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Syrie : Que signifient les récents développements autour de Manbij ?


Mouna Alno-Nakhal

Mercredi 8 mars 2017

Le 2 mars 2017 nous traduisions un communiqué officiel publié par le « Bureau d’information du Conseil militaire de Manbij » [1] :

« Dans le but de protéger les civils, de leur épargner les horreurs de la guerre, le sang et tout ce qu’elle amène comme tragédies. Afin de préserver la sécurité de la ville de Manbij et sa campagne. Afin de couper la route aux convoitises turques d’envahir davantage de territoires syriens. Et conformément à notre engagement de faire tout le possible dans l’intérêt ainsi que la sécurité de notre peuple et de nos proches à Manbij :

Nous, Conseil militaire de la ville de Manbij et de ses environs, annonçons que nous avons convenus avec la partie russe de remettre les villages, situés sur la ligne de contact avec le Bouclier de l’Euphrate et contigus à la région d’Al-Bab sur le front ouest de Manbij, aux forces des gardes-frontières de l’État syrien, lesquelles se chargeront des missions de protection de la ligne séparant les forces du Conseil militaire de Manbij des régions contrôlées par l’Armée turque et le Bouclier de l’Euphrate ».

Lequel communiqué a été suivi, ce 5 mars, d’une mise au point signée du « Commandement général du Conseil militaire de Manbij » [2] :

« Suite aux récents développements dans la ville de Manbij et de ses environs, à la publication par le Conseil militaire de Manbij d’un communiqué concernant l’autorisation des gardes-frontières à stationner sur la ligne séparant nos forces de celles des mercenaires du Bouclier de l’Euphrate, aux interprétations différentes qui l’ont suivi, à la grande promotion médiatique de l’événement, et à l’émergence de rumeurs tendancieuses cherchant à falsifier la vérité :

Nous, au Conseil militaire de Manbij et de ses environs, réaffirmons que Manbij et sa campagne sont sous l’égide et la protection du Conseil militaire de Manbij et des forces de la Coalition internationale, que nous ne permettrons à aucune autre force d’y entrer, que c’est le Conseil militaire de Manbij et les forces de la Coalition internationale qui se sont entraidés pour libérer la ville du terrorisme de l’organisation Daech, et que ce sont eux qui la protègent actuellement de toute agression perfide.

Et nous affirmons à nos proches que nous tenons toujours notre engagement quant à leur protection et à leur sécurité, le texte de l’accord mentionné est clair et ne concerne que les régions d’Al-Arima [ville à mi-chemin entre Manbij et Al-Bab, distantes d’environ 40 Kms l’une de l’autre, Ndt] et la ligne de front avec le « Bouclier de l’Euphrate ».

Et c’est sur cette base que nous rassurons nos proches de la ville de Manbij et de ses environs. Ils sont sous la protection du Conseil militaire de Manbij et de la Coalition internationale, laquelle a renforcé sa présence dans Manbij et sa campagne après la montée des menaces turques d’occuper la ville ».

Par conséquent, il n’est apparemment plus question de remettre « le front ouest de la ville de Manbij » aux gardes-frontières syriens, mais il n’est pas exclu de remettre d’autres villages évoqués dans le premier communiqué du 2 mars.

Est-ce parce que cette cession du front ouest de Manbij aux gardes-frontières syriens est incompatible avec l’agenda du Président américain Donald Trump déterminé à se réserver la libération de Raqqa ?

Est-ce parce que les avancées spectaculaires de l’Armée syrienne, soutenue par ses alliés, au nord-est d’Alep – et donc, vers le sud de Manbij- en plus de la libération de Palmyre, pourraient lui permettre d’arriver à Raqqa avant les alliés des USA parmi les Kurdes syriens ?

Question qui s’impose d’elle-même à la lecture de l’article du Washington Post du 4 mars -la veille du 2ème communiqué- annonçant que « le plan de prise de Raqqa, préparé par le Pentagone, prévoit un accroissement sensible des forces américaines en Syrie et se propose de livrer des hélicoptères d’attaque et des pièces d’artillerie aux forces kurdes et aux détachements de l’opposition syrienne » [3].

Et puis ce matin, 7 mars, est apparu un troisième communiqué daté du 6 mars, intitulé textuellement : « Communiqué de l’administration civile démocratique de Manbij le Conseil législatif » [4] :

« Communiqué à l’intention de l’opinion publique suite aux données récentes sur les plans politique et militaire. Nous, en tant que Conseil législatif de Manbij et des ses environs, nions tout ce qui a été publié par les médias et les réseaux sociaux locaux et étrangers parlant de remettre notre ville à quelque partie que ce soit.

Car nous sommes la seule partie légitime représentant la volonté du peuple et son droit à décider de son sort, et que notre peuple à Manbij, dans toutes ses composantes, se tient derrière le Conseil militaire et loue le rôle joué par les forces de la Coalition internationale, lesquelles ont participé à la bataille de libération de notre peuple des mercenaires de Daech.

