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Syrie : Comment la presse a manipulé les Britanniques


David Edwards

16 septembre 2013

Le groupe britannique Medialens teste les médias anglophones depuis des années et appelle les « consommateurs » à l’action de résistance contre les désinformations. De quoi donner des idées dans d’autres pays ! Même si cet article analyse des journaux que peu d’entre vous lisent, vous reconnaîtrez très probablement les mêmes déformations dans ceux d’ici.

1e PARTIE – LE ‘DROIT DE PROTECTION’ EN EGYPTE, LIBYE ET SYRIE

Le concept du devoir de protection (responsibility to protect-R2P), formulé au sommet de l’ONU de 2005, se base sur l’idée que la souveraineté des Etats n’est pas un droit mais un devoir. Quand les Etats ne se montrent pas à la hauteur en infligeant à leur peuple le génocide, le nettoyage ethnique ou d’autres crimes contre l’humanité, la ‘communauté internationale’ a le devoir d’agir. Les sanctions économiques et la force militaire peuvent ainsi être utilisées au titre de l’intervention humanitaire’.

Une seconde version du devoir de protection, proposée par la commission (Gareth) Evans, va encore plus loin. Elle autorise les ‘organisations régionales ou sous-régionales’ telles que l’OTAN à déterminer leur ‘domaine de juridiction’ et à intervenir dans les cas où ‘le Conseil de Sécurité rejette une proposition ou ne prend pas de décision en temps voulu’.

Gareth Evans – décrit par la BBC comme ‘un champion de la doctrine que la communauté internationale a le devoir de protéger les populations civiles’ – a un CV intéressant, comme le racontait John Pilger en l’an 2000 :
« L’un des moments les plus nauséabonds de la tragédie du Timor Oriental survint en 1999, quand Gareth Evans, alors ministre australien des Affaires étrangères, leva son verre de champagne en direction de son homologue indonésien, Ali Atalas, alors qu’ils survolaient la mer de Timor, après avoir signé le Traité du Timor Gap. Au dessous d’eux se situait un pays dont un tiers de la population était mort ou avait été tué sous Suharto. »

Pilger ajoutait :
« Grâce en grande partie à Evans, l’Australie s’avère le seul pays occidental à avoir officiellement avalisé la conquête teintée de génocide de Suharto. Les forces spéciales meurtrières indonésiennes connues sous le nom de Kopassus étaient entraînées en Australie. La récompense était des millions de dollars. »

Le ‘droit de protection’ est une valeur en hausse dans les affaires internationales. Mais, comme l’a noté Chomsky, l’attaque japonaise contre la Mandchourie, l’invasion de l’Ethiopie par Mussolini et l’occupation hitlérienne de la Tchécoslovaquie furent ‘toutes accompagnées par des grands discours sur la responsabilité solennelle de protéger les populations souffrantes.’ En fait, si l’on s’y intéresse de près, le droit de protéger existe depuis un bon moment.

Le 18 mars 2011, la veille de l’offensive de l’OTAN contre la Libye, la BBC cita une partie d’un discours de David Cameron :
« Le 23 février, le secrétaire général de l’ONU a nommé les attaques contre les civils dont il a été fait état ‘des violations flagrantes du droit international et humanitaire’, tant du fait de leur nature que de leur échelle, et a appelé le gouvernement libyen à faire face à sa responsabilité de protéger son peuple. »

Deux semaines plus tôt, la BBC avait publié un entretien avec Gareth Evans, se posant la question :
« Y a-t-il des arguments réels en faveur d’une intervention contre la Libye au nom du ‘devoir de protection’ ?
Evans répondit :- Absolument… La question est de savoir s’il faudrait passer à l’étape suivante, à savoir l’intervention militaire. Personnellement, je pense que les charges sont accablantes. »

Deux semaines plus tard, le 22 mars 2011, alors que les bombardements de l’OTAN étaient déjà en cours, Jonathan Freedland se pencha dans le ‘Guardian’ sur le ‘devoir de se protéger’ les uns les autres dans un monde globalisé et interdépendant.

