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SYRIE : ON GAZE ET ON RASE GRATIS


Études Géopolitique Sommaire

Jacques Marlaud
9/09/2013

Le monde se retrouve une fois de plus au seuil d’une guerre qui menace non seulement d’embraser le Moyen-Orient mais aussi, par le jeu des alliances et celui des conflits d’intérêts, de s’étendre bien au-delà, voire peut-être d’atteindre les proportions d’une troisième guerre mondiale qui cessera d’être froide.

LES FAUTEURS DE GUERRE

Les seuls responsables de cet élargissement « irresponsable » d’un conflit interne à la Syrie, qui dure maintenant depuis deux ans et demi, et qui aurait pu se terminer depuis longtemps si les Occidentaux avaient joué le jeu de l’apaisement et de la négociation au lieu d’alimenter, par le biais de leurs alliés et supplétifs —notamment les pétroprinces du Qatar et d’Arabie saoudite, en sus du verrou turque de l’OTAN— « l’opposition » à Bachar Al Assad en pétrodollars, en armes et en main d’œuvre terroriste venue de tous les horizons de la planète djihadiste, les seuls responsables, disions-nous, sont ceux qui, non contents de jeter constamment de l’huile sur le feu, décideront, peut-être dans quelques jours ou quelques semaines, d’employer l’artillerie lourde (missiles tomahawk et bombardiers), décuplant le niveau des hostilités contre un pays qui n’a fait que se défendre chez lui face aux agresseurs étrangers qui pullulent sur son territoire.

L’OBJECTIF DES REDRESSEURS DE TORTS

Cette éventuelle frappe se déroulera au moment précis où l’armée arabe syrienne, qui a remarquablement tenu bon face à l’adversité redoutable suscitée contre elle depuis une trentaine de mois, est en train de l’emporter sur le terrain, quels que soient les fronts (Damas, Alep, Homs, Hama, frontière jordanienne…), son but évident à court terme étant de tenter d’inverser le cours des batailles actuelles et de renverser un gouvernement qui a l’audace de tenir tête (grâce au soutien remarquable d’une majorité de son peuple et de ses alliés iranien et russe) à la coterie américano-saoudo-turco-israélienne qui prétend remodeler à sa façon, et à sa botte, le Moyen-Orient arabe. À moyen terme, l’objectif de ladite volée de missiles ciblés est de briser l’axe de résistance à l’occupation illégale et à la confiscation des terres palestiniennes par les Israéliens constitué par la Syrie, le Hezbollah libanais et l’Iran, alliance qui en sus de la sympathie des non-alignés, peut se prévaloir de puissants appuis du côté de la Russie et de la Chine et espérer s’augmenter à moyen terme d’États arabes désireux de se libérer de l’emprise états-unienne, tels que l’Irak, l’Égypte, le Liban et la Jordanie.
La perspective d’un tel front des non-alignés susceptible de renverser les pétromonarchies corrompues en redistribuant la ressource pétrolière aux peuples concernés, de contraindre Israël à libérer enfin la Palestine et d’exiger le retrait des puissances étrangère ainsi que le désarmement nucléaire de toute la région, provoque la panique chez le grand-frère yankee qui se voit mal restituer « l’Arabie aux arabes » et repartir chez lui en se contentant d’exploiter son propre gaz et son pétrole de schiste.
Dans l’immédiat, outre la liquidation du récalcitrant Assad, il s’agit en tout cas de porter un coup d’arrêt au projet de liaison pétro-gazière en cours de réalisation qui reliera à terme la Chine à la Méditerranée syrienne en passant par l’Inde, le Pakistan et l’Iran, afin de lui substituer un contre-projet éliminant l’Iran et ses alliés, favorisant la jonction entre Israël et le Golfe persique, grâce au Qatar et à l’Arabie, gérant ensemble un espace syro-libanais démembré et recomposé par ses nouveaux suzerains.

