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Syrie : Les alaouites paient chèrement leur loyauté envers Bachar al-Assad.


Syrie : Les alaouites paient chèrement leur loyauté envers Bachar al-Assad.

Publié par Gilles Munier
16 Avril 2015,

Revue de presse : The Telegraph – article de Ruth Sherlock, traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier (7/4/17)*

La communauté confessionnelle des alaouites (à laquelle appartient la famille Assad) a vu près d’un tiers de ses jeunes hommes tués dans le conflit. Aujourd’hui, des mères de famille refusent d’envoyer leurs fils à la guerre.

Au cœur du fief du régime Assad, les corps d’officiers tués sont ramenés chez eux dans des ambulances, tandis que les corps de soldats ordinaires sont rendus aux leurs dans les bennes de pickups.

C’est alors qu’arrivent les gangs de la presse: des recruteurs de l’armée envahissent les maisons afin de trouver par la force de nouveaux hommes pour les rangs de plus en plus clairsemés de l’armée syrienne Ayant en commun avec le Président Bachar al-Assad une même communauté religieuse, les alaouites constituent depuis longtemps le principal fief du régime syrien. Mais vue depuis l’intérieur de cette communauté, la situation est très différente: tandis que leurs enfants meurent par dizaines sur les diverses lignes de front et que les privilèges économiques cessent (financements et piston), les alaouites ont de plus en plus le sentiment d’être instrumentalisés.

Ainsi, dans une série d’interviews exclusives, des alaouites de la province côtière de Lattaquié, berceau de la communauté, ont déclaré au Telegraph se sentir pris au piège désormais entre des djihadistes qui voient en eux des apostats et un régime lointain et corrompu qui leur avait assuré que cette guerre allait bientôt se terminer victorieusement pour eux.

« La plupart des gens (chez nous) n’a plus de salaire et certains n’ont même plus de quoi manger », a ainsi indiqué Ammar, un homme d’affaires de Lattaquié. « Mes amis me demandent : M. Ammar, que devons-nous faire ? Le régime veut nous enrôler comme soldats. Nous mourrons, c’est sûr. Mais nous n’avons pas d’argent pour partir de Syrie ».

L’ampleur des pertes subies par la communauté est affolante : avec une population d’environ deux millions de personnes, soit un dixième de la population syrienne, les alaouites peuvent afficher sans doute environ 250 000 hommes en âge de porter les armes. Aujourd’hui, c’est près d’un tiers de ceux-ci qui a été tué, disent des citoyens syriens et des diplomates occidentaux.

Nombre de villages alaouites blottis entre les collines de leur province de Lattaquié, riche de souvenirs historiques, sont presque exempts d’hommes jeunes. On ne voit partout que des femmes en noir.

« Tous les jours, nous voyons au minimum trente hommes tués que l’on ramène chez nous depuis les lignes de front dans des cercueils », dit Ammar, qui a modifié son prénom afin de se protéger lui-même et de protéger les membres de sa famille.

« Au début de la guerre, leur mort (héroïque) était célébrée lors de funérailles solennelles. Désormais, on les balance sans décorum particulier dans des bennes de camionnettes ».

Le gouvernement syrien n’a jamais publié de chiffres sur ses soldats tués dans le conflit. La télévision syrienne d’Etat ne diffuse généralement aucune information au sujet des soldats alaouites tués, alors qu’elle insiste lourdement sur les morts de leurs camarades de combat qui sont sunnites, histoire de conserver un maigre soutien dans la communauté sunnite.

Un rapport du Réseau pour les Droits de l’Homme de l’Opposition syrienne publié fin 2014 indiquait que les groupes de combattants pro-gouvernementaux avaient essuyé la plus importante proportion de morts, avec plus de 22 000 soldats réguliers et hommes des milices tués au cours de la seule année 2014.

Parmi ces tués, un nombre disproportionné d’alaouites : « Dans les batailles avec des groupes armés sunnites, le gouvernement ne fait pas confiance à ses soldats sunnites, car il n’est jamais sûr que ceux-ci ne feront pas défection », a expliqué un habitant alaouite de la région, ancien soldat, qui a requis l’anonymat. « Résultat : les alaouites sont envoyés au casse-pipe ».

Une habitante de Lattaquié, s’exprimant elle aussi sous le couvert de l’anonymat, nous a dit : « Les mères chérissent plus leurs enfants que Bachar. Aussi elles tentent désormais de les cacher autant que possible…».

