Journalistes envoyés à la mort en Syrie (ou de l’art consommé de la propagande)
juin 9, 2012
Par
Mounadil al Djazaïri
En Syrie, la propagande occidentale bat son plein sur le mode qui lui est caractéristique et que nous avons vu à l’œuvre tout récemment en Libye et, il y a quelques années de cela, en Yougoslavie. Les massacres sont effectués avec un timing d’une rigueur impressionnante, de sorte à coïncider avec des échéances diplomatiques sensées prendre en charge l’indignation de l’opinion.
Une indignation à laquelle n’ont pas droit, ça va de soi ,les Pakistanais ou les Afghans écrasés sous les bombes des bienfaiteurs US. Pas plus que les Palestiniens de Gaza en 2008-2009 où les Libanais en 2006. Pourtant vous ne trouverez pas un seul pays occidental qui ne se dit pas ami du Liban…
Dans la guerre de propagande, la mort de journalistes peut-être une bonne affaire et les opposants armés au gouvernement syrien l’ont bien compris qui n’hésitent pas à conduire des journalistes européens vers ce qui aurait dû être leur mort assurée.
C’est la mésaventure qui est effectivement arrivée à Alex Thomson, un journaliste de la chaîne de télévision anglaise Channel 4 et qu’il relate dans son blog.
Envoyés à la mort dans un no man’s land syrien ?
Par Alex Thomson, Channel 4 (UK) 8 juin 2012 traduit de l’anglais par Djazaïri
Debout devant l’hôtel Safir à Homs pendant que les 4X4 blancs de l’ONU attendaient, l’officier Irlandais responsable est arrivé et nous adit : « Les règles habituelles Ales, OK ? Nous ne sommes pas responsables de bous, les gars. Si vous êtes dans les problèmes, on vous laissera, OK ? Vous êtes autonomes.»
«Ouais – pas de problème Mark. C’est compris.»
Je dis toujours ça, façon de croire qu’on ne se trouvera jamais devant une telle éventualité.
Seulement deux véhicules de l’ONU plus la voiture blanche de la police locale marquée « Protocole » comme escorte, nous allons vers le sud à travers des quartiers paisibles de Homs non touchés par la guerre.
Dix minutes à peine après avoir quitté la ville par le sud, et on dit adieu au protocole. Le dernier point de contrôle de l’armée syrienne est tout droit sur l’autoroute du sud vers Damas.
Nous allons vers l’est – il n’y a qu’à suivre la direction vers laquelle pointe la tourelle du blindé à côté duquel est garée la voiture du protocole pour se faire une idée.
Il y a toujours cette petite boule dans l’estomac quand on circule dans les no man’s lands désertés, mais c’est la rase campagne, sans signes de combats.
Maintenant, les premières motocyclettes nous approchent et nous arrivons au premier checkpoint de l’Armée Syrienne Libre.
Après une longue demi-heure de pistes à travers des oliveraies, nous arrivons à al Qusayr et la prévisible scène de foule.
L’ONU s’installe pour une longue réunion aves les chefs civils et militaires locaux. A mes yeux, ça ressemble beaucoup à une «chouhra» afghane. Tout le monde est sur des coussins autour de la salle, les jambes croisées, sauf qu’on sert du café turc au lieu du thé.
Nous nous mettons en place pour filmer à l’extérieur. Il fait chaud, des femmes et des garçons nous apportent des oranges et des chaises. Des fragments d’obus nous sont montrés pour que nous les filmions. Ils nous expliquent que les bombardements reprendront dès notre départ – une affirmation qui par nature restera non vérifiée, quoiqu’il y ait certainement d’importants dégâts causés par des obus dans certaines parties de la ville.
Nous passons donc le temps, en attendant que l’ONU se déplace – ils sont bien sûr notre seul moyen de franchir les lignes avec un minimum de sécurité.
Mais le temps se traîne. Le délai qui nous est imparti tire à sa fin. Et il y a ce type vraiment casse pieds qui prétend être des « services de renseignements rebelles » et qui n’arrive pas à accepter que nous ayons un visa du gouvernement.
Dans son esprit, les journalistes étrangers sont des gens passés clandestinement et illégalement par le Liban et point final. On ne correspond pas à son profil.
Lui est ses camarades rendent aussi les choses difficiles à notre chauffeur et à notre traducteur – leurs pièces d’identité établies à Damas et notre camionnette immatriculée à Damas n’arrangent pas nos affaires.
C’est nouveau [pour nous]. Hostile. Ce n’est pas comme à Homs ou à Houla et pourtant la réunion avec l’ONU se traîne dans la chaleur de l’après-midi.
Nous décidons de demander une escorte pour prendre le chemin sûr par lequel nous sommes venus. Les deux camps, les deux checkpoints se souviendront de notre véhicule.
Envoyés à la mort ?
Soudain, quatre hommes dans une voiture noire nous invitent à les suivre. Nous partons derrière eux.
On nous emmène par une autre route. Emmenés en fait dans une zone où on tire à vue. Invités par l’Armée Syrienne Libre à suivre une route qui est bloquée au milieu d’un no man’s land.
A ce moment, il a eu le sifflement d’un projectile et un des plus lents demi-tours que j’ai jamais connus pour foncer vers l’accotement le plus proche pour nous couvrir.
Une autre impasse
Il n’y avait pas d’autre choix que de rebrousser chemin sur le champ de tir et de le traverser pour reprendre la route par laquelle on nous avait emmenés.
Comme on s’y attendait, la voiture noire qui nous avait conduits dans le piège était là. Ils ont démarré dès que nous sommes réapparus.
Je dis tout net que les rebelles ont fait en sorte que nous soyons tués par l’armée syrienne. La mort de journalistes est mauvaise pour Damas.
Ma conviction n’a fait que se renforcer une demi-heure plus tard quand nos quatre amis dans la même voiture cabossée ont fait soudain irruption depuis une rue latérale pour nous empêcher de rejoindre les véhicules de l’ONU à l’avant.
Les observateurs de l’ONU sont revenus vers nous pour constater que nous étions entourés de miliciens hurlant et ils ont quitté la ville.
Nous avons finalement pu partir aussi et sur la bonne route pour le retour à Damas.
Dans une guerre où ils égorgent des bébés jusqu’à l’os, qu’est-ce que ça peut bien faire d’envoyer une minibus plein de journaliste dans une zone où on tue ?
Ca n’avait rien de personnel.