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Washington presse la Turquie de freiner ses attaques contre les Kurdes syriens


Par Patrick Martin le 01 septembre 2016
Etats-Unis Irak Syrie Turquie

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Le cinquième jour d’une offensive sans précédent de la Turquie en Syrie, visant à la fois le groupe jihadiste Etat islamique (EI) et les milices kurdes, a débuté dimanche. REUTERS/Umit Bektas

La Maison Blanche a déclaré lundi que le président Obama et le président turc Recep Tayyip Erdogan se réuniront ce week-end, sur fond de tensions croissantes entre Washington et Ankara sur l’invasion turque de la Syrie. La réunion aura lieu en Chine, où Obama et Erdogan participent au sommet G20 les 4 et 5 septembre.

Alors qu’on annonçait la rencontre Obama-Erdogan, plusieurs responsables américaines critiquaient l’action de l’armée turque en Syrie. Après l’éviction de l’État islamique (EI) de la ville frontalière de Jarabulus, les forces turques, alliées aux États-Unis par le biais de l’OTAN, ont attaqué les milices kurdes syriennes sponsorisées et armées par Washington. Elles ont souffert des dizaines de pertes lors de bombardements par l’artillerie et l’aviation turques qui ont frappé plusieurs villages détenus par les kurdes syriens, dont Jeb el-Kussa, où au moins 20 personnes ont trouvé la mort.

Ankara a d’abord fait passer son invasion, baptisée Opération Bouclier Euphrate, pour une offensive contre l’EI. En fait, l’invasion est rapidement devenue une extension de la guerre civile à l’intérieur de la Turquie entre le PKK séparatiste (Parti des travailleurs kurdes) et l’armée turque. Les Kurdes syriens alliés au PKK, regroupés dans la milice YPG et le parti PYD, sont devenus les principaux truchements de l’Administration Obama dans le nord de la Syrie.

L’élément déclencheur de l’incursion turque n’était pas l’EI, qui a contrôlé la section de la frontière syro-turque à l’ouest de Jarabulus pendant plusieurs années sans provoquer d’ingérence turque, mais les progrès de la Force de défense syrienne (SDF), une coordination dominée par le YPG. Celle-ci a traversé le fleuve Euphrate et pris la ville de Manbij à l’EI après 10 semaines de combats.

Les forces turques ont traversé la frontière le 24 août et ont expulsé l’EI de Jarabulus. Avec les milices islamistes sunnites alliées, elles ont commencé à saisir les villages capturés par le SDF-YPG lors de son offensive contre l’EI. Evoquant les forces turques et leurs alliés islamistes, un journaliste d’Al Jazeera dit, « leur principal objectif est de prendre Manbij. Des combattants YPG maintiennent une présence significative le long de cette zone avec leurs alliés locaux. »

Les forces kurdes ont reculé face à l’attaque turque, mais dans certains cas, elles ne se sont pas déplacées à l’est de l’Euphrate, comme l’exige la Turquie, mais vers le sud à Manbij, devenu leur tête de pont sur la rive ouest de l’Euphrate. Le conseil militaire régional du SDF a déclaré dans un communiqué en ligne, « Nous, le conseil militaire de Jarabulus et ses alentours, annonçons le retrait de nos forces à la ligne au sud de la rivière Sajour pour préserver la vie des civils et pour qu’aucun prétexte ne subsiste pour les frappes continues sur les villages et les civils. »

Dès le début de l’invasion, qui a commencé alors que le vice-président Joe Biden visitait Ankara, Washington a apporté son soutien à l’attaque turque, espérant ainsi créer de meilleures conditions pour la réalisation son objectif principal : renverser le Président syrien, Bachar al-Assad, qui est l’allié de l’Iran et de la Russie.

Dès lundi, toutefois, Washington a adressé une série d’avertissements à la Turquie. Brett McGurk, l’envoyé spécial pour la campagne contre l’EI, a écrit sur Twitter : « Nous tenons à préciser que nous trouvons ces affrontements — dans des zones où [l’EI] n’est pas situé — inacceptables et une source de profonde préoccupation. Nous appelons à tous les intervenants armés de se retirer. »

Lors d’une conférence de presse avec le ministre de la Défense de l’Inde, le secrétaire américain à la Défense, Ashton Carter, a dit qu’il rencontrerait le ministre turc de la Défense, Fikri Iski, la semaine prochaine en Europe. Il a dit : « Nous avons appelé la Turquie à rester concentrés » sur la lutte contre l’EI, « et de ne pas engager » les forces kurdes. « Nous avons dit aux deux parties de ne pas se combattre, ne pas se battre entre elles, » a-t-il dit.