L’article de Freedland avait pour sous-titre : « Bien que les risques soient réels, les arguments plaidant en faveur d’une intervention sont très convaincants – ne pas réagir aux menaces terribles de Khadafi nous rendrait coupables au sens moral, même si une intervention en Libye serait potentiellement dangereuse. »

Le lendemain, l’ancien rédacteur du ‘Guardian’ pour le Moyen-Orient Brian Whitaker écrivait sous le titre ‘ La différence avec la Libye’ : « A la différence de ce que l’on constate au Bahreïn ou au Yémen, la nature et l’échelle des actes du régime de Khadafi ont impulsé le ‘devoir de protection’ de l’ONU. »

Whitaker passa en revue les origines et l’évolution du ‘devoir de protection’, concluant qu’enfin il avait porté des fruits : « Il mérite d’être reconnu comme une intervention fondée sur des principes et non comme le complot ‘pétro-impérialiste’ dénoncé par Khadafi . »

Le lendemain, toujours dans le ‘Guardian’, Ian Williams revenait sur les origines et les mérites du ‘devoir de protection’ :

« Selon ces principes, comme le démontre Brian Whitaker, l’opération libyenne est tout à fait crédible. Khadafi avait été averti à maintes reprises de cesser de tuer son propre peuple, mais il continua à utiliser des armes de plus en plus lourdes. »

Comme d’autres commentateurs ‘de gauche’, Williams mettait souvent ses lecteurs en garde, pointant des défauts dans le ‘devoir de protection’, se préoccupant des ‘méthodes et motivations’ de Washington, et ainsi de suite. Mais ses conclusions sont tout à fait claires :

Ces articles furent tous publiés entre le 22 et le 24 mars 2011, peu après que l’OTAN eut entrepris ses attaques. Whitaker faisait référence à Freedland, Williams à Whitaker, une chambre résonnante dans laquelle trois journalistes expérimentés prenaient au sérieux tant le R2P que l’idée que l’intervention en Libye constituait un exemple de cette doctrine.

Au début mars, Timothy Garton Ash avait également écrit sur l’application du R2P en Libye dans le ‘Guardian’ :

« Intervenir ou pas ? C’est là la question.. Je défie quiconque ayant assisté à l’attaque de villes assiégées par l’aviation de Khadafi de ne pas accepter qu’on est légitimement en droit de s’interroger sur une intervention extérieure, d’une forme ou d’une autre, pour l’empêcher de tuer plus de civils. »

Bien que sceptique quant à la justification d’une zone d’exclusion aérienne à ce moment précis, Garton Ash se demandait pourtant :

« N’avons-nous pas le devoir de protéger les gens qui se sont soulevés contre lui, ne serait-ce que sous la forme d’une zone d’exclusion aérienne soutenue par les Libyens » ?

Dans un autre article publié par le ‘Guardian’ la semaine suivante, Menzies Campbell, ancien leader des Libéraux-Démocrates, et Philippe Sands, professeur de droit à l’University College de Londres, faisaient le commentaire suivant :

« Le droit international n’exige pas que le monde se croise les bras et ne fasse rien alors que des civils sont massacrés sur ordre du Colonel Khadafi »
Ils ajoutaient :

« Ce serait tragique pour le peuple libyen si l’ombre de l’Irak venait à limiter un ‘droit de protection’ naissant , le principe qu’en certaines circonstances l’usage de la force peut être justifié pour prévenir la violation massive et systématique des droits de l’homme fondamentaux. »

Le ‘Guardian’ ne fut pas seul à prôner constamment une intervention en Libye au titre de la R2P. Toujours en mars 2011, l’avocat des droits de l’homme Geoffrey Robertson se demandait dans l’Independent :
« Le monde va-t-il assister sans broncher lorsque l’impitoyable Colonel Khadafi mettra en œuvre sa menace de se battre jusqu’au dernier homme et à la dernière femme, et par conséquent, jusqu’au dernier enfant ? «
Robertson s’intéressait également aux origines et à l’évolution du R2P, concluant :

