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Syrie : une trêve avortée, un triste tournant


Syrie : une trêve avortée, un triste tournant
par Samir Saul – Professeur d’histoire à l’Université
de Montréal et membre du Centre d’études et de recherches internationales (CERIUM)

mercredi 28 septembre 2016, par Comité Valmy

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L’avortement de la dernière trêve s’apparente néanmoins à un tournant parce qu’il renvoie aux calendes grecques un règlement négocié et ramène fatalement à la guerre, remarque l’auteur.
Syrie : une trêve avortée, un triste tournant

L’échec de la trêve du 9 septembre rallume la guerre en Syrie. Font les frais du conflit le peuple syrien martyrisé, puis le reste du monde exposé à l’extension du terrorisme djihadiste. Cette guerre nouveau genre met aux prises grandes puissances, pays de la région et milices extrémistes transnationales dans un redoutable enchevêtrement.

Elle a connu tellement de zigzags, retournements et fuites en avant que peu s’y retrouvent. L’avortement de la dernière trêve s’apparente néanmoins à un tournant parce qu’il renvoie aux calendes grecques un règlement négocié et ramène fatalement à la guerre. Pour démêler l’écheveau, un état des lieux et un regard rétrospectif s’imposent, tellement la situation actuelle résulte d’improvisations en série.

Géopolitique d’une guerre

Aussi démente qu’elle puisse paraître, la guerre en Syrie repose sur un raisonnement géopolitique. La Syrie est ciblée en tant qu’alliée de l’Iran, du Hezbollah et de la Russie. L’objectif des États-Unis et de leurs alliés est de casser cette alliance. L’exécution de leur politique revient à des milices djihadistes, piétaille venant de partout, car son échec en Afghanistan et en Irak a démontré que l’armée américaine était incapable de contrôler des pays conquis.

Le conflit en Syrie est une guerre par procuration, une guerre irrégulière à base de terrorisme destructeur des sociétés. Les objectifs sont d’abattre l’État syrien et, ou, de le démanteler, de disloquer l’alliance Iran-Syrie-Hezbollah-Russie et de transformer le flanc sud de la Russie en zone de turbulence et de tremplin pour l’infiltration djihadiste chez elle et ailleurs. Moins il y a d’État, plus facile est l’enkystement djihadiste.

Une guerre à rebondissements

À la fois primitive et futuriste, cette guerre est un caméléon : elle change de physionomie, tout en restant la même. Calquant l’intervention de 2011 en Libye, la première mouture prévoit une attaque aérienne de l’OTAN en soutien aux Frères musulmans, parrainés par la Turquie et le Qatar, tandis que la France met sur pied un gouvernement de substitution composé d’expatriés. Les vetos russes et chinois ayant empêché la couverture onusienne, l’OTAN ne peut entrer en Syrie, laquelle s’avère plus résistante que ne la présente une intense campagne de communication.

Le chemin de l’escalade est pris en 2012 avec le déferlement de contingents de djihadistes étrangers aux multiples appellations, commandités par l’Arabie saoudite et les autres pays de la coalition antisyrienne. Cette deuxième mouture ne donne pas les résultats voulus. En septembre 2013 se prépare un assaut militaire américain contre la Syrie. Évité par la diplomatie russe et les réticences américaines à s’embourber, cet épisode fait reculer l’option d’une attaque frontale contre la Syrie.

Physionomie actuelle de la guerre

La guerre par djihadistes interposés se poursuit, mais l’espoir de faire tomber l’État syrien par leurs soins n’est plus. La présence russe depuis septembre 2015 met fin aux stratégies de mainmise militaire sur la Syrie. Dès 2014 émerge la troisième mouture du confit en cours : le projet de démembrer la Syrie en laissant l’ouest au « régime », alors qu’un « califat » djihadiste fait irruption pour retirer au pays sa partie orientale. La Syrie ne pouvant être arrachée à son alliance avec l’Iran, le « califat » se dresserait comme une barrière physique entre eux.

Telle est la configuration actuelle : l’État syrien est en voie de rétablir son autorité sur l’ensemble de la partie occidentale, avant de passer à l’offensive pour récupérer ses terres orientales ; les États-Unis appliquent une stratégie de retardement du dénouement prévisible, aidant les milices à l’ouest à retenir les forces gouvernementales aussi longtemps que possible, afin de disposer d’un délai pour réaliser l’amputation de l’est. Ce jeu de bascule classique s’opère sous un épais brouillard rhétorique.

Malaisé à mettre en oeuvre, il exige des prétendants adéquats pour ces territoires. Or, le « califat » fanatique tend à dépasser les cadres autorisés. Quant à l’instrumentalisation des Kurdes, elle inquiète la Turquie au point de la réconcilier avec la Russie ; ils sont largués. La Turquie, elle, n’a pas intérêt à favoriser le morcellement de la Syrie s’il débouche sur une autonomie kurde.

À la veille d’une débâcle des milices à Alep, les États-Unis négocient une cessation des combats, temps de répit pour elles, comme en février et en septembre 2016. Au Sud, Israël soutient des offensives djihadistes pour faire diversion et soulager les miliciens à Alep.

Basée sur la fiction d’une distinction entre « rebelles modérés » et djihadistes, la dernière trêve a volé en éclats. Une lutte sans merci s’engage à Alep, puis contre les poches djihadistes dans l’Ouest. Leurs alliés extérieurs tenteront de retarder l’issue. Ultérieurement Syriens et Russes se tourneront vers l’Est. On verra s’ils trouveront sur leur chemin le seul « califat », les États-Unis tirant sur eux « par erreur », ou les deux officiellement unis.

26 septembre 2016
Samir Saul – Professeur d’histoire à l’Université de Montréal et membre du Centre d’études et de recherches internationales (CERIUM)

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