Témoignages et analyses contradictoires sur Houla
juin 1, 2012
Vous avez du remarquer que le ton de certains médias est en train de changer. Ils n’affirment plus bêtement les accusations portées contre le dirigeant syrien. Ils commencent à se poser des questions. Faut dire que la ficelle du massacre de Houla attribuée à Bachar Al Azad était vraiment trop grosse. J’espère que nous saurons un jour ce qui s’est exactement passé à Houla
Ginette
Témoignages et analyses contradictoires sur Houla
Par Louis Denghien, le 31 mai 2012
Le correspondant de l’agence Reuters à Amman, Khaled Yacoub Oweis, relaie des témoignages de personnes présentées comme des « témoins » et des « rescapés » de la tuerie de Houla, qui incriminent des miliciens pro-Assad, de confession alaouite et venus villages voisins. Une femme stigmatise l’action des « porcs alaouites » et affirme que ceux-ci ont tué son père, son frère et ses sept soeurs.
Des tueurs « barbus »
Oweis, dont les articles ont toujours été d’une hostilité affirmée au gouvernement syrien et ont toujours appuyé le point de vue de l’opposition, cite un autre témoin, un certain Maissara al Hilaoui, qui se présente lui-même comme opposant, et qui explique que des groupes de l’ASL ont attaqué vendredi après-midi plusieurs postes de l’armée à Houla et dans le village voisin de Taldo (ou Taldaou) : selon al Hilaoui, les rebelles ont pu s’emparer un de ces postes, endommageant cinq véhicules blindés, avant d’être finalement repoussés par une contre-attaque générale militaires syriens. À la suite de quoi, vers 18 heures, les chabihas, venus donc de villages alaouites avoisinants, seraient rentré à Taldo, pour commencer à massacrer les habitants sunnites de Taldo. Al Hilaoui dit s’être aventuré à Taldo vers 20 heure 30, pour y découvrir « plein de gens massacrés« , dont les corps étaient soient dans les maisons, soit éparpillés le long d’une route conduisant aux villages alaouites. Al-Hilaoui affirme que les chabihas sont revenus à la charge dans la nuit de vendredi à samedi, vers 2 heures 30, pour tuer les quinze membres d’une même famille, dont seul un bébé
Et puis Oweis donne la parole à un enfant qui affirme que des soldats ont tué sa mère et emmené son frère et ses oncles. Il dit que les hommes étaient au nombre de onze, avec le crâne rasé et la barbe, signes de reconnaissance des miliciens pro-Assad selon lui.
On peut déjà objecter que les porteurs de barbes à crânes rasés se rencontrent fréquemment chez les islamistes. Mais au delà de ça, ces témoignages relayés par Reuters confirment certains point de la version gouvernementale présentée par Jihad Maqdissi : il y a bien eu une attaque, vendredi vers 14 heures, de groupes de l’ASL sur de positions de l’armée dans le secteur Houla-Taldo – deux à trois cents venus sur des picks-up équipés de mitrailleuses selon Maqdissi.
Ce que des reporters russes ont constaté
De son côté, une équipe de télévision russe a enquêté sur place – la plaine d’Al Houla et ses villages (Taldo, Kafr Laha et Tel Dahab) – et produit un autre éclairage sur le drame. Elle interroge elle aussi des personnes se présentant comme des témoins du drame et qui elles font porter sa responsabilité sur des groupes armés d’opposition – certains désignés par des noms propres, venus notamment de Rastan (à mi-chemin de Homs et de Hama). Ces groupes auraient été commandés par le fameux officier déserteur Abdul Razzak Tlass qu’on situait voici peu dans un quartier encore contesté de Homs. Et donc les victimes seraient des habitants suspectés de sympathie pour le gouvernement.
Selon les témoignages recueillis par les Russes, toutes les victimes du massacre de Houla/Taldo appartiennent la famille Al Sayed (qui compterait près de 20 enfants), et la famille Abdul Razzak (10 enfants). Parmi les victimes du clan al-Sayed figure des membres de la famille du frère de Abdallah Al Mechlab, secrétaire du nouveau parlement, Abdallah Mechlab, qui a été élu à ce poste le jeudi précédant). Ce lien des victimes avec un notable du nouveau parlement suggère fortement que ses parents ont été tués à titre de représailles politiques, et donc par des ASL et/ou des islamistes de l’opposition radicale.
Toujours selon les témoignages produits le père de la famille en question a été ligoté, et les neuf enfants isolés dans une pièce, puis la mère (Fayrouz Al Daher) a été violée collectivement, et après le viol tuée d’une balle dans le cou qui a traversé la tête. Tous les autres morts l’ont été suite aux accrochages survenus après l’attaque des militaires par les terroristes, une fois leurs massacres exécutés.
