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LETTRE D’ALEP No 46 (15 mars 2023)


ZELZAL : UN AUTRE MALHEUR DANS LA TRAGEDIE SYRIENNE.

Quarante-cinq secondes ont suffi a? mettre toute la population d’Alep dans la rue.

Il e?tait 4h17 du lundi 6 fe?vrier 2023 ; c’e?tait la nuit ; il pleuvait ; il faisait froid, 2 degre?s Celsius.
Et la TERRE TREMBLA. Des immeubles s’effondrent, d’autres bougent, surtout les e?tages supe?rieurs ; les meubles dansent ; les bibelots et tableaux tombent par terre ; les vitres se brisent ; des murs se le?zardent ; des pierres ou des bouts de ciments ou de pla?tre tombent des murs ou des plafonds blessant les habitants ; les bouteilles d’huile, de sirop, de de?tergents sortent de leurs placards a? la cuisine et se de?versent sur le sol ; et surtout le bruit assourdissant, un bruit terrifiant, un bruit de portes qui claquent, de fene?tres qui s’ouvrent ; et c?a a dure?, dure?, 45 secondes comme une e?ternite?.
Les Alepins endormis se sont re?veille?s en sursaut : les enfants criaient, les adultes e?taient terrifie?s ne sachant pas ce qui se passe avant de re?aliser que c’est un tremblement de terre (Zelzal en arabe). C’est la panique. Les gens courent, descendent les escaliers, se bousculent, certains tombent et se cassent les membres ; et tout le monde, deux millions de personnes, se retrouvent dans la rue en pyjama et certains pieds nus, sous la pluie et dans le froid. Des immeubles s’e?croulent, des e?tages supe?rieurs tombent, des pierres pleuvent d’en haut blessant ou tuant des personnes re?fugie?es dans la rue.
C’est la pagaille. Ceux qui posse?dent une voiture veulent fuir leurs quartiers pour aller se garer dans des terrains vagues sans immeubles autour ; des embouteillages ralentissent la fuite. Les autres essayent de se re?fugier dans des parcs publics, dans des E?glises ou des Mosque?es. Les grandes avenues et le pe?riphe?rique sont, depuis, remplis de voitures gare?es le long des trottoirs avec des familles qui passent la nuit dans leurs autos. Des milliers de familles ont dresse? des tentes dans tous les terrains vides et y vivent depuis le se?isme. Les principaux stades sportifs d’Alep sont bonde?s de milliers de familles. Presque toute la population d’Alep est reste?e des journe?es « dans la rue ».

Nous avons appris plus tard que le se?isme e?tait d’une magnitude de 7,8 a? l’e?chelle de Richter avec comme e?picentre une ville du sud de la Turquie a? quelques 100 km au nord d’Alep.
Moins d’une demi-heure apre?s le tremblement de terre, nous, Les Maristes Bleus, avons ouvert les portes de notre re?sidence pour accueillir ceux qui voulaient se re?fugier chez nous ; nous avions lance? des appels sur diffe?rents re?seaux sociaux et re?pondu a? des dizaines d’appels te?le?phoniques pour dire « vous e?tes les bienvenus chez nous ». En quelques heures, plus de mille personnes, de toutes confessions, transies par le froid, trempe?es par la pluie, tremblant de peur, criant, pleurant sont venues ; Rapidement, nos be?ne?voles, accourus, ont distribue? une boisson chaude, les quelques couvertures et matelas que nous avions ; et il fallait re?conforter, calmer, rassurer et e?couter ; et mettre les gens au chaud dans toutes les pie?ces de la re?sidence, y compris a? la cuisine. Heureusement que les 2 cours du couvent sont couvertes ; ceux qui n’avaient pas de place a? l’inte?rieur se sont re?fugie?s la? sur des chaises en attendant la leve?e du jour. De?s le matin, il fallait donner a? manger a? tous, faire la cuisine a? mille personnes, donner du lait aux enfants, de?brouiller des couvertures et des matelas pour tous et faire de la place pour tout le monde pour la nuit suivante.
A? peine les gens e?taient un peu plus calme qu’un 2e?me se?isme d’une magnitude de 7,7 survint a? 13h24. Alep n’avait pas connu un tel tremblement de terre depuis 1822.
Dans les semaines qui ont suivi, de petites secousses ont eu lieu tous les jours semant l’effroi dans la population jusqu’au lundi 20 fe?vrier quand une 3e?me secousse de magnitude de 6,3 survint a? 20h04.

