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A la mosquée des Omeyyades, un sentiment de grand péril : La Syrie entre Al Bouti et Al Qaradhaoui


Par Mohamed Bouhamidi

Les funérailles de cheikh Ramadhan Al Bouti organisées à la grande mosquée des Omeyyades de Damas ont rassemblé de nombreux Syriens. De toutes les confessions, de toutes les « ethnies », des Syriens inquiets, avec le sentiment que leur pays est sur la ligne de rupture définitive.

La veille, dans son prêche du vendredi diffusé par Al Jazeera, Al Qaradhaoui s’est livré à une terrible plaidoirie à charge contre l’imam Al Bouti – une sorte d’énoncé des justificatifs du meurtre – pour aboutir à la conclusion absurde que c’est le régime qui l’a tué. A la mosquée des Omeyyades, où le fils d’Al Bouti, qui a perdu dans l’attentat son père et son fils, a eu des mots d’une grande dignité, les propos d’Al Qaradhaoui étaient pris pour ce qu’ils étaient : une indécente justification du crime doublée d’une odieuse tentative d’instrumentalisation.

Il y a dans cette distance dramatique entre deux références connues – que nous avons vues souvent ensemble lors des conférences de la pensée islamique en Algérie – l’une morte assassinée et l’autre officiant et distribuant des fatwas sur le média le plus riche du monde arabe, un symbole frappant de la crise syrienne. Le mort, Al Bouti, est un grand religieux « syrien », et celui qui faisait, même après sa mort, son procès, Al Qaradhaoui est, depuis longtemps, d’une nationalité indéfinie. Ce n’est plus un Egyptien. Et que veut dire « qatari » dans un pays réduit à deux ou trois tribus assises sur un océan de gaz ? La nationalité d’Al Qaradhaoui, c’est « l’homo-islamicus » que l’argent des émirs du Golfe et leur force de frappe cathodique sont en train de fabriquer, de l’Atlantique au Golfe.

Cet homo-islamicus, frustre, violent, est en train d’être le même dans chacun des pays au point de ne plus avoir de nationalité. A l’image d’Al Qaradhaoui, prêcheur présumé « pan-islamique », mais qui n’est, au fond, qu’un vecteur des entreprises de désintégration des histoires et des cultures nationales, dont le centre est en Arabie Saoudite. Les salafistes-djihadistes ou salafistes présumés « scientifiques » sont désormais moulés, ils ont un même profil. Rien de national, que de l’abstraction qu’une ritualisation extrême permet. Et c’est bien pour cela que ce sont des soldats et des pions mobilisables sur tous les théâtres.

La différence entre Al Bouti et Al Qaradhaoui est bien dans cette perception nationale ou… antinationale. Al Bouti a apprécié ses positions à partir de sa propre histoire, de son état de Syrien, Al Qaradhaoui est dans l’abstraction islamiste dollarisée. Et dans cette guerre où les homo-islamicus débarquent de partout pour faire le « djihad », le plus grand drame est que les opposants syriens, laïcs ou non, ont cessé de penser en Syriens.

Ceux qui connaissent Al Bouti savent qu’il ne le soutenait pas pour les beaux yeux de l’héritier de Hafez Al-Assad. Il le soutenait parce qu’il savait que la réforme et le changement dans un pays comme la Syrie doivent se faire par la politique, la négociation et non par les armes. Et beaucoup de ceux qui étaient à la mosquée des Omeyyades savaient que la parole d’Al Bouti était la sagesse même. Une sagesse syrienne.

Et que les propos d’Al Qaradhaoui exprimaient, jusqu’à l’ignoble, une vision antinationale, au sens le plus profond du terme. Des imams ont appelé devant la dépouille de Bouti à ce que le pouvoir syrien aille le plus possible pour favoriser la réconciliation nationale. C’était un appel presque désespéré tant la situation syrienne est devenue absurde. Tellement absurde que Ramadhan Al Bouti, homme pondéré, grand érudit, est devenu l’objet de toutes les haines de l’homo-islamicus qui dévaste ce pays.

 

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