Nous promettons à notre peuple de Manbij que nous ne ferons pas de compromissions au détriment du sang de nos martyrs qui se ont sacrifiés pour cette ville, que nous ne gaspillerons pas les acquis de notre peuple, et que nous résisterons à toute ingérence qui toucherait à la liberté et à la dignité de notre peuple. Vive Manbij, libre et fière ».

Il est donc difficile de savoir ce qui se passe autour de Manbij, des rapports contradictoires circulant sur la remise réciproque de villages entre les gardes-frontières syriens et lesdites « Forces Démocratiques Syriennes » [ou FDS regroupant les Conseils militaires kurdes des villes contrôlées par les Unités de protection du peuple, ou YPG] soutenues par la Coalition internationale menée par les États-Unis.

En revanche, ce qui est certain est que les combats s’intensifient des deux côtés, tandis que le Premier ministre turc tempête et déclare que son pays ne s’oppose pas à l’entrée de l’Armée syrienne dans Manbij « contrôlée actuellement par des éléments kurdes » [5], ajoutant que les territoires syriens doivent être contrôlés par des Syriens ! Faut-il croire qu’il a retrouvé le chemin de Damas ?

En effet, comme le résume la carte ci-jointe expliquée, dans la soirée du 6 mars, par l’ex Général de Brigade Charles Abi Nader sur al-Mayadeen TV [6] :

Deux routes lient Raqqa à Deir ez-Zor, toutes deux fiefs de Daech -malgré la résistance héroïque des soldats de l’Armée syrienne toujours encerclés dans Deir ez-Zor et qui continuent à repousser les assauts de Daech depuis bientôt trois ans- l’une à l’Est de l’Euphrate, l’autre à l’Ouest [trajet souligné en rouge].

La route à l’Est de l’Euphrate est désormais entièrement coupée à Daech au niveau du cercle rouge sur la carte, par l’avancée des FDS jusqu’à la rive Est du fleuve.

Ce qui fait que Daech ne peut plus se ravitailler et rejoindre Deir ez-Zor que par le Sud de Raqqa et par la route à l’Ouest de l’Euphrate. Il est donc sous la pression des FDS soutenues par leurs alliés US, au Nord, et sous la pression de l’Armée syrienne soutenue par ses alliés russes et de l’Axe de la résistance dont le Hezbollah, au Sud.

Les USA auraient-ils finalement opté en faveur de leurs alliés kurdes au détriment de leur allié turc, lequel est écarté de leur course vers Raqqa ? Y’aurait-il des désaccords au sein même des FDS, ou bien leur contrat avec les Russes n’était qu’une manœuvre pour que les USA se décident à intervenir plus efficacement, alors qu’ils piétinent sur place depuis des semaines ? Et enfin, cette intervention musclée des Forces US témoigne-t-elle d’une rivalité affirmée ou d’une entente entre les USA et la Russie ?

Aux dernières nouvelles de 18H, heure locale, le porte-parole du Conseil militaire de Manbij aurait déclaré que 5 villages ont été remis à l’Armée syrienne. Cependant le correspondant d’Al-Mayadeen, à Alep, a précisé qu’il n’y a toujours aucune déclaration officielle de la part du Haut commandement militaire syrien. D’après son exposé, nous comprenons que les 5 villages en question sont vides de combattants de tout bord, et situés à l’extrême sud de Manbij ; autrement dit, ne font pas partie du front ouest de la ville de Manbij.

Par conséquent les FDS restent sur la ligne de contact avec les forces hétéroclites du Bouclier de l’Euphrate soutenues par la Turquie -dont le but déclaré est de les déloger de Manbij-, et l’Armée syrienne n’est toujours pas en situation de se positionner sur une zone de séparation autour du front ouest de Manbij comme prévu par le communiqué du 2 mars.

Quel que soit le dénouement, il est cruel de constater que les kurdes de Syrie qui ont délogé Daech de Manbij en Août 2016, au prix de grosses pertes dans leur rang, servent toujours de chair à canon à ceux-là même qui ont fabriqué Daech, foi de M. Trump en personne [7].

Mouna Alno-Nakhal
07/03/2017

[1] Communiqué du Bureau d’information du Conseil de Manbij du 2 mars 2017 http://manbijmc.org/archives/205

[2] Communiqué du Commandement général du Conseil militaire de Manbij du 5 mars 2017
http://manbijmc.org/archives/263

[3] Le Pentagone veut muscler sa présence en Syrie
https://fr.sputniknews.com/international/201703051030331714-pentagone-accroissement-presence-syrie/

[4] Communiqué du Conseil législatif de Manbij et de ses environs du 6 mars 2017
http://manbijmc.org/archives/268

[5] YILDIRIM : la Turquie ne s’oppose pas à l’entrée de l’Armée syrienne dans Menbij
http://www.almayadeen.net/news/politics/53292

[6] Vidéo / All-Mayadeen TV, 6 mars 2017,18H

[7] Video / Trump accuse Obama d’avoir « créé » Daech
http://www.dailymail.co.uk/video/news/video-1240964/Donald-Trump-Obama-Hillary-Clinton-created-ISIS.html (en anglais)
https://www.crashdebug.fr/international/12207-trump-accuse-obama-d-avoir-cree-le-groupe-etat-islamique (en français)

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