« Le devoir d’arrêter le meurtre en masse d’innocents, par tous les moyens possibles, s’est cristallisé pour rendre l’usage de la force par l’OTAN non seulement ‘légitime’ mais conforme au droit. »
Matthew d’Ancona écrivit dans le Daily Telegraph, de l’autre bord du spectre politique, le 27 mars :

« Nous sommes en droit de nous féliciter en privé, en tant que Britanniques, qu’un Srebrenica arabe ait pu être évité grâce à une coalition dans laquelle la Grande-Bretagne a figuré au premier plan. »
D’Ancona rajouta :

« Il s’agit d’un banc d’essai pour le R2P, et les résultats de l’expérience auront des conséquences importantes dans les décennies à venir. »

De toute évidence, en mars 2011, les lecteurs furent bombardés de commentaires prônant le R2P comme base d’une intervention militaire occidentale en Libye. Comme nous l’avons démontré, nombre des prétendues atrocités invoquées pour justifier l’attaque de l’OTAN – l’utilisation par le régime Khadafi de mercenaires étrangers assoiffés de sang, les viols en masse alimentés par le Viagra, le massacre planifié de Benghazi – étaient de pures fabrications. En revanche, le chaos violent qui s’est abattu sur la Libye depuis la guerre menée par l’OTAN est lui bien réel.

D’où des questions intéressantes. Comment les mêmes politiques et journalistes ont-ils réagi au renversement, le 3 juillet 2013, du gouvernement égyptien, élu démocratiquement, par une force militaire armée, entraînée et soutenue par les Etats-Unis ? Comment les politiques et les médias ont-ils réagi face au massacre horrifiant et avéré, le 14 août, de civils par cette même armée ? Et dans quelle mesure la doctrine tant aimée du ‘droit des protection’ – fondée en principe sur la morale plutôt que la realpolitik – a-t-elle figuré dans la couverture médiatique de ces crimes ?

COMPARAISON DES PROPOS D’OBAMA SUR LA LIBYE, LA SYRIE ET L’EGYPTE

Selon le Centre Egyptien de Recherche Economique et Sociale , 1295 Egyptiens furent tués entre le 14 et le 16 août, dont 1063 périrent en la seule journée du 14. La violence était le fait d’un seul bord, comme le rapporta le ‘Guardian’ :

‘Les charges centrales, comme quoi la plupart des partisans des Frères Musulmans sont violents, que leurs deux camps de protestation n’étaient que des cellules terroristes hypertrophiées, et que par conséquent la répression était justifiée et même modérée, ne sont pas étayées par les faits.’

Pour remettre ce massacre en perspective, 108 personnes furent tuées en Syrie au cours du massacre de Houla perpétré le 25 mai 2012, et qui fut immédiatement imputé au président Assad en personne, ce qui entraîna une tempête de protestations et à des appels pour des représailles militaires occidentales.

Comment comparer la réaction anglo-américaine aux événements de Libye, de Syrie et d’Egypte ?

Le ‘Guardian’ cita l’opinion d’Obama sur la Libye dans un article intitulé ‘Obama engage la puissance occidentale en faveur de la liberté au Moyen-Orient’ :

« Même si ne pouvons pas empêcher toute injustice, il y a des circonstances qui s’imposent à nous – quand un chef d’état menace de massacrer sa population et la communauté internationale exige des actes. C’est pour cela que nous avons empêché un massacre en Libye. Et c’est pour cela que nous poursuivrons notre action sans relâche jusqu’à ce que les populations civiles de Libye soient protégées et que l’ombre de la tyrannie soit écartée. »

Avec son objectivité habituelle, le ‘Guardian’ évoqua un ‘discours stimulant’ qui plaçait les USA ‘sans ambiguïté du côté de ceux qui se battent pour la liberté au Moyen-Orient’.

