Turquie : la croisade anti-Bachar d’Erdogan conduit la Turquie dans une impasse
septembre 9, 2012
TEXTE REPRIS SUR
LE BLOG DE JACQUES TOURTAUX
Lu dans Libération :
La croisade anti-Bachar d’Erdogan conduit la Turquie dans une impasse
Par Louis Denghien,
le 7 septembre 2012
Alors que les choses ne s’arrangent pas pour Erdogan sur le front kurde – avec ces dernières heures une offensive terrestre et aérienne turque sur la frontière avec l’Irak et ces derniers jours des raids du PKK qui ont fait dix tués dans les rangs de l’armée – sa politique syrienne lui vaut de nouvelles difficultés intérieures : outre le fait que les quelque 80 000 réfugiés officiellement recensés dans le Hatay suscitent le rejet de la population locale majoritairement arabophone, et assez largement alaouite et pro-Bachar, l’appui logistique du gouvernement d’Ankara à l’ASL ne passe toujours pas aux yeux de l’opposition, de l’extrême gauche à l’extrême droite.
Pas d’ASL chez nous !
Dernier épisode en date, le chef du principal parti d’opposition turc, le Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate et laïc), Kemal Kiliçdaroglu, a accusé le gouvernement turc de créer des camps illégaux abritant des réfugiés syriens, et utilisés pour former des combattants de l’armée syrienne libre (ASL).
« Ces camps sont utilisés pour entraîner des combattants de l’ASL à utiliser des armes en prélude à les renvoyer en Syrie pour combattre le régime », a affirmé le 6 septembre au cours d’une conférence de presse le secrétaire général du CHP.
Nul ne l’ignore en Turquie, mais cela va mieux en le disant publiquement et, non content de s’indigner, Kiliçdaroglu pose la question du pourquoi de cette présence à Erdogan et par dessus lui, à l’opinion turque , et il soulève un point de droit constitutionnel :
« La présence des forces étrangères en Turquie nécessite l’approbation du Parlement turc. Cependant, le gouvernement turc n’a pas obtenu une permission ».
Il est vrai que l’AKP d’Erdogan est majoritaire au parlement d’Ankara, mais il aurait été intéressant de voir si ses députés manifestent toujours un soutien unanime à une politique gouvernementale objectivement peu profitable aux intérêts turcs, et de plus en plus « lourde » à assumer, plus d’un an après le virage (à 180°) d’Erdogan sur la Syrie.
Erdogan a utilisé les réfugiés syriens pour se donner une stature régionale et au-delà….
Le président du CHP ne se contente pas de critiques « platoniques », il veut faire concrètement la lumière sur la situation prévalant dans les camps de réfugiés, dont il aimerait être sûr qu’ils ne sont pas autant de camp de recrutements, vie de camps d’entraînement, pour l’ASL. Justement, Kemal Kiliçdaroglu réagissait à l’interdiction faite à l’un des députés d’accéder à un camp des réfugiés syriens.
« Le ministère des Affaires étrangères est-il compétent pour imposer des restrictions sur les visites des députés à n’importe quel lieu ? », a demandé le leader de l’opposition.
Répondant à une question sur son intention de visiter un camp des réfugiés syriens, M. Kiliçdaroglu a expliqué qu’il n’est pas défavorable par principe à l’hébergement des réfugiés syriens sur le territoire turc. À condition bien entendu que ces camps aient une vocation humanitaire et non miltaire et politique : « Nous nous opposons au fait que ces camps se transforment en des bases pour abriter et entraîner des combattants », a-t-il martelé.
Enfin, Kemal Kiliçdaroglu a confirmé qu’il allait se rendre prochainement aux camps de Hatay, de Kilis et de Ghazi Antab. Recep Tayyep Erdogan et ses généraux ont intérêt à faire le ménage avant la visite du chef de l’opposition !
Réquisitoire contre le bilan Erdogan… dans Libération
Le président du CHP, on l’a dit, est loin d’être le seul à s’inquiéter des conséquences négatives de la ligne Erdogan sur la Syrie. Le quotidien Libération publiait le 29 août une assez longue tribune de Bayram Balci, un chercheur émanant d’un « Centre d’études et de recherches internationales » basé à Paris mais relié à la Fondation Carnegie américaine. Un avis « autorisé » selon les critères de Libé donc.
Or que dit Bayram Baci ?
Que « la Turquie s’enlise en Syrie » (c’est le titre de son papier). Et que le gouvernement Erdogan a engagé son pays dans « une série d’impasses« .