Le bilan de ce tremblement de terre s’e?le?ve, a? Alep seulement, a? 458 de?ce?s, plus de mille blesse?s, 60 immeubles effondre?s et comple?tement de?truits, des centaines d’immeubles non re?parables a? de?truire, des milliers d’immeubles se?ve?rement endommage?s inhabitables dans leur e?tat actuel et des centaines de milliers de personnes qui ne vivent plus chez eux. Me?me si, vu de l’exte?rieur, des immeubles sont intacts, beaucoup ne peuvent pas e?tre habite?s parce que les fondations ou les cages d’escaliers ou les murs porteurs sont endommage?s.
A? part Alep, plusieurs autres villes syriennes ont e?te? touche?es en particulier Lattaquie?, Hama et Jable? ; Seize immeubles dans un me?me complexe se sont effondre?s dans cette dernie?re ville tuant 15 me?decins et 16 pharmaciens.
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Pendant plus de 20 jours, notre re?sidence a accueilli des centaines de personnes dont le nombre variait au gre? des de?parts et des arrive?es. Accueillir, recevoir, nourrir, ve?tir (les gens n’avaient avec eux que les habits qu’ils portaient), traiter, offrir la possibilite? d’un bain chaud avec de nouveaux ve?tements et sous- ve?tements, re?conforter, s’occuper des enfants, organiser les dortoirs e?taient nos ta?ches quotidiennes.
Beaucoup de familles sont reste?es chez nous parce qu’elles craignaient de rentrer chez elles s’attendant a? un 4e?me tremblement ; d’autres avaient leurs domiciles fortement endommage?s ou leurs immeubles comple?tement par terre. Nous avons, alors, cre?e? un comite? d’inge?nieurs Maristes Bleus pour aller inspecter les appartements des de?place?s. Si l’e?tat de l’appartement est acceptable, nous rassurons les gens en leur demandant de rentrer chez eux. Si les logements sont inhabitables, nous leur louons un appartement pour un an, le temps de faire les re?parations ou restaurations ne?cessaires. D’autres associations et les E?glises ont fait de me?me.
Durant quatre semaines, nous avons interrompu nos projets habituels pour soulager les souffrances et assister les de?place?s. Mais depuis une semaine, nous reprenons tout doucement nos activite?s malgre? l’abattement de nos be?ne?voles et de nos be?ne?ficiaires.
A? part les bilan humain et mate?riel tre?s lourd, le traumatisme psychique chez toutes les cate?gories d’a?ge est tre?s important. Maintenant, 35 jours apre?s le se?isme, les adultes et les enfants sont toujours choque?s, angoisse?s, de?sespe?re?s, ont des cauchemars et pensent que le pire est encore a? venir.