Des habitants ont relaté des cas de femmes poussées à bout et inspirées par un instinct de protection ayant érigé des « checkpoints » aux entrées de certains villages de la montagne afin d’empêcher l’armée d’emmener leurs fils au combat par la force.

Elles ont dit aux officiers : « Allez chercher les fils des gros bonnets et envoyez-les au front d’abord ! Après ça, nous vous donnerons nos enfants, mais seulement après ! » nous a dit Ammar à propos d’une de ces manifestations de protestation à laquelle il avait personnellement assisté.

La communauté est de plus prise pour cible par le mouvement de rébellion qui est dominé par des djihadistes sunnites qui considèrent que les alaouites sont des mécréants. Ils se vantent ouvertement de leur désir de « purger » le pays de cette « salissure dangereuse ».

Les alaouites, qui se sont distancés de la branche chiite de la foi islamique au neuvième siècle de l’ère chrétienne, croient que les prières ne sont pas obligatoires, ils ne pratiquent pas le jeûne et ne se rendent pas en pèlerinage (à La Mecque). Beaucoup de leurs préceptes religieux sont secrets, ce qui ajoute du piment à leur aspect mystérieux. Mais cela ne fait qu’alimenter par ailleurs les mythes diffamatoires que leurs détracteurs colportent à leur sujet.

Peuplement rustre de montagnards originellement considérés comme des sortes de parias, les alaouites se sont élevés jusqu’aux commandes du pouvoir après la chute de l’Empire ottoman, lorsque les gouvernants du mandat français sur la Syrie voulurent des soldats déterminés à défendre le régime contre une insurrection sunnite. Ils trouvèrent chez les alaouites des volontaires qui ne demandaient pas mieux que de se battre contre leurs « oppresseurs » sunnites.

Leur puissance croissante au sein de l’armée amena le général Hafez al-Assad à s’emparer du pouvoir (par un coup d’Etat militaire), qu’il transmit héréditairement à son fils Bachar. Depuis lors, le régime Assad a enrichi des membres de la secte alaouite en nommant de manière disproportionnée certains de ses membres à des postes éminents dans les domaines politique, militaire et financier.

Toutefois, la plupart des alaouites vit encore dans une pauvreté extrême. « Depuis qu’il est au pouvoir, Assad n’a pas amélioré nos salaires », indique un résident alaouite. « Dans mon village, il y a seulement quelques villas cossues, parmi des centaines de masures ».

Alors que la guerre se poursuit sans qu’aucune issue ne soit en vue, l’effondrement de l’économie syrienne fait basculer les pauvres dans la déréliction.

Le régime a coupé des subventions qui maintenaient de nombreuses familles à flot. L’électricité est souvent coupée, même à Lattaquié, et dans les villages de la montagne, il n’y a souvent plus de courant du tout. Le fioul, pour le chauffage et pour les véhicules est devenu extrêmement cher et difficilement trouvable.

Dans leurs fiefs respectifs, les seigneurs de la guerre deviennent de plus en plus indépendants. Les chefs de milices sentent qu’ils ont désormais le pouvoir de refuser d’obéir aux ordres venus de Damas, selon Joshua Landis, un professeur d’histoire de l’Université d’Oklahoma, qui reste en contact avec des membres syriens de la communauté alaouite.

Plusieurs membres de la famille Assad, hier tellement pauvres qu’ils étaient considérés comme des intouchables, sont morts dans des circonstances louches à Lattaquié. Des circonstances dans lesquelles d’aucuns ont vu une concurrence avec d’autres pour l’argent et le pouvoir local. Ainsi, des mystères entourent la mort de Muhammad al-Assad, le mois dernier, un cousin germain très connu du président Assad, qui fut naguère un membre redouté des shabiha, une mafia de contrebandiers qui a émergé du sein de la famille Assad.

Néanmoins, la plupart des alaouites continue à penser que toute action risquant d’affaiblir sérieusement le régime risquerait d’aboutir à ce que leurs villages ne se retrouvent un jour contrôlés par une opposition recherchant mordicus une revanche sectaire.

C’est pourquoi ils conservent profil bas, souffrant en silence tandis que leurs fils leur sont rendus dans des linceuls.

Mohammed, notre chauffeur de taxi, nous a confié : « A Lattaquié, plus personne ne sourit : il n’est pas une famille qui n’ait perdu un de ses membres chers », explique-t-il. « L’ange de la mort ne sait plus où donner de la tête ».

Source: In Syria’s war, Alawites pay heavy price for loyalty to Bashar al-Assad, par Ruth Sherlock – The Telegraph – 7/4/15 (+ liens dans l’article)

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