Syrie : désinformation et bruits de Guerre froide…
novembre 28, 2012
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Le remplacement de la description des faits en Syrie
par une diabolisation du régime – les crimes commis
par les rebelles sunnites sont généralement niés ou
attribués au régime syrien – est-il le signe avant-coureur
d’une intervention militaire ?
Le remplacement de la description des faits par une diabolisation du régime
syrien est-il le signe avant-coureur d’une intervention militaire ? Crédit
Reuters
Le président François Hollande a reconnu récemment
la nouvelle «Coalition nationale» syrienne
(forces anti-Bachar Al-Assad majoritairement
sunnites), constituée parallèlement au Conseil National
Syrien (CNS), comme l’unique représentante
de l’opposition syrienne. Cette Coalition Nationale
est présidée par le Cheikh sunnite Ahmad Moaz
Al-Khatib, ancien Imam de la Mosquée de Damas,
réputé « modéré », car se disant soufi. En réalité,
Al-Khatib, proche des Frères musulmans, est un
admirateur du théologien des Frères musulmans,
Yousuf al-Qaradawi, le célèbre téléprédicateur qui
déverse sur Al-Jazira sa haine envers les mécréants
et promulgue des fatwas justifiant les attentats islamistes
en Irak. Al-Khatib a d’ailleurs reçu le soutien
du Président égyptien Morsi, lui-même frère
musulman, qui l’a accueillit au Caire.
Quant au CNS, créé en 2011 à Istanbul sur le modèle
du CNT libyen et par conséquent appuyé par
le régime AKP islamiste au pouvoir en Turquie, il
est lui aussi dominé par les Frères musulmans, d’où
le fait que nombre d’opposants à Bachar el-Assad
et hostiles aux idées théocratiques des Frères musulmans,
tel Haytham Manaa (président du CNCD,
deuxième groupe d’ opposition après le CNS), Michel
Kilo ou même Louay Hassan (fondateur du
Courant pour l’édification de l’État syrien lancé en
septembre 2011) n’en sont pas membres. Et le fait
que ces mouvements laïques et pacifiques ne soient
pas considérés comme des interlocuteurs légitimes
par les Occidentaux et leurs alliés (monarchies du
Golfe, Egypte, Turquie) a de quoi inquiéter. Car les
forces laïques prônent (en vain) des solutions de
sorties pacifiques refusées par le CNS et la Coalition
nationale. Les jusqu’auboutistes du CNS et de la Coalition
ainsi que leurs armées islamistes jihadistes,
qui refusent tout dialogue depuis un an, sont donc
co-responsables de l’actuelle guerre civile syrienne,
dont on ne connaît pas l’issue, et qui transforme peu
à peu la Syrie, jadis laïque, en une nouvelle terre
du Jihad.
Malgré cela, la France, grande alliée du Qatar, pays
parrain des Frères musulmans, semble jouer à
fond la carte des forces sunnites, majoritairement
islamistes, soutenues par l’Axe Ankara-Doha-Le
Caire-Gaza, abandonnant ainsi les forces laïques
d’opposition, comme le déplore Randa Kassis, opposante
syrienne chrétienne laïque qui préside le
Mouvement de la société pluraliste. Une vision partagée
par le leader historique de l’opposition pacifique,
le dissident chrétien Michel Kilo, qui a créé en
1999 les Comités de la société civile et qui n’est pas
membre de la coalition, jugée trop dominée par les
Frères musulmans. Selon Randa Kassis et d’autres
leaders laïcs, il faut certes combattre le régime, mais
avec une opposition raisonnable comprenant des
forces alaouites significatives convaincue d’abandonner
al-Assad en échange d’une amnistie. Cette
solution passe aussi par l’offre à Bachar al-Assad
d’une porte de sortie, ce que propose en substance
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Suite du conflit
Alexandre Del Valle
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Syrie : désinformation et bruits de Guerre froide…
le plan Brahimi, option hélas refusée par les rebelles
jusqu’auboutistes du CNS et de la Coalition nationale.
