nous avons besoin de la coopération de tous, en particulier de la Russie ».
Quelques jours plus tard – dans Le Monde du 30 juin – le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian nous explique que « le réalisme, c’est aussi de ne pas faire croire qu’il puisse y avoir une solution du conflit autour de lui (Bachar al-Assad). Je vois mal comment les réfugiés qui ont fui ou ont été chassé par lui pourraient revenir en l’absence d’évolution en Syrie ». L’auteur de ces lignes a suffisamment côtoyé les réfugiés syriens en Jordanie, au Liban, en Turquie et ailleurs pour savoir et affirmer que nombre d’entre eux ont fui leur pays à cause des exactions commises par la rébellion soi -disant « modérée » et « démocratique », parfois armée par la France. Songeons seulement au village chrétien martyr de Maaloula où les femmes furent violées durant des heures avant qu’on leur coupe les seins, les mains et les pieds. Les auteurs de ces crimes étaient « les bons p’tit gars » dont Laurent Fabius a dit qu’ils faisaient « du bon boulot… »
Certes, Monsieur Macron vient de prendre ses fonctions et nous ne doutons pas de sa volonté de refonder la diplomatie de notre pays – qui est sortie des écrans Proche et Moyen-Orientaux depuis mars 2012 – date à laquelle Alain Juppé a pris la responsabilité de fermer notre ambassade à Damas. Certes, il ne s’agit pas de rouvrir aujourd’hui cette ambassade en fanfare, mais ne devrait-on pas – dans un premier temps – envisager d’y nommer un chargé d’affaires, comme l’ont fait le Brésil et plusieurs pays européens dont l’Espagne et la Pologne ? Pourrait-on – ensuite – voir sérieusement s’il n’est pas temps de lever les sanctions qui frappent lourdement la Syrie, afin de faciliter le travail courageux que mène actuellement Staffan de Mistura pour les Nations unies à Genève.
Dans tous les cas de figures, ces deux décisions permettraient à la France de revenir dans les deux processus de négociation – Genève et Astana – où notre diplomatie ne dispose pas du moindre strapontin ! Dans tous les cas de figure, il est temps que cette insoutenable légèreté française prenne fin pour faire place à une diplomatie construite et pro-active, se remettant au service des intérêts de notre pays aux Proche et Moyen-Orient, en se recentrant sur les nouveaux enjeux stratégiques de la Méditerranée -qui n’est d’ailleurs plus une mer occidentale !
ATTENTATS/MESSAGES DE DIMANCHE
Au moment où nous mettons sous presse, trois attentats suicides viennent d’avoir lieu ce dimanche 2 juillet à Damas (8 h. 40/heure locale) : l’un sur la grande avenue de Bagdad ; un autre sur la route de l’aéroport ; le dernier dans les quartiers est de la ville. Deux autres voitures piégées ont été appréhendées par les forces de sécurité dans la banlieue industrielle.
Ce recours aux mêmes modes opératoires utilisés lors d’attentats menés dernièrement contre des cibles chi’ites à Bagdad et au Liban est porteur d’une triple signification : 1) Dae’ch comme la Qaïda recourent à cette même tactique chaque fois qu’ils perdent pied sur le terrain, dans leurs sanctuaires territoriaux afin de montrer qu’ils gardent entières leurs capacités de nuisances ; 2) ces attentats indiquent déjà ce que sera l’après Dae’ch, comme le fut l’après-Qaïda dès novembre 2001 : redéploiement international, multiplications rhizomatiques (non pyramidales) de réseaux dormants, non seulement aux Proche et Moyen-Orient mais aussi en Asie, dans le Caucase et la bande sahélo-saharienne à partir d’une Libye fragmentée. Les pays européens ne seront pas non plus préservés de prochains attentats.
3)La troisième dimension de ces attentats dominicaux mérite la plus grande attention. Comme ce fut le cas à Bagdad et à Beyrouth, les services de sécurité locaux ont relevé de troublantes connexions entre les terroristes en question et les services spéciaux américains et israéliens. C’est un grand classique de voir ainsi les agences du Pentagone recourir à cette tactique d’« instabilité constructive », dès lors que les forces spéciales américaines et leurs supplétifs perdent la partie sur le terrain de la guerre conventionnelle.
Aux dernières nouvelles, la soldatesque de Tel-Aviv apporte toujours son appui (en matériels, logistique et renseignement) aux terroristes de Nosra engagés sur le plateau du Golan… Ces derniers jours, la chasse israélienne a multiplié les bombardements meurtriers en Syrie pour soutenir les attaques des groupes salafo-jihadistes et pas vraiment pour cibler Dae’ch et la Qaïda. Un autre grand classique !
Dans ce contexte, il est judicieux de réadapter – sans cesse – nos dispositifs de contre-terrorisme et – en amont – de dé-radicalisation. En amont également, il s’agit aussi de redonner à notre diplomatie une visibilité et des capacités d’action, non seulement au sein même des processus de Genève et d’Astana, mais aussi dans les différentes capitales de l’Orient compliqué. La France doit impérativement sortir des impasses de cette « politique sunnite », initiée par les quinquennats de Nicolas Sarkozy et de François Hollande. Notre diplomatie aussi doit se remettre EN MARCHE !
Richard Labévière
3 juillet 2017
Proche&Moyen-Orient.ch
Observatoire Géostratégique