Irak : Des Français affirment avoir subi torture, coercition
mai 31, 2019
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Publié par Gilles Munier sur 31 Mai 2019,
Catégories : #Irak, #Daech, #Droits de l’homme
Djihadistes français capturés en Syrie et livrés à la « justice » irakienne
Revue de presse : Human Rights Watch (31/5/19)*
(Beyrouth) – Deux Français jugés ces derniers jours en Irak pour appartenance à l’État islamique (EI) ont affirmé que leurs aveux avaient été obtenus sous la torture ou la contrainte, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.
Sept ressortissants français ont été condamnés à mort lors de procès qui se sont tenus du 26 au 29 mai 2019, tandis qu’un autre verdict a été reporté. Au moins un accusé a déclaré que les agents irakiens l’avaient torturé, tandis qu’un autre a déclaré qu’ils l’avaient contraint à avouer et à signer un procès-verbal qu’il ne pouvait pas lire. Malgré ces allégations, le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a affirmé le 29 mai que les accusés avaient bénéficié de « procès équitables ».
« La France et les autres pays ne devraient pas sous-traiter la gestion de leurs ressortissants soupçonnés de terrorisme à des systèmes judiciaires abusifs », a déclaré Lama Fakih, directrice adjointe pour le Moyen-Orient à Human Rights Watch. « Ces pays ne devraient pas rester les bras croisés pendant que leurs ressortissants sont transférés dans un pays où leurs droits à un procès équitable et à être protégés de la torture sont compromis. »
Ces hommes font partie d’un groupe de détenus étrangers, dont au moins onze Français, que les Forces démocratiques syriennes (FDS) ont transférés du nord-est de la Syrie vers l’Irak début 2019. Dans les cas en question, en raison du risque de torture et d’absence de procès équitables, les transfèrements sont illégaux, a déclaré Human Rights Watch. Ces abus soulignent l’urgence et la nécessité pour les Etats comme la France, qui peuvent garantir des procédures équitables, de veiller à ce que leurs ressortissants puissent retourner dans leur pays. Une fois rentré, tout ressortissant soupçonné de crimes de guerre, de torture ou d’autres crimes internationaux devra faire l’objet d’une enquête, et le cas échéant, de poursuites dans le cadre de procès conformes aux normes internationalement reconnues en matière de procès équitable.
La chambre de Karkh de la Cour pénale centrale d’Irak a condamné à mort sept Français pour leur appartenance à l’EI et reporté au 2 juin le verdict d’un huitième, qui a affirmé au tribunal qu’il avait été torturé. Des sources judiciaires ont déclaré que les autres Français transférés par les FDS depuis la Syrie seraient inculpés et recevraient le verdict du tribunal dans les jours à venir, le 3 juin pour trois d’entre eux.
Un accusé français qui a comparu le 27 mai a déclaré au tribunal que des agents l’avaient torturé en détention, ont rapporté deux observateurs du procès à Human Rights Watch. Le juge présidant la cour a demandé à l’accusé de soulever sa chemise, observé des marques sur son dos et ses épaules, puis ordonné que l’accusé soit examiné par un médecin légiste et comparaisse à nouveau le 2 juin. Le juge n’a pas posé de questions sur le lieu et la date des actes de torture, ni sur la personne qui l’avait commise, ni sur la méthode de torture, a rapporté un observateur.
Les observateurs ont déclaré qu’un accusé français qui a été condamné à mort avait affirmé au juge que des agents l’avaient fait avouer sous la contrainte et signer une déclaration en arabe qu’il ne pouvait pas comprendre. D’après ce qu’ont compris ces observateurs, en mentionnant la coercition, il semblait sous-entendre qu’il avait été torturé. Le juge lui a demandé de soulever sa chemise et, semble-t-il, parce qu’il n’y avait pas signe évident de torture, l’a condamné à mort sans lui poser de questions sur ces allégations.
