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Syrie : cessons d’être passifs


2 mars 2015
Syrie : cessons d’être passifs

Cette tribune de Paul Quilès a été publiée par le Figaro

Syrie: il est urgent d’agir pour éteindre l’incendie

Au-delà de la polémique excessive et injuste de ces derniers jours sur le voyage de parlementaires français en Syrie, une question essentielle se pose : comment faire pour mettre un terme à la catastrophe humanitaire qui frappe ce pays et contrer la menace grandissante du terrorisme ?

C’est en fonction de ces deux critères qu’il faut juger les prises de contact, directes ou indirectes, avec le régime baasiste de Bachar Al-Assad. Il est curieux que certains condamnent ces rencontres au seul motif que le dictateur syrien a du sang sur les mains. Combien de négociations ont pourtant eu lieu dans le passé avec des dirigeants coupables de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité ? Roosevelt, Churchill et de Gaulle ne se sont-ils pas alliés avec Staline pour vaincre Hitler ? N’avons-nous pas appuyé Saddam Hussein contre Khomeiny ? Et pourtant, dans le cas présent, il ne s’agit pas d’alliance ni d’appui mais seulement d’un contact.

D’ailleurs il semble bien que le gouvernement français lui-même ait envoyé en 2013 une délégation de la DGSE et de la DGSI rencontrer en Syrie le chef du renseignement, impliqué dans les crimes du régime, pour obtenir des informations nécessaires à la lutte contre le terrorisme.

Nous devrions être plus attentifs à l’évolution de la politique américaine. Les Etats-Unis, aujourd’hui très conscients de la gravité de la menace posée par l’organisation dite « Etat Islamique » procèdent régulièrement à des frappes aériennes en Syrie en partageant le ciel avec les forces d’Assad. Et John Kerry, Secrétaire d’Etat américain, vient de déclarer que face à l’Etat islamique les Etats-Unis avaient « un intérêt commun » avec l’Iran, principal soutien d’Assad. Il a récemment exhorté Assad à changer de politique, mais en omettant d’appeler à son départ immédiat, comme il le faisait systématiquement jusqu’alors.

Il ne s’agit pas de s’accommoder du maintien au pouvoir d’Assad, et encore moins d’oublier ses crimes. Mais il faut mener une politique qui réponde à la réalité et à l’urgence de la situation, qui est alarmante.

Actuellement l’armée d’Assad contrôlerait de l’ordre des deux tiers de la population restant en Syrie. Le régime baasiste dispose donc encore d’un soutien significatif, non seulement parmi les minorités, notamment alaouites, mais aussi parmi une fraction des sunnites, majoritaires.

Les autres forces sont, outre les Kurdes, qui restent maîtres d’une grande partie de leur région, le soi-disant « Etat islamique » malheureusement enraciné dans les zones qu’il contrôle et l’insurrection nationale syrienne, elle-même partagée entre une multiplicité d’acteurs : des groupes islamistes (y compris le front Al-Nosra affilié à Al-Qaida) et des forces « musulmanes sunnites modérées » ou démocrates poursuivant l’objectif d’une Syrie inclusive et tolérante. C’est vers ces forces modérées que vont les fournitures d’armes occidentales, après contrôle par un Centre d’opérations sous direction américaine. Actuellement les livraisons d’armes sont subordonnées à un engagement de lutter non seulement contre le régime baasiste, mais aussi contre « l’Etat islamique ».

Partir des réalités, c’est prendre acte de l’incroyable complexité de cette situation et de la faiblesse présente des forces démocratiques syriennes. La Coalition nationale syrienne soutenue par l’Occident semble subir l’influence des Frères musulmans. L’Armée syrienne libre, à l’origine composante essentielle de l’insurrection, est divisée, en désaccord avec la Coalition nationale et militairement très affaiblie. Il faut aussi être conscient des ambiguïtés des soutiens non occidentaux de la rébellion (Arabie saoudite, Qatar, Emirats arabes unis et Turquie). Les uns combattent les Frères musulmans, les autres les soutiennent, tous ont eu une attitude complaisante à l’égard du Front Al-Nosra et même de l’organisation de l’Etat islamique à ses débuts.

Aujourd’hui, la chute d’Assad sans transition organisée conduirait à une situation de type libyen, à l’effondrement de l’Etat, au chaos, puis à la déstabilisation du Liban et sans doute aussi de la Jordanie. Israël déciderait peut-être d’intervenir sur une échelle beaucoup plus grande qu’il a pu le faire dans la période récente. Comment imaginer un terreau plus fertile pour le terrorisme ? Quelles conséquences pourrait-on en attendre pour la situation humanitaire de la Syrie ? Quelle ampleur atteindraient les mouvements de réfugiés ?

Il est urgent de prendre les initiatives diplomatiques courageuses qui pourraient conjurer ces périls. Ces initiatives doivent d’abord apporter à l’émissaire des Nations Unies, Staffan de Mistura, tout le soutien nécessaire pour négocier des cessez-le-feu locaux, en particulier à Alep et créer de la sorte un climat favorable au dialogue entre l’opposition démocratique et le régime. En liaison avec toutes les parties intéressées, y compris l’Iran et la Russie, malgré nos litiges avec ces pays sur d’autres questions, il faudra, dans un deuxième temps, concentrer notre action diplomatique sur une nouvelle conférence de Genève.

Pour qu’elle réussisse, il faudra parler avec le régime baasiste, si l’on veut obtenir un accord solide entre toutes les parties déterminées à lutter contre le terrorisme, en vue de la constitution d’un « gouvernement de transition doté des pleins pouvoirs » (selon le langage agréé dès la conférence de Genève de juin 2012). Les gouvernements occidentaux n’admettent-ils pas dès à présent que cet organe gouvernemental devra comprendre « certaines structures du régime existant »[1] ? Où trouvera-t-on d’ailleurs, parmi ces éléments, des personnes ayant moins de sang sur les mains qu’Assad ? Et pourquoi ne pas s’appuyer davantage sur l’opposition intérieure laïque et progressiste que l’on présente souvent trop rapidement comme manipulée par le régime, alors que ses membres ont souvent payé d’emprisonnement et de tortures leurs demandes d’ouverture démocratique ?

N’attendons pas que, pour les besoins de leur politique iranienne, les Etats-Unis décident seuls de faire un pas vers le régime syrien. Je suis conscient des difficultés morales de la discussion avec un dirigeant comme Bachar Al-Assad. Mais, lorsqu’il s’est agi de conduire le Cambodge vers la stabilité, n’est-on pas allé jusqu’à intégrer dans la négociation les Khmers Rouges, coupables de génocide, puis à accepter leur ralliement après les accords de Paris ? Les procès sont venus après.

Aujourd’hui, notre adversaire principal, notre ennemi, c’est l’organisation de l’Etat islamique. Elle semble subir des revers. Les forces françaises y contribuent de façon méritoire. Mais si nous laissions la Syrie dériver vers le chaos, nous pourrions lui rendre involontairement de nouvelles forces, au détriment de notre sécurité.

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[1] Expression utilisée par Laurent Fabius et Philip Hammond, dans leur récente tribune, publiée par Le Monde (27 fév

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