DES PRÉTEXTES QUI PUENT LE GAZ LACRYMOGÈNE

Bien entendu, le bon peuple, partout dans le monde, n’est pas supposé comprendre les subtilités de la géopolitique, et encore moins les tractations, les bakchichs, les rétrocommissions, ni les entrelacs d’une politique des tubes d’hydrocarbures fort complexe. Il ignore les appels du pied et les graissages de pattes qui ont rapproché la France sarkozienne du Qatar et des Émirats Arabes Unis. Il ne voit pas François Hollande dérouler le tapis rouge devant les investisseurs qataris et saoudiens et leur mendier quelques achats d’armes; il ne sent pas la pression du puissant lobby israélien qui, en France comme aux États-Unis, surprotège un régime sioniste agressif et surarmé contre un Iran épuisé par des sanctions illégales, inquiet et sur la défensive. Il ignore que François Hollande est un Young Leader de la French-American Foundation, tout comme ses ministres Pierre Moscovici et Arnaud Montebourg, ou ses rivaux Alain Juppé, Valérie Pécresse et Nathalie Kosciusko-Morizet, ce qui implique de leur part une indéniable allégeance à l’idéologie états-unienne…
Tout ce qu’il faut au bon peuple pour assurer de façon quasi automatique son alignement sur les positions des régimes présidentiels français ou états-unien lorsque ceux-ci décident de bombarder puis d’envahir un pays qui ne menace évidemment pas le leur, c’est une émotion très vive, généralement liée à une menace potentielle, vraie ou alléguée, ou bien à un sentiment d’horreur face aux actes de barbarie, vrais ou allégués, d’un tyran quelconque qui fait parler de lui plus que les autres parce qu’on a justement besoin d’attirer l’attention sur lui. Ces dernières années les têtes de Turcs de notre foire aux tyrans furent Milosevic et Saddam Hussein, puis Khaddaffi et Bachar Al Assad. Certains avaient, soi-disant, des armes de destructions massives (qui n’existaient pas la plupart du temps), et tous auraient délibérément massacré leur propre population. Depuis le début de l’an 2011, on a accusé Bachar de nombreux massacres cruels sans prouver quoi que ce soit. Il s’agissait souvent de femmes et d’enfants égorgés… Par contre les terroristes d’en face se sont vantés de toute sorte d’horreurs qu’ils ont exhibées dans des vidéos : des prisonniers abattus, sommairement, des postiers défenestrés du haut de plusieurs étages, des têtes coupées au sabre, des otages exécutés, les organes d’une victime dévorés tout crus… sans que nos politiques, si soucieux de faire la morale aux autres, ni leurs chiens de garde médiatiques, n’hurlent au scandale.

Avec le temps, le discours offensif contre un régime qui, selon M. Fabius et ses collègues sionophiles Kouchner et l’ineffable BHL, ne devait pas survivre bien au-delà de son premier printemps (arabe), s’est émoussé. Bachar regagne en popularité et son armée regagne le terrain perdu. Le gendarme du monde qui guettait une opportunité de relancer la machine à écraser les récalcitrants lui a pourtant posé une « ligne rouge » sur laquelle il a prétendument foncé, tel un torero vers la muleta : c’était celle de l’emploi de gaz de combats —prohibé par les conventions internationales— dans sa lutte contre « son opposition politique », à savoir, pour l’essentiel, les bandes de terroristes islamistes financées et armées par certaines pétromonarchies. Alors que des enquêteurs de l’ONU étaient sur place pour examiner les allégations antérieures d’usage de gaz par les terroristes et par les forces gouvernementales, une attaque massive aurait eu lieu le 21 aout dernier, faisant 1300 à 1400 victimes, civiles pour la plupart. Avant même toute enquête sur la réalité, l’ampleur et la provenance de cet attentat (que l’auteur présumé n’avait aucun intérêt à commettre), les accusations ont fusé, plus péremptoires les unes que les autres, et un vaste dispositif militaire états-unien fut mis en place autour de la Syrie. À Paris comme à Washington, des soi-disant « preuves » ont été fournies qui n’ont pas convaincu grand monde à l’ONU ni à Saint-Pétersbourg lors du G20… Du côté des accusés et de leurs alliés, en tout cas, on répète que si l’on avait de vraies preuves, cela se saurait. Par contre, les milieux politico-médiatiques va-t-en-guerre se sont persuadés, selon la méthode Coué, que leurs affirmations tiennent lieu d’évidence. La présomption de culpabilité a donc emprunté les autoroutes médiatiques sans pour autant convaincre les peuples si l’on en croit les récents sondages montrant que les Français comme les États-Uniens, les Allemands et les Britanniques dont le Parlement a rejeté le projet d’attaque, sont majoritairement hostiles à toute intervention militaire contre la Syrie.
Les va-t-en-guerre, un peu sonnés par le manque d’enthousiasme pour leur danse du scalp, ont provisoirement reculé : Obama va consulter son Congrès, sans toutefois être tenu par sa décision si elle s’opposait aux bombardements envisagés. Hollande déclare attendre les analyses des inspecteurs de l’ONU, tout en sachant que celles-ci ne pourront probablement pas établir la provenance certaine de ladite attaque au Gaz… Entretemps, la toile électronique bruisse de rumeurs plus ou moins sérieuses indiquant que l’attentat en question provient des adversaires du régime syrien dont quelques survivants auraient avoué, à des journalistes accrédités, avoir déclenché des bombes dont ils ignoraient le contenu, livrées par l’Arabie saoudite, en commettant une malencontreuse erreur de manipulation qui aurait coûté la vie à une vingtaine des leurs (http://www.almanar.com.lb/french/adetails.php?eid=127928&cid=18&fromval=1&frid=18&seccatid=37&s1=1)…
De leur côté, des pirates de l’Internet auraient intercepté des échanges de courriels entre officiers supérieurs états-uniens et entre leurs épouses qui font état d’un montage video et photographique lorsque les cadavres des victimes supposées ont été filmés juste après l’attaque (cf : http://pastebin.com/zeXpsRnh)…
Qui croire ?