En annonçant la réunion entre Obama et Erdogan, le Conseiller adjoint de la sécurité nationale, Ben Rhodes, a déclaré : « Une nouvelle action contre le SDF compliquerait les efforts pour construire ce front unique » contre l’EI. Lors de leur réunion en Chine, il a ajouté, Obama et Erdogan discuteront de la situation en Turquie depuis le coup avorté du 15 juillet, ainsi que de la guerre en Syrie et de la crise des réfugiés qu’elle a produite.

Entretemps, le gouvernement syrien, qui n’exerce plus aucun contrôle sur la région en question depuis plusieurs années, a condamné ce qu’il a appelé « les violations répétitives, l’agression et les massacres » commis par la Turquie contre le peuple syrien autour de Jarabulus. Lundi, le ministère syrien des Affaires étrangères a envoyé deux messages au Secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon, pour accuser la Turquie de « crimes contre l’humanité à part entière. »

Les responsables turcs ont répété que les forces kurdes syriennes devaient rester sur la rive est de l”Euphrate, sans quoi l’armée turque continuerait à les attaquer. « S’ils ne le font pas, ils seront une cible, » a déclaré Mevlüt Cavusoglu, le ministre des Affaires étrangères.

Se posant en défenseur des Arabes contre l’agression kurde, la posiiton adoptée également par l’EI, Cavusoglu a affirmé : « Dans les endroits qu’il contrôle, l’YPG force tout le monde à partir — y compris les Kurdes — qui ne pense pas comme lui et effectue un nettoyage ethnique. »

Le Vice-Premier Ministre, Numan Kurtulmus, a déclaré lundi que l’un des buts de l’intervention était d’empêcher la YPG de capturer l’ensemble de la frontière syro-turque, du nord-est jusqu’à la mer Méditerranée. « Si cela se produit, cela signifie que la Syrie a été divisée, » a-t-il dit au canal NTV turc. « Nous sommes en faveur de l’intégrité territoriale de la Syrie. » Il a nié que la Turquie entrait en guerre en Syrie, : « Nous n’avons pas l’intention de devenir une puissance permanente en Syrie. La Turquie n’est pas un envahisseur. »

Omer Celik, un ministre turc qui avait rejeté les demandes américaines que la Turquie combatte l’EI, mais pas le YPG kurde, a dit : « Personne n’a le droit de dire à la Turquie de ‘lutter contre cette organisation terroriste ici, mais de ne lutter pas contre cette organisation terroriste là’, » a-t-il dit.

Ankara traite toutes les forces séparatistes kurdes de « terroristes », qu’elles soient en Syrie, en Irak ou en Turquie. Il voit dans l’avancée de la YPG en Syrie une menace mortelle (surtout vu qu’il existe une autorité régionale kurde dans le nord de l’Irak) tout comme dans les nouvelles attaques du PKK dans le sud-est la Turquie. Alors que les forces kurdes sont divisées politiquement, Ankara craint qu’on ne relie les zones kurdes du sud de la Turquie, du nord de la Syrie et du nord de l’Irak dans un futur Kurdistan indépendant.

Ce qui rend cette situation embrouillée encore plus compliquée est que les forces arabes syriennes alliées aux Turcs et aux Kurdes syriens respectivement ont chacun un sponsor à Washington. La CIA arme et forme les milices islamistes sunnites qui se font passer pour l’« Armée syrienne libre », alors que le Pentagone a aidé à créer le SDF. Au final, les différentes milices syriennes soutenues par les États-Unis se battent entre elles.

Selon la presse, Jaysh al Tahrir, une milice islamiste qualifiée par Washington de « groupe modéré rebelle, » a reçu plusieurs missiles TOW antichars des États-Unis. Il les utilise vraisemblablement contre le SDF, qui contient des Forces spéciales du Pentagone, qui pourrait se retrouver ciblés par des missiles fournis par leur propre gouvernement.

Cette possibilité ne fait que démontrer la témérité et l’irrationalité de la politique de l’impérialisme américain en Syrie et au Moyen-Orient. Après 13 ans de guerre, d’abord en Irak et puis en Syrie, au Yémen et en Libye, les États-Unis ont dévasté une immense région. Washington porte la principale responsabilité de la mort de plusieurs millions de personnes, la création de dizaines de millions de réfugiés, et la destruction à une échelle sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale.

Patrick Martin | 30 août 2016
Source: wsws.org

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