La peur des Frères musulmans
La peur des Frères musulmans et des salafistes jihadistes
se fait sentir jusqu’au sein de la rébellion, ellemême
divisée : on peut citer notamment les Comités
locaux de coordination (LCC), dont la propre porteparole,
Rima Fleihane, déplore qu’aucune femme
n’ait été élue parmi la quarantaine de membres de
la direction du CNS. Les minorités alaouïtes, druzes,
chiites et chrétiennes craignent elles aussi pour leur
avenir, tout comme les Kurdes du PYD (proches du
PKK turc et du Kurdistan irakien), qui combattent
actuellement les salafistes dans le Nord. Nul doute
que les Alaouites qui tiennent le régime et l’armée
se battront jusqu’à la mort, car ce refus de tout compromis
de la part de l’opposition islamiste renforce
leur complexe de persécution et leur phobie de redevenir
des « citoyens de seconde zone », en cas de
victoire des islamistes. Rappelons que durant des
siècles, la Syrie fut dominée par les Ottomans – qui
appliquaient la Charià -, et par la majorité syrienne
sunnite, qui traitait les Alaouïtes en quasi esclaves.
Ceux-ci sont d’ailleurs décrits par l‘Islam sunnite
orthodoxe comme les pires des apostats, d’où une
fatwa du célèbre juriste Ibn Taymiyya (XIVè siècle),
ancêtre du salafisme, les condamnant à mort, faute
de conversion au sunnisme, ce qui les poussa à trouver
refuge dans les montagnes de Syrie.
Aujourd’hui, la minorité alaouite, par son poids démographique
et militaire, demeure la seule force
capable d’endiguer l’islamisme radical en Syrie. De
leurs côtés, les Frères musulmans, même les plus
« modérés », courtisés par le Qatar, la Turquie et
les Occidentaux, sont incapables de contrôler les
brigades jihadistes venues du monde entier qui
composent «l’Armée Syrienne de Libération» (ASL),
en réalité un ensemble de milices et de déserteurs
désorganisés dominés par l’islamisme radical.
Exemple parmi tant d’autres qui rappelle le scénario
libyen : l’une de ces bandes terroristes salafistes
a proclamé un « Etat islamique » à Idleb, dans le
Nord du pays.
Syrie : nouvel Afghanistan ?
Les ennemis de Bachar al-Assad ont déjà fait venir
des dizaines de milliers des moujahidines islamistes
de Tunisie, d’Irak, de Libye, de Jordanie,
d’Égypte, d’Afghanistan, du Pakistan, de Tchétchénie,
et même des banlieues musulmanes d’Europe…
Comme l’a révélé le Daily Mail du 3 septembre 2012,
le MI6 (services de renseignement britanniques)
a déjà identifié une centaine de terroristes européens
venus faire leur Jihad en Syrie. Et lorsque
l’ASL a menacé d’abattre des avions civils syriens,
on a appris que les rebelles islamistes syriens ont
reçu des Manpads, systèmes portatifs de défense
aérienne qui rappellent l’envoi par les Américains
de missiles Stinger aux jihadistes Afghans dans les
années 1980….Pays de transit incontournable pour
les milices islamistes sponsorisées par le Qatar, la
Turquie du Premier ministre islamiste R.T Erdogan
(nouveau Sultan néo-ottoman retrouvant ses
anciennes possessions arabes) a en effet laissé transiter
vers la Syrie des dizaines de tonnes d’armes
destinées aux islamo-terroristes syriens.
Désinformation médiatique
Autres faits en général passés sous silence dans les
médias occidentaux (mais pas russes), ces « combattants
de la liberté », qui rappellent les Moujahidines
afghans durant la guerre froide, ont déjà commis des
massacres de milliers de civils, dont de nombreux
chrétiens et autres membres de minorités non-musulmanes.
Hélas, l’Occident, d’habitude si vigilent
face à l’islamophobie et au sort des minorités, n’a
pas l’air de se soucier du sort de ces minorités là,
régulièrement attaquées par l’ASL, qu’il s’agisse des
chrétiens arabes et syriaques araméens ou même
des Arméniens qui, pour la première fois depuis le
génocide arménien de 1915, sont menacés en Syrie,
où ils avaient trouvé refuge après leur exil de Tur-
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quie et où ils vivaient en paix jusqu’à peu. Mais il
est vrai que si l’ALS s’en prend aux chrétiens arméniens,
c’est peut être aussi parce qu’elle est pilotée
par la Turquie qui accuse la diaspora arménienne
de comploter contre elle depuis toujours et règle
ainsi ses comptes par milices interposées…
Non seulement les dérives terroristes et christianophobes
de l’ALS sont passés sous silence dans nos
médias, mais le manichéisme concernant la Syrie
est tel que tout crime commis par les rebelles sunnites
est soit systématiquement nié soit immédiatement
attribué au régime syrien, de sorte que la
diabolisation a pris la place de la description des
faits, ce qui est en général le signe avant-coureur
d’une intervention militaire d’envergure (« guerre
des représentations ou préparation médiatico-psychologique
des interventions militaires »).
