Syrie – Deraa: vers une victoire militaire d’Assad et de la Russie, que l’Occident ne peut accepter en l’état
juillet 15, 2018
Samedi 14 juillet 2018
La guerre en Syrie n’est pas une exception, elle ne pourra pas être gagnée que par les armes, mais elle ne pourra pas être gagnée sans les armes. Alors que l’armée régulière syrienne reprend sans cesse du terrain, l’Occident réagit … assez étrangement, si la question de la lutte contre le terrorisme, si l’intégrité territoriale évoquée ailleurs avec tant de force n’étaient pas des préoccupations à géographie variable. Alors que la grande ville sudiste de Deraa voit à nouveau flotter le drapeau syrien, la coalition américaine bombarde les alentours de Deir Ezzor, faisant des victimes civiles dans l’indifférence générale.
Après une opération menée conjointement avec la Russie, l’armée régulière syrienne a pu reprendre le contrôle du Sud, à Deraa, ville stratégique de la région et symbolique puisque c’est là qu’en 2011 les manifestations avaient commencé. Alors que la presse occidentale parle d’un « déluge de feu » dans un hyperbolisme qui était absent à Raqqa, il faut souligner que la logique d’un Etat est de reprendre son territoire et peu importe le vocabulaire employé par la presse occidentale, « troupes du régime » pour « armée régulière », « rebelles » pour « terroristes ». De nombreuses négociations ont été menées avec ces groupes « rebelles », pour qu’ils déposent les armes et se dissocient des terroristes de Al Nusra et Daesh. Contre ceux qui gardent les armes, évidemment, le combat a continué jusqu’à la victoire. C’est la logique étatique, la logique de lutte contre le terrorisme. Qui, certes, ne se réduit pas à allumer / éteindre la Tour Eiffel, comme un allumeur de réverbères fou.
Ainsi, dans le Bulletin d’informations du 9 juillet diffusé par le ministère russe de la Défense, l’on apprend que des groupes armés baissent les armes:
Finalement, après des combats, la Syrie restaure sa souveraineté sur le Sud et la cérémonie officielle du lever de drapeau sur la ville de Deraa en est le symbole.
L’armée syrienne est arrivée par la ville de Tafas, qui s’est ralliée à Damas, accueillie dans la joie et le soulagement de la population locale:
Pourtant, cela dérange. Cela dérange stratégiquement, car chacun comparait l’intervention russe en Syrie à l’Afghanistan. Or, elle est en passe de gagner la partie. Et si elle gagne la partie, l’échec de l’Irak, de la Libye, du Yémen (dont personne ne parle) n’en est que plus cuisant. Des pays détruits, l’Irak que les Etats-Unis refusent d’aider à reconstruire. La Syrie qui refuse les propositions occidentales pour la reconstruction du pays. Deux logiques opposées, irakienne et syrienne: celle de la soumission, celle de la reconquête de l’indépendance. Et la presse commence, sinon à s’interroger, du moins à s’inquiéter. Voir un article dans Atlantico:
C’est déjà une victoire stratégique de la Russie, qui va à l’encontre de l’image propagée, caricaturale, d’un pays à peine sorti de l’âge de pierre (à la limite du feu), vision totalement faussée par une russophobie primaire qui domine parmi les soi-disant « spécialistes » de la Russie en Occident.
Mais en définitive, le succès russe en Syrie est sûrement dû à une stratégie beaucoup plus globale alliant tactique et outil militaire modernisés et expérimentés à l’efficacité d’une diplomatie internationale, régionale mais aussi locale (je rappelle la création, sur le terrain, par les Russes, d’un Centre de réconciliation destiné aux négociations de guerre, la protection des transferts de combattants, l’aide aux populations en coordination avec les autorités civiles, les ONG et l’ONU). De toute évidence, il est aussi certain que les réussites diplomatiques du Kremlin, de ses diplomates et de ses négociateurs, entreront dans l’histoire…
Tout cela est au service d’une grande politique (et des fins géopolitiques) claire, cohérente et constante. Poutine n’a pas fait que lire Clausewitz, il applique ses principes : « La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens » ! Car au Moyen-Orient, les Russes font de la politique, leur politique. Et à la différence des Occidentaux, celle-ci est fondée sur le réalisme et leurs propres intérêts nationaux… et pas seulement commerciaux ! Elle prime sur tout le reste et n’est nullement soumise, comme malheureusement pour la politique de la France dans cette région, au commerce, à l’émotionnel ou à une quelconque idéologie. Là est la véritable clé.
La réponse doit donc être adaptée, car la victoire de la Russie et d’Assad signifie l’échec de la coalition américaine et de la bien-pensance occidentale.
La Coalition répond comme elle sait le faire depuis le début. Comprenant parfaitement que la victoire à Deraa libère des forces pour repartir sur les zones hors contrôles, elle compte bien tenir envers et contre tout, envers l’armée régulière syrienne – qui est sur son territoire, la région de Deir Ezzor (voir notre texte ici sur le sujet). La coalition américaine joue sur la gamme de l’occupation d’un territoire étranger. Rappelons que la France y participe. Une intervention étrangère est possible soit dans le cadre d’un mandat de l’ONU (sans l’accord de l’Etat concerné), soit sans mandat de l’ONU sur demande de l’Etat concerné. Sinon, l’intervention est illégale, elle s’apparente à une action de guerre menée contre un Etat souverain et ce quelle que soit la richesse des sous-sols. l’ampleur de la violation des droits de l’homme …
Cette fois encore, la Coalition a bombardé. Des civils. Des villages. Il s’agit selon les sources locales, de la banlieue de Boukamal (Deir Ezzor), détruisant les habitations et faisant 30 morts et des dizaines de blessés, surtout des femmes et des enfants.
Etrangement, cette information n’est pas trop diffusée. En revanche, l’on entend les appels « désespérés » de la bonne conscience occidentale publier une tribune dans le non moins bien-pensant Le Monde appelant à une réaction de la communauté internationale face à cette victoire inadmissible d’Assad. Qui entraînerait d’échec moral de l’Occident. En effet, cette victoire remet en question la posture occidentale et la protection dont il couvre l’islamisme sur ses propres terres.
En attendant une énième mise en scène des Casques Blancs sur une énième attaque chimique dont évidemment Assad et la Russie seraient responsables, puisque en toute logique ils gagnent la guerre et n’en ont absolument pas besoin, il reste à espérer un peu de lucidité pour une sortie de crise concertée de la rencontre entre Trump et Poutine. La Syrie peut être un terrain d’entente entre les deux présidents, sans que les Etats-Unis ne perdent (trop) la face. Et Trump peut toujours reporter la faute sur Obama.
Le sommaire de Karine Bechet-Golovko
Le dossier Syrie
Les dernières mises à jour
Source : Russie Politics
http://russiepolitics.blogspot.fr/…