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Ukraine : Interviewer Victoria Nuland ou comment ne rien comprendre à la crise


Publié par Jean-Pierre | 27 Jan 2022 | États-Unis, Ukraine | 0 |
Ukraine : Interviewer Victoria Nuland ou comment ne rien comprendre à la crise

John McCain s’adressant à la foule à Kiev, le 15 décembre 2013.
(Sénat américain/Bureau de Chris Murphy/Wikimedia Commons)
Par Mike Madden

La télévision américaine a invité la pire personne qui soit pour aider les Américains à (ne rien) comprendre à la crise en Ukraine.

Source : Consortium News, Mike Madden
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

La Sous-Secrétaire d’État américaine aux Affaires Politiques, Victoria Nuland, qui a piloté le coup d’État de 2014 qui a renversé le gouvernement démocratiquement élu de l’Ukraine et mis en branle la crise actuelle, a été invitée par PBS NewsHour le 7 décembre 2021 afin d’expliquer l’impasse en Ukraine.

Comme il est de coutume pour les médias occidentaux, le récit a commencé par l’implication de la Russie dans l’est de l’Ukraine et l’annexion de la Crimée, qui ont eu lieu en mars 2014. La crise avait en fait commencé une semaine plus tôt avec le renversement violent du président démocratiquement élu Viktor Ianoukovitch le 22 février 2014. Alors que les accusations volaient dénonçant l’agression, l’invasion et l’annexion russes, il n’y a pas eu un seul mot concernant le coup d’État fomenté par les États-Unis ou sur le rôle qu’y a joué Nuland.

M.Ianoukovitch est devenu la cible des Etats-Unis qui souhaitaient un changement de régime. Sa faute ? Il avait refusé un programme d’aide occidental assorti de mesures d’austérité et accepté à la place un programme russe non assorti de mesures d’austérité. Le rôle de la Sous-Secrétaire Nuland dans le coup d’État est un élément essentiel de l’histoire. (sa préparation aurait en fait commencé dès 2011, NdT)

Tandis que les sénateurs John McCain et Chris Murphy apparaissaient publiquement à Kiev avec le chef de l’opposition d’extrême droite Oleh Tyahnybok en soutien au coup d’État, Nuland et l’ambassadeur Geoffrey Pyatt distribuaient des biscuits aux manifestants antigouvernementaux sur la place Maidan. Cela équivaut à des parlementaires et des diplomates russes venant à Washington pour encourager les manifestants à renverser le gouvernement américain.

En coulisses, au cours d’un appel téléphonique avec Pyatt intercepté (par les Russes, NdT), on peut entendre Victoria Nuland en train de fomenter la composition d’un gouvernement pour succéder à celui de Yanukovych. « Yats est le gars », dit-elle, en faisant référence à Arseniy Yatsenyuk, le leader préféré des Américains pour la population ukrainienne.

Concernant les deux autres leaders de l’opposition, Vitali Klitschko et Oleh Tyahnybok, son plan était de les tenir à l’écart, disant : « Je ne pense pas que Klitsch doive entrer au gouvernement » et « Ce dont il [Yatsenyuk] a besoin, c’est de Klitsch et Tyahnybok à l’extérieur ». Quant aux intérêts divergents de l’Europe dans le dénouement de cette histoire, elle a déclaré de manière tristement célèbre : « L’UE n’a qu’à aller se faire voir » (Fuck the EU)

Le 13 décembre 2013, Nuland avait déclaré à la Fondation américano-ukrainienne que Washington avait dépensé 5 milliards de dollars en une décennie pour soutenir les « aspirations européennes » de l’Ukraine, autrement dit pour l’éloigner de la Russie.

Pour Nick Schifrin, le dévoué journaliste de PBS qui l’interviewait, cet épisode n’était soit pas pertinent, soit une intrusion impolie à l’égard de son estimée invitée. Ou alors, il était terriblement mal informé.

Alors que les États-Unis adressaient à M. Ianoukovitch de sévères avertissements de modération, les insurgés néonazis à la pointe du mouvement empilaient des matraques, des armes à feu et des cocktails Molotov sur la place Maïdan. Face à l’escalade rapide de la violence, un accord a été négocié entre le gouvernement et l’opposition le 21 février 2014. M. Ianoukovitch a accepté un partage immédiat du pouvoir et des élections anticipées. En échange, l’opposition a accepté de désamorcer la situation dans les rues.

L’opposition n’a pas désarmé comme il en avait été convenu. Attirés par l’odeur du sang, ils sont repassés à l’offensive le lendemain. Ils ont débordé les forces de sécurité et saccagé les bâtiments gouvernementaux. Des tireurs embusqués dans les bâtiments occupés par l’opposition ont tiré sur la police et les manifestants. Au final, plus de 100 personnes sont mortes, dont plus d’une douzaine de policiers. M. Ianoukovitch et nombre de ses alliés du Parti des régions ont fui pour sauver leur vie. Le gouvernement démocratiquement élu de l’Ukraine est tombé le 22 février.
Coup d’État violent soutenu par les États-Unis en Ukraine, 2014. (Wikipedia)

Pas plus Victoria Nuland que Nick Schifrin n’ont reconnu que cette date, tout comme les événements décrits avaient pu contribuer à la crise actuelle. Tout ceci était manifestement en porte-à-faux avec leur calendrier.

« Yats » a prêté serment en tant que premier ministre le 27 février 2014. Les États-Unis avaient désormais leur gouvernement en place. Aussi violent que le coup d’État ait été, le véritable bain de sang était sur le point de commencer.

