Michael O’Hanlon: «Nous, Américains, avons une vision politique trop irréaliste du futur de la Syrie»
septembre 2, 2016
ITRI : INSTITUT TUNISIEN DES RELATIONS NTERNATIONALES
Publié par Candide le 2 septembre 2016 dans Chroniques
Par Frédéric Autran, Correspondant à New York — 31 août 2016
«Nous, Américains, avons une vision politique trop irréaliste du futur de la Syrie» BiG
Michael O’Hanlon, expert américain des questions de défense et de sécurité nationale à la Brookings Institution, réagit à l’entrée de l’armée turque dans le conflit. Avec des Etats-Unis partagés entre leur désir de se rabibocher avec Erdogan et leur alliés kurdes qui combattent contre l’EI. Il prône notamment une approche confédérationnelle pour régler le conflit.
• «Nous, Américains, avons une vision politique trop irréaliste du futur de la Syrie»
L’opération turque rend la situation en Syrie encore plus complexe, en particulier pour les Etats-Unis. En quoi peut-elle impacter la stratégie américaine, notamment dans la lutte contre les terroristes de l’Etat islamique (EI) ?
Si des éléments des Forces démocratiques syriennes [FDS, les rebelles, ndlr] commencent à se battre entre eux, ou si les Turcs combattent réellement les Kurdes et que des pertes conséquentes en résultent, ce serait clairement une très mauvaise chose. Dans le cas contraire, je pense que les choses sont déjà tellement complexes en Syrie que je ne suis pas convaincu que cela aggrave beaucoup la situation. Et à l’inverse, je pense que le fait que la Turquie fasse preuve de plus de sérieux dans son combat contre le groupe Etat islamique est bienvenu.
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La solution pour apaiser les tensions semble être le retrait des combattants kurdes syriens du YPG (Unités de protection du peuple) à l’est de l’Euphrate. Malgré tout, il n’y a pas d’assurance que la Turquie ou ses alliés arrêteront leur offensive. Jusqu’où peuvent aller les Etats-Unis pour défendre leurs alliés du YPG ?
Si le sens de votre question est de savoir si les Américains seraient prêts à affronter la Turquie, en apportant par exemple un soutien aérien aux militants kurdes, je crois que la réponse est clairement non. En revanche, est-ce que nous tenterions de convaincre les deux camps d’agir d’une manière que l’autre pourrait tolérer ? La réponse est clairement oui.
Après l’intervention de la Turquie, les Etats-Unis devraient-ils repenser leur stratégie dans cette région de la Syrie, où Washington s’est beaucoup appuyé sur les militants kurdes pour combattre l’EI ?
Non, pas du tout. Mais je pense que nous devons nous demander quels accords politiques réalistes sont envisageables pour parvenir à une Syrie post-Assad. La stratégie actuelle qui consiste à exiger le départ d’Assad est à la fois incompatible avec la réalité sur le terrain et peu prometteuse. Je suis en faveur d’une approche confédérationnelle, similaire à ce qui s’est passé en Bosnie. Mais pour qu’une telle approche soit tolérable pour Ankara, peut-être faut-il qu’il y ait deux zones kurdes séparées physiquement par un secteur arabe, afin de réduire les chances qu’une entité kurde puisse ensuite chercher à obtenir son indépendance.
Barack Obama doit rencontrer le président Erdogan la semaine prochaine, en marge du sommet du G20 en Chine. De quel moyen de pression dispose le président américain, sachant que les Etats-Unis ont besoin de la base turque d’Incirlik pour mener leurs frappes contre l’Etat islamique ?
Etant donné que notre stratégie ne tient pas réellement la route pour le moment, ce serait stupide d’entamer une épreuve de force avec un important allié à propos d’un problème tactique. Je pense que nous serions mieux avisés de repenser le cœur de notre stratégie, comme je le suggérais précédemment. En outre, Obama est proche de la fin de son mandat. Dans ce contexte, tenter de sauver Alep et sa population importe sans doute davantage que d’élaborer une stratégie efficace pour vaincre l’Etat islamique à court terme. Quoi qu’il en soit, je n’imagine pas les deux présidents avoir des discussions très vives sur ce sujet.
Moscou n’a pas fait part de son opposition à l’opération turque, Damas l’a fait de manière très modérée. Pensez-vous que la situation actuelle puisse contribuer à rapprocher la Turquie, la Russie et le régime Assad ? Et quelles pourraient être les conséquences pour les Etats-Unis ?
C’est envisageable et cela pourrait être une bonne chose. A l’heure actuelle, la Turquie a trop d’ennemis en Syrie, elle ne pourra pas tous les battre. Quant à nous, Américains, nous avons une vision politique trop irréaliste du futur de la Syrie qui est incohérente avec la réalité sur le terrain. Comme je le disais, notre plan visant à déloger Assad est extrêmement optimiste, voire simplement utopique. Je suis donc favorable à tout ce qui pourrait permettre aux grandes puissances d’adopter une approche moins conflictuelle.
Frédéric Autran Correspondant à New York
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