Comment cet engagement américain en faveur des droits de l’homme se manifesta-t-il à la suite du massacre massif perpétré par la junte militaire égyptienne le 14 août ? Obama fit le commentaire suivant :
« Nous sommes conscients de la complexité de la situation.. Après l’intervention militaire (sic) d’ il y a quelques semaines il restait des chances de poursuivre une voie démocratique. Au lieu de cela une voie plus dangereuse a été choisie.(…) Les Etats-Unis condamnent fermement les mesures qui ont été prises par le gouvernement d’intérim (sic) égyptien et les forces de sécurité. Nous déplorons les violences contre les civils. Nous soutenons les droits universels essentiels à la dignité humaine, dont le droit à la protestation pacifique. Nous sommes opposés à la poursuite de la loi martiale. »

Obama annula les exercices militaires communs prévus entre les deux armées, mais il ne suspendit même pas les 1,3 milliards de dollars d’aide aux forces armées égyptiennes. Jen Psaki, une porte-parole du Département d’Etat, affirma :

« La route du retour à la démocratie est semée d’embûches. Nous continuerons à y travailler. »

Le New York Times remarqua que les 1,3 milliards d’aide militaire servent précisément à accéder aux armements chers et sophistiqués qu’affectionne l’armée égyptienne. Le ‘Global Post’ dressa la liste des dix plus grands contrats de ‘défense ‘ concernant des groupes américains tels que Lockheed Martin, Boeing, Raytheon et AgustaWestland.

Spencer Ackerman écrivit dans le ‘Guardian’ :

« Ce qu’il y a de plus incompréhensible dans la réaction passe-partout de l’administration américaine suite au massacre de mercredi en Egypte, c’est son refus d’utiliser l’influence sur les généraux du Caire que lui procure l’aide militaire. »

Ceci doit effectivement sembler incompréhensibles aux journalistes convaincus que les USA sont ‘sans ambiguïté dans le camp de ceux qui luttent pour la liberté. Apparemment insensible au le massacre perpétré, Ackerman énonça l’heureuse vérité :

« Le plus important pour les Etats-Unis était que l’armée ne massacre pas de civils égyptiens. »

Le ministre britannique des Affaires Etrangères, William Hague, qui n’a eu de cesse d’exiger la guerre contre la Libye, la Syrie pour réagir contre des crimes réels, inventés ou prévus, fit le commentaire suivant sur les centaines de morts civiles en Egypte :

« Notre influence est limitée – face à un pays indépendant et fier de l’être – et il y aura de nombreuses années de turbulences en Egypte ainsi que d’autres pays.. Nous devons faire de notre mieux pour promouvoir les institutions démocratiques et le dialogue politique. »

Patrick Cockburn se distingua par un compte rendu honnête d’au moins d’une partie d’une vérité peu reluisante :

« Malgré toutes leurs expressions de consternation devant le bain de sang de la semaine dernière, les Etats-Unis et les états de l’UE furent si muets et hypocrites dans leurs critiques du coup militaire du 3 juillet qu’il faut en conclure qu’ils préfèrent l’armée aux Frères Musulmans. »

Ceci explique peut-être pourquoi la base de données des médias Lexis n’a relevé que deux articles contenant les mots ‘Egypte’ ou ‘Droit de Protéger (R2P) depuis le 3 juillet. Une seule phrase unique à ce sujet figure en passant dans un éditorial de l’ ‘Observer’ consacré à la Syrie. L’autre, ironiquement, cite une déclaration de l’armée égyptienne suite au bain de sang du 14 août :

« Sur l’injonction du gouvernement de prendre des mesures nécessaires face aux sit-ins de Rabaa et Nahba, et par souci de la responsabilité nationale d’assurer la sécurité des citoyens, les forces de sécurité ont commencé à prendre les mesures indiquées pour disperser les sit-ins. « (‘Les voix de la violence’, ‘Independent’, 15 août 2013)

Le Droit de Protection n’est visiblement pas à l’ordre du jour pour les alliés anglo-américains en Egypte. Mais il est encore plus curieux elle ne soit pas non plus à l’ordre du jour pour les journalistes de la presse libre qui proclament si fièrement son objectivité et son indépendance.