Human Rights Watch a documenté le recours par les interrogateurs à diverses techniques de torture, notamment frapper les suspects sur la plante des pieds, une méthode internationalement connue sous le nom de « falaka », et leur infliger des simulations de noyades (« waterboarding »), deux méthodes qui ne laissent pas de marques durables sur le corps de la personne. En dépit de rapports approfondis et crédibles de tortures en détention, Human Rights Watch a également montré que le système judiciaire irakien manquait constamment à son devoir d’enquêter de façon crédible sur les allégations de torture.
Ces dernières années, les détenus irakiens accusés d’appartenance à l’EI ont été soumis à des procès inéquitables qui se sont soldés par des condamnations à mort. À l’exception d’un tribunal, les procès observés par Human Rights Watch depuis 2016 se résumaient à un bref interrogatoire de l’accusé par le juge, en général basé uniquement sur ses aveux écrits, eux-mêmes souvent obtenus sous la contrainte, sans représentation légale efficace. Par ailleurs les autorités ne font aucun effort pour solliciter la participation de victimes au procès, pas même comme témoins.
La Convention des Nations unies contre la torture interdit de transférer les détenus vers un pays où « il y a des motifs sérieux de croire » qu’ils risqueraient d’être soumis à la torture. Le droit international coutumier prévoit lui aussi une interdiction similaire.
Plusieurs milliers de suspects irakiens et plus de 2 000 suspects de l’EI non irakiens détenus dans le nord-est de la Syrie par les FDS risquent d’être transférés en Irak pour y être jugés, les négociations étant en cours. En 2018, Human Rights Watch a montré que les États-Unis procédaient eux aussi à des transfèrements de suspects de l’EI étrangers du nord-est de la Syrie vers l’Irak, apparemment sans aucune considération pour le risque de torture et de procès inéquitable en Irak. Une enquête de Reuters a décrit au moins 30 de ces transfèrements.
Étant donné le risque de torture et de procès inéquitable aboutissant à la peine de mort, ni les FDS ni aucun pays ne devraient transférer de détenus vers l’Irak pour y être jugés pour terrorisme ou crimes liés au terrorisme. Dans les cas où les détenus ont déjà été transférés vers l’Irak, ceux qui les ont transférés ont l’obligation, en vertu du droit international, de suivre leurs dossiers pour s’assurer que les suspects ne soient pas maltraités, et s’ils sont poursuivis, qu’ils soient jugés équitablement.
Les pays dotés de systèmes judiciaires à même d’assurer une justice équitable devraient prendre toutes les mesures en leur pouvoir pour veiller à ce que leurs ressortissants emprisonnés dans le nord-est de la Syrie puissent retourner dans leur pays, où ceux qui sont suspects de crimes de guerre et d’autres crimes internationaux devront faire l’objet d’une enquête. Ces pays devraient veiller à ce que les procès de ceux qui sont inculpés de crimes internationaux, dont le viol, la torture, les meurtres et autres crimes de guerre, permettent la participation des victimes et des témoins.
En ce qui concerne les personnes détenues en Irak, les juges devraient enquêter sur toutes les allégations crédibles de torture et les forces de sécurité responsables, et ordonner de transférer immédiatement ces détenus vers un lieu de détention différent dès qu’ils se sont dits victimes de tortures ou de mauvais traitements, afin de les protéger des représailles.
Human Rights Watch s’oppose à la peine capitale dans tous les pays et en toutes circonstances. En Irak, où les procès des suspects de l’EI ne respectent pas les critères les plus élémentaires d’une procédure régulière, son application est particulièrement préoccupante.
« Les graves lacunes des procès irakiens, dont la torture, sont bien documentées », a conclu Lama Fakih. « Si des pays comme la France ne veulent pas que leurs ressortissants soient condamnés à la peine de mort, comme l’ont dit leurs représentants, ils devraient les ramener chez eux pour y faire l’objet d’une enquête et de poursuites. »
*Source : Human Rights Watch
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