La région du Donbass, dans l’est de l’Ukraine, région peuplée d’un grand nombre de personnes d’origine russe, n’a pas reconnu le gouvernement issu du coup d’État, gouvernement dont la première mesure a été d’interdire l’usage public de la langue russe (ce sur quoi il est revenu par la suite). Le Donbass a immédiatement cherché à obtenir son autonomie vis-à-vis de Kiev. Il considérait le régime installé par les États-Unis comme illégitime et hostile à ses intérêts et à sa culture. En substance, il défendait une élection démocratique.

En avril 2014, le régime de Kiev a lancé des opérations militaires « anti-terroristes » contre les provinces séparatistes. Pire encore, il a fermé les yeux sur les véritables terroristes, des escadrons paramilitaires néonazis comme le bataillon Azov, qui se sont installés dans la région. Une guerre civile sanglante était désormais en cours, provoquée par la volonté de Kiev de tuer son propre peuple dans le Donbass. À ce jour, la guerre a fait 14 000 morts.
‘Invasion’

Selon des responsables de l’OTAN et des États-Unis, des unités régulières de l’armée russe ont pénétré de quelques kilomètres en territoire ukrainien en août 2014, ce que la Russie a démenti, alors que les forces séparatistes avaient été

repoussées vers l’est, en direction de la frontière russe, et que des centaines de civils avaient été tués. Le 25 août 2014, 10 parachutistes russes ont été capturés à 20 km à l’intérieur de la frontière ukrainienne.

Nuland a appelé cela « l’invasion de l’Ukraine orientale par la Russie ». L’incursion serait plus correctement caractérisée comme étant l’exercice par la Russie de la doctrine favorite des interventionnistes libéraux : le devoir de protéger.

Comme cela a été le cas en Géorgie en 2008, un gouvernement a attaqué militairement son propre peuple et la Russie est intervenue pour repousser les forces militaires et protéger la population locale. Dans cette affaire de 2008, une enquête de l’Union européenne a déterminé que l’agresseur était la Géorgie, et non la Russie.

Les États-Unis avaient également affirmé que la Russie avait « envahi » la Crimée en mars 2014, alors que la Russie y avait déjà stationné des troupes en vertu d’un accord avec l’Ukraine. « On ne se comporte tout simplement pas au XXIe siècle comme on le ferait au XIXe siècle en envahissant un autre pays sous un prétexte complètement inventé », a déclaré le secrétaire d’État américain John Kerry, qui a voté au Sénat pour quelque chose qui ressemble très fortement à ce qu’on appelle une véritable invasion : l’attaque non provoquée des États-Unis contre l’Irak en 2003 – sous un prétexte complètement inventé.
Le 7 juillet 2016 : Le secrétaire d’État américain John Kerry, à droite, aux côtés du président ukrainien Petro Porochenko à Kiev, après une réunion bilatérale et une conférence de presse. (Département d’État)

Actuellement on ne cesse de parler d’une autre invasion russe, même si on est incapable de préciser quand la première s’est terminée. Schifrin a déclaré aux téléspectateurs de PBS que les exercices militaires russes et le déploiement de troupes russes aujourd’hui à l’intérieur même des propres frontières de la Russie indiquent que cette dernière est « prête à l’escalade », bien que l’on puisse se demander combien de troupes il y a, et où elles sont basées.

Dans le même temps, la promesse du président Joe Biden d’envoyer davantage de troupes américaines chez les alliés d’Europe de l’Est de l’OTAN, les exercices de l’OTAN près des frontières de la Russie et la fourniture de 450 millions de dollars d’armement à l’Ukraine sont présentés comme l’ordre normal des choses : rien là de menaçant, d’agressif, ou de provocateur.

Le président russe Vladimir Poutine a exprimé deux demandes cruciales à savoir que l’Ukraine n’accueille jamais de missiles américains et qu’elle n’adhère pas à l’OTAN, elles ont été rejetées par Victoria Nuland qui a déclaré : « Ce sont des décisions qui appartiennent à l’Ukraine et à l’OTAN, pas au Kremlin.»

Nick Schifrin aurait pu rappeler à Victoria Nuland que les Etats-Unis ont promis à la Russie en 1991 que l’OTAN ne s’étendrait pas à l’est de l’Allemagne nouvellement réunifiée, Est et Ouest, mais il n’en a rien été. Il aurait également pu lui demander si le déploiement de missiles sur l’île de Cuba en 1962 était une décision souveraine devant être prise par Cuba et l’Union soviétique, mais il n’en a rien fait.

En occultant son rôle primordial, PBS a permis à Victoria Nuland de rejeter toute la responsabilité de la crise actuelle sur la Russie.

De toute évidence, il n’appartient pas aux médias de l’establishment de remettre en question de manière significative les personnalités gouvernementales importantes, ce n’est pas leur rôle. Leur travail consiste à nourrir l’inimitié du public à l’encontre des adversaires officiels de l’Etat et à présenter les actions du gouvernement sous le meilleur jour possible. Et PBS NewsHour a clairement démontré son efficacité dans ce domaine.

Extrait à partir de 2:51 :

Mike Madden est membre de Veterans For Peace (Vétérans pour la paix) et réside à Saint Paul, Minnesota.

Source : Consortium News, Mike Madden, 24-12-2021
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Source : Les Crises
https://www.les-crises.fr/…

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