2e partie : LA REACTION DES MEDIAS FACE A L’EGYPTE, LA LIBYE ET LA SYRIE

La couverture par les grands groupes de médias des atrocités en Egypte, Libye et Syrie a suivi de près les interprétations et les priorités des gouvernements du Royaume Uni et des USA.
Alors que le gouvernement américain refuse de reconnaître qu’il y a bien eu un coup d’état militaire le 3 juillet dernier en Egypte, de nombreux médias ont évité d’utiliser ce terme, lui préférant d’autres tels que le changement ou le renversement du gouvernement élu.
Dans ses reportages sur les atrocités en Libye et en Syrie, la BBC s’attarde longuement sur les ‘crimes’ commis, mais décrit le meurtre de masse en Egypte comme une ‘tragédie’. Les tueries en Syrie sont toujours décrites comme un massacre, alors qu’en Egypte il s’agirait d’une répression, terme moins péjoratif.
En février 2011, le Times insistait qu’il y avait des preuves incontestables que ‘les opposants de Benghazi sont en train d’être décimés par les tirs de mortier’
La réaction morale appropriée à ces crimes, ainsi qu’à d’autres, à la véracité tout aussi douteuse, du régime Kadhafi s’imposait donc :
‘Les responsables britanniques et les citoyens ordinaires doivent tout faire pour l’encourager, le pousser amicalement vers la sortie ou faire pression sur lui pour qu’il quitte le pouvoir.’ (grand titre ‘En bombardant ses propres citoyens, la Lybie est devenu un état hors-la-loi’, ‘Times’, 23 février 2011)
Comparons la réaction du Times au lendemain du massacre, le 14 août, d’un millier d’ individus par une junte militaire qui avait renversé un gouvernement démocratiquement élu :
‘La légitimité du gouvernement provisoire égyptien tient à un fil après les tueries d’hier. (grand titre ‘Meurtre au Caire, ‘Times’, 15 août 2013)
Au moins le ‘Times’ reconnaissait-il qu’il y avait bien eu ‘un massacre’ après un ‘coup d’état’.
Mais, alors que le ‘régime hors-la-loi’ du Colonel Khadafi devait être chassé du pouvoir – non seulement par les officiels mais également par les citoyens britanniques lambda – le ‘régime provisoire’ égyptien conservait des bribes de ‘légitimité’.
Le général Al-Sissi, responsable du coup d’état, devait-il être poussé amicalement vers la sortie ou éjecté ?
‘La tâche la plus urgente du général Al-Sissi est de faire renaître… l’espoir. Il jouit toujours du soutien d’une grande partie des gens qui étaient descendu dans la rue en juillet. Les USA devraient respecter leurs propres lois et suspendre toute aide à l’Egypte. Il est trop tôt pour renoncer à tout progrès…mais il faudra plus que de l’espoir pour faire que cela arrive.’(grand titre ‘Gestion de Crise’, ‘Times’, 17 août 2013)
Il faudra plus que de l’espoir, mais moins que des bombardements, semble-t-il. Les citoyens ordinaires n’ont pas à se faire de mauvais sang.
En 2011, l’ ‘Independent’ célébrait la résurrection de ‘l’intervention humanitaire’ :
« La communauté internationale est arrivée à s’unir sur la Libye d’une façon qui, il y a seulement quelques jours, paraissait impossible. L’aventurisme (sic) de Bush et Blair en 2003 semblait avoir enterré le principe de l’intervention humanitaire pour une génération. Il est revenu plus vite que personne ne l’aurait imaginé. »
Sur la réussite de l’opération libyenne :
« Etant donné le danger qu’un massacre semblable à celui de Srebrenica puisse avoir lieu à Benghazi, le gouvernement britannique était dans son droit en insistant que nous ne devions pas le permettre. »
Malgré notre aventurisme occasionnel, ‘nous’ sommes légalement et moralement qualifiés pour décider de ce qui doit ou non être permis dans le monde.
Le grand titre à la une de l’ ‘Independent on Sunday’ (IoS) explosa à la suite du massacre de Houla, bien avant que les responsables aient été identifiés :
‘Il est censé y avoir un cessez-le-feu, que le régime brutal d’Assad feint d’ignorer. Et la communauté internationale ? Elle détourne son regard. Sauf si le sort affligeant de ces enfants malades vous met très en colère ?’ (IoS, 27 mai 2012)
Devrions-nous donc être ‘très en colère’ au sujet du ‘sort affligeant’ des manifestants civils non armés massacrés de sang-froid en Egypte ? L’IoS ne fit pas de commentaire, mais l’édition quotidienne observa :
‘L’administration américaine a exprimé sa désapprobation hier en annulant les exercices militaires communs. Cependant Washington refuse d’appeler un coup d’état un coup d’état, préférant l’influence qui agrémente une aide annuelle d’1,3 milliards de dollars à l’armée égyptienne. Il est temps d’utiliser cette force de pression. Toute aide devrait maintenant être suspendue, dans l’attente de nouvelles élections. »
Pas d’’action’, ni d’’intervention’, seulement le retrait de l’aide. La conclusion embarrassée était digne d’une pièce de Pinter :
‘Personne n’a dit que la transition de l’autocratie à la démocratie serait un jeu d’enfants.’