Après avoir rappelé les réussites du nouveau gouvernement turc (en place depuis 2002), notamment en ce qui concerne l’économie, et aussi la coopération quasi-exemplaire qui unissait dans maints domaines Ankara et Damas, après avoir souligné le rayonnement international certain – notamment dans le monde arabo-musulman – qu’avait valu à la Turquie d’Erdogan sa position de médiatrice dans plusieurs conflits – question palestinienne, nucléaire iranien, relations syro-israéliennes, sans oublier des accès momentanés de colère médiatique contre la politique de Tel Aviv – Balci constate les dégâts occasionnés par le soudain revirement d’Erdogan envers son voisin et jusque-là allié, survenu à la mi-août 2011.
Devenu le principal animateur, concurremment au Qatar, de la croisade régionale anti-Bachar, et l’hébergeur du CNS et de l’ASL, Erdogan a cru venir à bout facilement d’un régime Assad qui, malheureusement pour lui, s’est « avéré particulièrement coriace« . Et aujourd’hui l’addition, note Bayram Balci, est lourde pour les Turcs :
-Les liens économiques avec la Syrie,, et « via celle-ci, avec d’autres pays de la région« , sont interrompus.
-Sur le plan politique, voire militaire, « profitant du chaos » syrien, le plus puissant parti kurde de Syrie, le PYD, a pris le contrôle de plusieurs villes sur la frontière turco-syrienne. Or, note Baci, le PYD « n’est autre que le bras du PKK en Syrie« .
Et du coup, « l’épreuve est dure pour Ankara qui, outre ses démêlés avec les Kurdes de Turquie, doit faire face à l’ouverture d’un autre « front kurde » chez son voisin syrien« .
À partir de là, développant une argumentation assez inhabituellle dans les pages « atlanto-gauchistes » de Libération, Bayram Balci dresse un véritable réquisitoire contre la politique syrienne d’Erdogan : « Le cauchemar syrien discrédite toute l’entreprise turque » écrit-il, ajoutant : « Par son attitude catégoriquement anti-Assad, la Turquie fragilise ses relations avec des partenaires importants, la Russie et l’Iran, ses deux principaux fournisseurs d’énergie« , qui se trouvent être des alliés déterminés de Damas.
Trois voyants rouges diplomatiques pour Erdogan
Balci ajoute, à tort à notre avis, que l’évolution du conflit en Syrie vers un affrontement chiite/sunnites « risque d’avoir un fâcheux impact en Turquie ». En effet, la politique suivi par Erdogan et l’AKP a rangé le pays dans un bloc sunnite militant dirigé par l’Arabie séoudite et le Qatar, opposé radicalement au bloc pro-Assad dirigé par l’Iran chiite. Or, outre les Kurdes, la Turquie compte d’assez importantes minorités alaouites, chiites, alévi. Ce « dérapage » syrien d’Ankara, pour reprendre l’expression de Balci, « sonne le glas de la politique turque au Moyen Orient et envoie plusieurs messages à Ankara« .
-premier message : l’influence de la Turquie sur les événements dans la région demeure « limitée ». Et sa politique « ne lui apporte que l’hostilité de certains voisins » (Balci pense certainement, outre la Syrie, à L’Irak, à la Russie et l’Iran, sans parler de l’Arménie).
-deuxième message : « Ankara ne peut aspirer à un leadership régional sans avoir réglé ses problèmes intérieurs ». Le premier d’entre eux étant évidemment ce que Balci nomme malicieusement le « printemps kurde« , qui selon lui « bloque toute prise de position régionale » pour Ankara.
-troisième message : « La Turquie ne dispose pas de tous les atouts pour mener une politique étrangère autonome » : la crise syrienne a sonné le glas des velléités d’indépendance d’Erdogan vis-à-vis du bloc américain-OTAN, tant sur Israël que sur le nucléaire iranien. L’aspirant Soliman le Magnifique a dû « rentrer à la niche occidentale » : l’image est d’Infosyrie, Bayram Balci préférant conclure ainsi : « Sans ses alliés occidentaux, la Turquie ne peut pas éteindre les incendies qui flambent à ses portes« .
On rappellera que ce procès de la politique syrienne de M. Erdogan est dressé dans un journal qui avait presque fait de lui le bras séculier de la démocratie et du droit dans la région ! Décidément, la roue tourne. Et les arroseurs sont arrosés !
L’aspirant nouveau « Grand Turc » asiatique et musulman est devenu, à cause de sa politique syrienne, un « brillant second » – pour ne pas dire un « toutou » – de Washington
http://www.infosyrie.fr/re-information/turquie-2/