Le Croissant rouge et de tre?s nombreuses associations et socie?te?s caritatives se sont mobilise?s, comme nous, pour venir en aide aux centaines de milliers de de?place?s loge?s dans des centres d’accueil ; une mobilisation comme on n’en a jamais vue.
La solidarite? et la ge?ne?rosite? des autres villes syriennes a? notre e?gard ainsi que celles de nos voisins du Liban et d’Irak ont e?te? exemplaires.
De plus, les Syriens de la diaspora ont, de?s le 1er jour, organise? des collectes d’argent et de mate?riel et ont entrepris des initiatives pour nous envoyer des fonds.
Nos amis occidentaux ont fait de me?me avec une grande ge?ne?rosite?. Sans oublier le ro?le tre?s important de nombreuses associations caritatives et de solidarite? internationales, surtout chre?tiennes, qui se sont de?pense?es comme jamais pour re?pondre a? nos besoins essentiels.
Des pays amis ont envoye? de l’aide et des e?quipes de de?blaiement des de?combres ou des e?quipes me?dicales. Une centaine d’avions ont atterri a? l’ae?roport d’Alep venant du Maroc, de Tunisie, d’Alge?rie, de Jordanie, d’E?gypte, du Venezuela et me?me du Bengladesh pour ne citer que quelques-uns. Puis, l’ae?roport d’Alep, ou? atterrissaient les avions qui amenaient de l’assistance, a e?te? re?cemment bombarde? par nos voisins du Sud le rendant impraticable !
Alors que des centaines d’avion occidentaux ont amene? des secours en Turquie, un seul avion europe?en a atterri en Syrie. Quelle honte !! Les gouvernants des pays des droits de l’Homme et de la « de?mocratie » e?taient-ils convaincus que la population sinistre?e de Syrie souffrait moins que celle de Turquie parce qu’elle vit dans un pays sous sanctions ? Ne pouvaient-ils pas mettre de co?te? leurs sanctions pour apporter une assistance humanitaire a? une population souffrant d’un de?sastre naturel ? C’est pour le moins scandaleux. Ces pays pre?tendaient, depuis des anne?es, que l’aide humanitaire et les e?quipements me?dicaux e?taient exempte?s de sanctions. D’abord, en re?alite?, ceci n’est pas vrai. D’autre part, si cela e?tait vrai, pourquoi ont-ils alle?ge? les sanctions, pour 180 jours, pour l’aide humanitaire si elle e?tait de?ja? exempte?e ?
Heureusement que les hommes et femmes de ces pays ont re?agi autrement que leurs gouvernants et ont e?te? d’une solidarite? et d’une ge?ne?rosite? exemplaires.
Ces sanctions, impose?es unilate?ralement depuis plus de 10 ans par les pays occidentaux sur le peuple syrien et la Syrie sont inefficaces et injustes ; elles ont appauvri la population qui souffre d’une crise e?conomique tre?s grave faute d’investissements exte?rieurs interdits par les sanctions.
Elles nous font souffrir en mettant un embargo sur beaucoup de produits, ce qui occasionne une pe?nurie de fioul, d’essence, de pain et d’e?lectricite?.
Elles tuent : la plupart des immeubles effondre?s lors du se?isme e?taient fortement endommage?s par la guerre mais e?taient habite?s par des gens qui n’avaient pas d’autres choix ; ces immeubles (et il y en a des dizaines de milliers) n’ont pas pu e?tre reconstruits parce que la reconstruction est interdite par les sanctions ; sans parler des dizaines de personnes ensevelies vivantes sous les de?combres et mortes parce qu’elles n’ont pas e?te? secourues a? temps, faute de machinerie lourde pour de?blayer.
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Comme aujourd’hui, le 15 mars 2011, il y a 12 ans, ont de?bute? les e?ve?nements en Syrie :la population syrienne a assez souffert depuis et elle est a? bout : les anne?es de guerre, les sanctions et la pe?nurie, la crise e?conomique, le covid-19, le chole?ra et maintenant le tremblement de terre. Que de malheurs sur un pays qui, jadis, e?tait beau, prospe?re, su?r et souverain.
Quarante-cinq secondes ont suffi a? mettre toute la population d’Alep dans la rue ; une population de?ja? a? terre apre?s 12 anne?es de trage?die et de malheurs. Mais le peuple Syrien est un peuple fier et digne, me?me dans l’adversite?. Il ne demande rien d’autre que de pouvoir vivre, de nouveau, normalement, en paix.
Aidez-nous a? faire lever les sanctions. Merci pour votre amitie? et votre solidarite?.
Alep le 15 mars 2023
Dr Nabil Antaki
Pour les Maristes Bleus
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