Aujourd’hui (dimanche 8 septembre), on apprenait que la Chancelière allemande, AngelaMerkel, cédant à la pression intense des lobbies pro états-uniens, a fini par renoncer à sa prudence pour accuser à son tour le pauvre Bachar (une autre victime indirecte des chambres à gaz ?) de tous les torts et approuver par avance le sort expéditif promis à son malheureux pays. Dans le même temps, le secrétaire d’État John Kerry, ancien adversaire de Bush à propos de l’Irak, était à Paris où, dans un français châtié, il a insisté sur l’horreur des gazages dont les Français ont été victimes dans les tranchées de 14-18. Deux jours plus tôt, il avouait sans vergogne que son grand pays demanderait à l’Arabie Saoudite de financer la campagne de bombes contre la Syrie.

Partout, la mythologie du gaz est mise en avant comme une arme d’accusation massive pour tenter d’excuser par avance les innombrables victimes des missiles que se préparent à lancer sur un relativement petit pays, déjà dévasté par une longue guerre civile, certaines des plus puissantes armées du monde.

LE BASCULEMENT MULTIPOLAIRE A COMMENCÉ

Toutefois, que les frappes aient lieu ou non, la partie est loin d’être gagnée pour les agresseurs occidentaux. D’abord ils ont échoué à rassembler la vaste coalition qu’ils espéraient originellement. Ils ont vu avec effroi l’opposition populaire à cette guerre s’intensifier avec le temps chez eux et autour d’eux. Les grands pays qui s’opposent vigoureusement à leur projet (l’Inde, le Brésil, la Chine, la Russie et l’Afrique du Sud) sont restés fermes et déterminés. La Russie a expédié une flotte de guerre impressionnante en Méditerranée, dont plusieurs navires de débarquement, pour faire pièce aux navires états-uniens. Selon certaines rumeurs, la Russie pourrait frapper massivement l’Arabie Saoudite si son allié syrien était trop durement atteint. De même, l’Iran et ses alliés du Hezbollah ont fait savoir qu’ils ne resteraient pas passifs lors d’une éventuelle attaque contre leur allié. Du côté Syrien, relativement bien équipé en missiles défensifs et offensifs, une contre-attaque est prévue qui pourrait « réserver des surprises ». De la part d’un chef calme à la tête d’une armée aguerrie qui se bat pour sa survie, de tels propos ne peuvent être pris à la légère.
Et, tout autour, les nouvelles ne sont pas bonnes pour la coalition va-t-en-guerre. L’Égypte a fait savoir qu’elle fermerait canal de Suez aux navires de guerre. L’Irak interdit tout survol de son territoire aux escadres de bombardiers. La Jordanie, dont une dizaine d’officiers supérieurs ont été arrêtés pour avoir transmis de fausses informations à la CIA opérant contre la Syrie à partir de son territoire, refuse de servir de tremplin à une attaque contre son voisin arabe. En Israël même, des doutes, exprimés par divers médias, apparaissent quant à l’opportunité des frappes envisagées. L’État hébreu n’ignore pas la vulnérabilité de son territoire exigu (dont la base nucléaire de Dimona pourrait être l’une des premières visées) et redoute l’efficacité de la milice du Hezbollah qui lui a naguère infligé une cuisante défaite.

Au-delà du face à face militaire dont l’issue reste incertaine, même si il ne fait aucun doute que des bombardements massifs pulvériseraient les installations militaires et industrielles syriennes, et aussi, mais plus difficilement sans doute, derrière elle éventuellement, celles de l’Iran, nul ne peut prévoir ce qu’il en coûtera en fin de compte aux agresseurs. La Russie et la Chine peuvent sortir considérablement renforcées d’une confrontation qui coûtera cher à leur adversaire, matériellement, humainement et surtout en termes de prestige international.
C’est justement parce que les économies occidentales sont à bout de souffle qu’elles se lancent une fois de plus dans une fuite en avant militaire. La France a besoin de tester un peu plus ses avions Rafales pour les vendre aux riches principautés pétrolières, et à l’Inde dont la commande doit être confirmée. Mais la Syrie n’est pas la Libye ni le Mali : il serait dommage que les têtes brûlées de notre gouvernement envoient nos coûteux avions au casse-pipe en même temps que les juteux contrats ! Dommage ou bien fait ?

Les tergiversations, les procrastinations des chefs occidentaux face à la fermeté sereine de leurs adversaires leur ont déjà fait perdre la mère des batailles, celle de la consécration médiatique. Le héros du jour est indéniablement Vladimir Poutine. Gageons que si la bagarre dégénère, c’est lui qui, par un coup de semonce, sifflera la fin de la récréation.
C’est lui aussi qui peut rendre leur utilité aux Nations Unies en en faisant le forum du nouveau monde multipolaire en train d’émerger.

On peut donc gazer et raser gratis à tour de bras, à plein tonneaux de fiel médiatique, et même à pleines volées de missiles et de bombardiers, aucune de ces gesticulations énervées n’arrêtera la révolution du monde en cours, et celle-ci, du point de vue d’un esprit européen, est plutôt réjouissante.
J.M., 09/09/13

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