LA PASSION GUERRIERE ‘HONNETE’ DE L’ ‘OBSERVER’
Le titre de l’article à la une de l’Observer du 13 mai 2011 annonçait la couleur :
‘ L’Occident ne peut laisser Kadhafi détruire son peuple ‘.
Une nouvelle fois, il va sans dire que l’Occident est légalement et moralement qualifié pour décider de ce qui est permis ou non dans le monde. Regardez-donc notre bilan pour vous en convaincre. Les rédacteurs poursuivaient :
« Il n’y en a pas pour longtemps, à l’allure où vont les choses, avant que Benghazi elle-même soit menacée. Et ce qui va arriver est tout à fait clair : cette fois ce sera un bain de sang, le massacre d’hommes et de femmes qui ont osé se soulever contre un régime abject. Qui pourra rester les bras croisés devant ce qui sera considéré comme une répétition de Srebrenica ? »
Dans un état de forte émotion digne de Churchill, les rédacteurs de l’ ‘Observer’ demandèrent ‘une position commune n’acceptant aucune contradiction’- il ne convenait pas d’en discuter davantage. Bien au contraire, nous devions tous ‘nous engager, avec la passion honnête que nous éprouvons, à ce qu’à terme cette tyrannie ne reste plus en place. La Libye est l’avenir de notre liberté : elle ne doit pas être condamnée par les atermoiements du passé.’
Quand des ennemis officiels sont pointés, les lecteurs sont personnellement encouragés à passer à l’action. En tant qu’individus, nous ne devons pas détourner notre regard. Nous devons faire pression et encourager, nous engager passionnément pour rentrer dans l’Histoire. Ceci cherche à flatter les lecteurs, qui prennent conscience de leur importance. Et pourtant il est ironique de constater qu’en période électorale les médias ne s’intéressent guère à la politique étrangère et que les partis n’offrent que deux politiques étrangères : la guerre ou la guerre.
Après la chute de Tripoli aux mains des rebelles en 2011, le ‘Guardian’ écrivit au sujet de l’attaque de l’OTAN :
‘Il peut maintenant être dit qu’en termes strictement militaires elle a réussi, et que politiquement ses partisans ont été justifiés en rétrospective par les foules se déversant sur les rues de Tripoli pour accueillir les convois de rebelles en début de semaine’.
Donc qui a gagné le débat : les partisans favorables ou opposés à l’offensive ?
‘Etant donné que c’était très serré, il ne servirait à rien de compter les points maintenant.’
En clair, on s’est bien amusé, et il n’y a plus lieu de discuter.
Un article du ‘Guardian’ , immédiatement après le massacre du 14 août, fit remarquer que la réaction de la communauté internationale ‘ne s’était pas montrée à la hauteur, vu la gravité des événements’. Les commentaires du gouvernement américain n’étaient que ‘des discours creux, à moins que et jusqu’à ce que les USA réduisent sensiblement leur 1,3 milliard d’aide à l’armée égyptienne’.
Ainsi, alors que le ‘Guardian’ avait assommé ses lecteurs à coups de ‘devoir de protection’ par la force en Libye, comme ils le fait toujours maintenant, suite à une prétendue attaque aux armes chimiques en Syrie, il suffisait en Egypte que le gouvernement suspende son aide militaire.
Le ‘Daily Telegraph’ se félicita également de l’attaque de la Libye par l’OTAN :
‘Alors que le filet se resserre autour de Mouamar Kadhafi et sa famille, l’OTAN devrait être félicitée pour avoir contribué au le succès des rebelles.’
Et, après Houla, Assad devait tout simplement partir :
‘Même les Russes, qui ont pourtant été très têtus sur la Syrie, doivent commencer à s’en rendre compte.’
Au contraire, curieusement, un article du ‘Telegraph’ suite au coup d’état, et après le massacre du 14 août, était intitulé :
‘La démocratie égyptienne au bord du gouffre.’
S’agissait-il d’humour noir ? L’éditorial avertissait que, si l’ordre public était menacé, ou ne pouvait être maintenu que grâce à l’état d’urgence, alors les perspectives pour la démocratie en Egypte seraient effectivement sombres.’
Comme si le massacre de centaines de civils par une junte militaire n’indiquait pas déjà l’effondrement complet de la ‘démocratie’ et de l’ ‘ordre public’.
L’Occident devrait-il prendre des mesures d’ordre militaire ? Hélas, ‘nous ne sommes pas en mesure d’intervenir’, mais en utilisant les leviers économiques, ‘nous devons nous efforcer d’exercer notre influence là où nous le pouvons.’