Parmi les intox flagrantes relatives au conflit syrien,
qui rappellent les conflits en ex-Yougoslavie dans les
années 1990, «très bien» préparés médiatiquement,
on peut citer par exemple :
– la mort à Homs, le 11 janvier 2012, du grand reporter
français Gilles Jacquier, imputée par le CNS au
régime de Bachar, accusé d’avoir délibérément tiré
sur un groupe de journalistes. Or l’enquête judiciaire
a prouvé que Jacquier fut tué par un obus rebelle.
Malgré cela, les médias français ont longtemps relayé
la désinformation, ce qui a rappelé l’affaire des
faux charniers de Ceaucescu à Timisoara en 1989.
– le double attentat à la voiture piégée du 10 mai
dernier à Damas (55 morts et 372 blessés), pourtant
clairement revendiqué par vidéo par le groupe jihadiste
salafiste Front al-Nosra, proche d’al-Qaïda ;
– la tuerie de Houla-Taldo du 25 mai 2912, petite
ville au nord de Homs touchée par des bombardements
(108 morts dont 49 enfants), imputée au
régime: le quotidien allemand Frankfurter Allgemeine
Zeitung a révélé depuis que les coupables
étaient les insurgés salafistes et que les victimes
étaient non pas des Sunnites mais des Chiites et des
Alaouites pro-régime…).
– les deux voitures piégées qui ont explosé le 10 mai
à Damas, (55 morts et 372 blessés). Comme d’habitude,
l’attentat a été attribué à la « provocation des
services syriens, mais on sait qu’il s’agissait du Front
al-Norsa, groupe islamiste sunnite qui a revendiqué
les attaques dans une vidéo postée sur Internet.
En guise de conclusion
On pourrait multiplier les exemples des crimes commis
par les rebelles salafistes totalement occultés
par les chancelleries occidentales et les médias aux
ordres. D’évidence, cette campagne de désinformation
et de diabolisation, typique de toute période
de guerre, de même que le soutien de l’Occident et
des pays musulmans sunnites à la coalition nationale
syrienne puis aux rebelles de l’ALS, sans oublier
l’accord de François Hollande de lever l’embargo sur
la livraison d’armes aux rebelles islamistes syriens,
sont autant de signes avant-coureurs d’une tentative
de renversement du régime de Bachar al Assad.
Si la Russie abandonne son allié, comme ce fut le
cas en Yougoslavie, en Irak et en Libye, l’intervention
pourra être menée par les forces de l’OTAN,
par exemple en prétextant d’une attaque syrienne
contre l’un de ses membres, la Turquie, ce qui serait
possible, du fait que le régime en place à Ankara,
ami des Frères musulmans et du Qatar, accueille
et entraîne les rebelles de l’ALS (choix que les
partis laïcs turcs kémalistes, nombre de militaires
laïques et les Alevis turcs, cousins des Alaouites
syriens, dénoncent). Mais si Moscou ne lâche pas
Damas, le conflit s’enlisera encore longtemps, car les
Alaouïtes, qui contrôlent l’armée nationale, épurée
de ses sunnites, lutteront jusqu’au bout, comme la
plupart des Kurdes et certains groupes issus des
minorités religieuses ou ethniques qui ont tout à
perdre. Au cas où les rebelles islamistes et les Frères
musulmans gagnent la bataille ultime en dépit de
l’appui russo-iranien et du Hezbollah au régime, les
Alaouites replieront dans leurs montagnes, où ils
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Syrie : désinformation et bruits de Guerre froide…
ont édifié depuis des décennies un mini Etat les
mettant à l’abri des Sunnites. Car dans cet Orient
compliqué, là où les Occidentaux ne voient que des
«bons démocrates» rebelles face à des «méchants
dictateurs sanguinaires», il faut surtout voir une
lutte impitoyable entre d’une part l’Axe pro-russe
et pro-iranien chiite-alaouite, et, de l’autre, l’axe
pro-occidental, pro-qatari et pro-turc sunnite. Une
lutte intra-islamique sur fond de nouvelle guerre
froide qui n’est pas prête de s’arrêter…
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