Le premier accrochage sur le terrain a eu lieu entre le groupe armé Al Bakour et un poste de l’armée à la place de Taldo (près du château d’eau) : trois militaires – dont un lieutenant – ont enlevés puis exécutés, dans des circonstances particulièrement cruelles. 19 autres militaires ont été blessés plus ou moins gravement dans cette attaque de Taldo et ont été sauvés du pire grâce à l’arrivée des renforts de l’armée, après une heure de résistance héroïque face à des « centaines d’hommes armés ». Par la suite, des dizaines de soldats de ces renforts ont été blessés et dégagés, à leur tour, par l’arrivée de nouvelles unités par le côté ouest de Taldo obligeant les terroristes à ouvrir un nouveau front, et à alléger la pression sur les soldats combattant au sud. Les terroristes étaient dotés d’armes sophistiquées (des fusils à lunettes de vision nocturne, des missiles antichars dont sont dépourvus les forces de l’armée régulière présentes dans la région).
Au premier accrochage, un véhicule blindé (un BRDM de couleur bleue) a été atteint par un missile thermique qui l’a immédiatement embrasé.
L’équipe russe assure que beaucoup d’autres détails parlants – par le son et l’image – seront présentés dès qu’ils seront prêts. Nous verrons bien…
En attendant voici les liens vers le reportage russe :
Vidéo en russe traduite en arabe par Syrian truth, et publiée le 30 mai 2012 par syriatruth00 et traduite en français pour Infosyrie, par Mohamed Ouadi.
Les accusations graves du chef du Parti communiste russe
Évidemment, cette guerre russo-occidentale des témoignages peut laisser perplexe. Mais de ce brouillard sanglant on peut dégager une certitude : une attaque d’envergure de plusieurs centaines de rebelles contre des positions de l’armée a bien eu lieu, comme l’affirmait le gouvernement syrien et des combats de rues à Houla-Taldo s’en sont suivis, avec des rebelles détruisant au moins un blindé de reconnaissance. La polémique porte toujours sur l’appartenance des hommes armés ayant procédé à des massacres de civils, et sur l’appartenance politique de leurs victimes.
À cet égard, rien n’est prouvé, ni dans un sens ni dans l’autre, contrairement à ce que disent franchement ou suggèrent les médias et gouvernements occidentaux. On fera par ailleurs remarquer que la thèse médiatique officielle occidentale – forcément anti-Bachar – a déjà subi ne variation importante : la grande majorité de victimes avait d’abord été présentées comme ayant été tuées par les obus de l’artillerie de l’armée régulière. Avant que les représentants locaux de l’ONU indiquent qu’en fait, 90 des 108 victimes décomptées avaient péri sous les balles ou le couteau d’un agresseur très rapproché.
C’est ce genre de détail qui avaient suscité les réserves émises à haute voix par le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov et d »autres responsables de la diplomatie russe. Lavrov a estimé que dans cette affaire, les responsabilités étaient au moins partagées. Mais aujourd »hui le chef du Parti communiste russe Guennadi Ziouganov – arrivé second derrière Poutine à l’élection présidentielle – accuse par communiqué les services secrets occidentaux d’avoir planifié et monté l’affaire. Ziouganov, qui fait allusion à de précédentes opérations de désinformation et de déstabilisation de ce type en Yougoslavie, en Libye et en Afghanistan, réclame à son tour une enquête internationale – et indépendante des gouvernements euro-américains. Le chef du PCR note les contradictions entre les deux versions successives produites par les bérets bleus, l’exploitation politique immédiate de l’affaire par les gouvernements et médias anti-syriens et estime que l’Occident tente en Syrie un remake du scénario bosniaque (ou kosovar) qui avait vu l’OTAN frapper les Serbes au terme d’une campagne médiatique présentant des cadavres d’hommes armés tombés au combat comme des civils massacrés par les forces de Belgrade.
Rien n’est démontré à ce stade
Enfin, on attend les conclusions de l’enquête militaire diligentée par le gouvernement syrien. On peut penser qu’elle s’efforcera de disculper les siens. Disons que si jamais la responsabilité de miliciens pro-Bachar était avérée, le gouvernement devrait les sanctionner de manière exemplaire.
Mais disons aussi que depuis le début de troubles, l’opposition, ou les oppositions syriennes ont produit nombre de faux-témoignages à destination des médias occidentaux sympathisants, n’hésitant pas à pratiquer, comme à Homs, le détournement (et le déplacement) de cadavres ; qu’il est douteux que le gouvernement syrien déjà tenu en suspicion par ses adversaires géopolitiques et médiatiques, laisse des hommes à lui perpétrer un massacre de civils alors que le pays est sillonné par 300 observateurs de l’ONU et pas mal de journalistes ; que les hommes de l’ONU se sont déjà trompés sur la nature de la mort des victimes. Et que les rebelles se sont battus au milieu des civils pendant un certain temps.
À suivre, de près.
LEMONDE.FR | 25.04.06 | 15h18 • Mis à jour le 03.05.06 | 23h50