ATTAQUE AU GAZ A DAMAS ? DES LIGNES ROUGES FRANCHIES, BRISEES, ECRASEES
Une semaine après le massacre en Egypte, des nouvelles émergèrent d’une importante attaque au gaz qui aurait tué des centaines de civils à Damas, en Syrie. Sarah Smith de Channel 4 posa la question qui semble venir si naturellement à l’esprit des journalistes britanniques :
‘L’horreur des armes chimiques en Syrie – le moment est-il venu d’intervenir ? » (Smith, Snowmail, 22 août 2013)
Il n’y avait nul besoin que des inspecteurs de l’ONU apportent des preuves matérielles de l’utilisation d’armes chimiques ; Smith, le correspondant de la rubrique ‘affaires’ de Channel 4 savait déjà ce qui était arrivé et qui en était le responsable :
« Il y a peu de doute que des lignes rouges ont déjà été franchies, brisées, écrasées. Mais quelqu’un va-t-il faire quoi que ce soit ? »
Les lignes rouges invoquées faisaient référence à l’avertissement d’Obama à l’encontre du gouvernement syrien, comme quoi tout usage d’armes chimiques entraînerait une ‘intervention’ américaine. Il ne vient à l’idée de personne pourtant que les USA puissent bombarder les ‘rebelles’.
Dans un même ordre d’idées, un article du ‘Guardian’ faisait le commentaire suivant, toujours sans aucune preuve sérieuse :
‘Il n’y a pratiquement aucun doute que des armes chimiques ont été utilisées à Ghouta dans la partie orientale de Damas. Il n’y a pratiquement pas de doute non plus quant au responsable. ‘
Un second article du ‘Guardian’ induisait également les lecteurs en erreur, insistant sur le besoin d’informations claires et convaincantes’ sur l’utilisation par l’état syrien d’armes chimiques :
‘Ces informations existent très probablement déjà – les preuves semblent l’indiquer’.
En réalité, personne ne connaît la vérité. Même les agents du renseignement américain avouent que la responsabilité du gouvernement syrien, et encore moins d’Assad, soit avérée. Les experts en armes chimiques émettent également des doutes. Il est bien sûr possible que les forces gouvernementales soient à l’origine des attaques, bien qu’il semblerait insensé, même suicidaire, qu’Assad ait ordonné le massacre au gaz de civils trois jours après l’arrivée en Syrie d’inspecteurs onusiens. Dans le ‘Daily Mail’ Peter Hitchens se distingua en faisant un commentaire rationnel à ce sujet :
« Dans ces circonstances, comment aurait-il pu faire quelque chose de si fou ? Jusqu’à cet événement, il se débrouillait plutôt bien dans sa guerre contre les rebelles sunnites. Tout gain concevable résultant de l’utilisation d’armes chimiques serait annulé un million de fois par le risque diplomatique. Cela n’a pas de sens. Assad n’est pas Saddam Hussein, ou un dictateur fou à lier, mais une personne raisonnablement intelligente, possédant une formation de médecin, qui n’aurait aucune raison tangible d’agit d’une façon si illogique et autodestructrice. Au contraire, les rebelles (souvent des djihadistes non syriens que les Syriens ordinaires détestent en raison des malheurs qu’ils ont déclenché) avaient de bonnes raisons de lancer une telle attaque. »
Souvenez-vous que le 6 mai, prenant la parole au nom d’une commission indépendante d’enquête sur la Syrie des Nations Unies, Carla del Ponte affirma qu’ « il y a des soupçons fondés et concrets, mais pas encore de preuves incontestables, de l’utilisation de gaz sarin, résultant du traitement des victimes. Ces violences sont le fait de l’opposition, des rebelles, et non du gouvernement » .
Sans conséquence – à la une de l’Independent on pouvait lire :
‘Syrie : des attaques aériennes en perspective – l’Ouest passe enfin à l’action’ (‘Independent’, 26 août 2013)
Même Robert Fisk de l’Independent fit le commentaire suivant :
« Le massacre au gaz de centaines de personnes dans la périphérie de Damas a fait franchir à la Syrie la fameuse ‘ligne rouge’ de l’Occident. – et pourtant ce ne sont que des paroles qui émanent de Washington et Londres. »
Une nouvelle fois, comme pour Houla, il n’y eut sur le moment peu ou pas de doutes quant aux responsables.
Une fois de plus, l’on discutait des ‘options’, éventuellement des frappes aériennes contre des dépôts de missiles ou des avions que Assad ne voudrait pas perdre’, avança le ‘Guardian’.
Et, une fois de plus, la discussion sur le ‘devoir de protection’ de l ‘Occident explosa dans les médias de tous bords : à la BBC, dans un article de l’Independent et un article de Katherine Butler, dans un article de l’Observer, dans de nombreux éditoriaux, lettres et articles du ‘Telegraph’, du ‘Times’ et ailleurs. Ces quatre derniers jours, le ‘Guardian’ a publié une pléthore d’articles sur le ‘devoir de protection’ en Syrie, signés Joshua Rozenberg, Malcolm Rifkind, Paul Lewis, John Holmes et Julian Borger.
La base de données Lexis ne trouve toujours pas de discussions du ‘devoir de protection’ en rapport avec le massacre perpétré par les alliés militaires de l’Occident en Egypte.
Nous devrions nous étonner que les grands groupes de médias peuvent changer d’orientation avec une telle discipline – comme une nuée de moineaux – se contredisant sans scrupules.
En fait, il est facile de voir que la ‘presse libre’ des grands groupes s’avère un système de propagande de l’élite structurellement irrationnel, subjectif, et extrêmement violent.

ACTION SUGGEREE
(Note d’Investig’Action : Dans cet article repris de l’anglais, ce groupe suggère des actions envers la presse britannique. Peut-être une inspiration pour nos pays également ?)
Le but de MediaLens est de promouvoir la rationalité, la compassion et le respect des autres. Quand vous écrivez à des journalistes, nous vous conseillons fortement d’adopter un ton poli et d’éviter tant l’agressivité que l’insulte.
Ecrivez à :
Brian Whitaker du ‘Guardian’ à brian.whitaker@guardian.co.uk Twitter @Brian_Whit
Jonathan Freedland du Guardian à jonathan.freedland@guardian.co.uk Twitter : @_jfreedland
Alan Rusbridger, rédacteur du Guardian à alan.rusbridger@guardian.co.uk Twitter @rusbridger
Sarah Smith de Channel 4 News à sarah.smith@itn.co.uk Twitter @sarahsmithC4

Source originale : David Edwards, Alerts 2013
Traduit de l’anglais par : J.P. Batisse pour Investig’Action

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