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A l’intérieur du programme secret d’Israël en appui aux rebelles syriens


Actualité
Elizabeth Tsurkov

Mardi 25 septembre 2018

Des soldats israéliens à proximité du plateau du Golan, occupé par Israël, le 10 mai.

Source : Foreign Policy, Elizabeth Tsurkov, 06-09-2018

Des combattants ont été armés et rémunérés pour garder à distance de la frontière israélienne les forces liées à l’Iran

Israël a clandestinement armé et financé au moins 12 groupes rebelles dans le sud de la Syrie, ce qui a contribué à empêcher les combattants soutenus par l’Iran et les militants de l’État islamique de prendre position près de la frontière israélienne ces dernières années, rapportent plus de deux douzaines de membres de ces groupes, officiers comme soldats ordinaires.

Les livraisons de matériel militaire, qui ont pris fin en juillet dernier, comprenaient des fusils d’assaut, des mitrailleuses, des lance-mortiers et des véhicules de transport. Les agences de sécurité israéliennes ont livré les armes par trois postes frontières reliant les hauteurs du Golan occupées par Israël à la Syrie – les mêmes points de passage qu’Israël a utilisés pour acheminer l’aide humanitaire aux résidents du sud de la Syrie victimes d’années de guerre civile.

Israël a également rémunéré les combattants rebelles, leur versant à chacun environ 75 dollars par mois, et a financé les achats d’armes de ces groupes sur le marché noir syrien, selon les rebelles et des journalistes locaux.

Cette aide financière, ainsi que le service qu’Israël obtenait en retour, ont laissé les rebelles croire qu’Israël interviendrait si des troupes loyales au président Bachar al-Assad tentaient d’avancer sur le sud de la Syrie

Lorsque les forces du régime, soutenues par les forces aériennes russes, l’ont fait l’été dernier, Israël n’est pas intervenu, donnant aux groupes rebelles l’impression d’avoir été trahis.

« C’est une leçon que nous n’oublierons pas à propos d’Israël. Ils n’ont que faire… des gens. Ils se fichent de l’humanité. Tout ce qui les intéresse, ce sont leurs propres intérêts », a déclaré Y., un combattant de l’un des groupes, Forsan al-Jolan.

Israël a essayé de tenir secrètes les relations qu’elle entretient avec ces groupes. Bien que certaines publications en aient fait état, les entretiens que nous avons menés à ce sujet avec des miliciens sont des plus précis quant au soutien apporté par Israël à ces groupes. Tous les combattants ont parlé sous couvert d’anonymat et à condition que leur groupe d’appartenance ne soit pas révélé.

La quantité d’armes et d’argent qu’Israël a transférée à ces groupes – forts de milliers de combattants – est faible comparée à ce que fournissent d’autres pays impliqués dans la guerre civile qui dure depuis sept ans, parmi lesquels le Qatar, l’Arabie saoudite, la Turquie et les États-Unis d’Amérique. Même au plus fort du programme d’aide israélien en début d’année, les chefs des rebelles se sont plaints qu’il était insuffisant.

Mais ce soutien est important pour plusieurs raisons. C’est une façon de plus pour Israël d’essayer d’empêcher l’Iran d’asseoir sa position en Syrie – en plus des raids aériens sur les positions iraniennes et des pressions politiques qu’Israël a exercées via la Russie, la principale puissance médiatrice en Syrie.

Cela soulève également des interrogations quant à l’équilibre des pouvoirs en Syrie au moment où la guerre civile va vers sa fin. Les forces iraniennes qui ont aidé Assad à vaincre les rebelles ne montrant aucune inclination à se retirer de Syrie, le risque est grand que ce pays ne vienne mettre le feu aux poudres entre Israël et l’Iran.

Un porte-parole de l’ambassade d’Israël à Washington a refusé de faire des commentaires pour cet article.

Israël a commencé dès 2013 à armer les groupes rebelles ralliés à l’armée syrienne libre, notamment dans les régions de Quneitra, de Daraa et dans les zones rurales situées au sud de Damas. Les armes transférées à l’époque étaient principalement des fusils d’assaut M16 fabriqués aux États-Unis. Plus tard, Israël s’est mis à fournir aux rebelles des armes pour la plupart non américaines – apparemment pour dissimuler la source de l’aide – dont des fusils et des munitions provenant d’une livraison iranienne au groupe Hezbollah libanais qu’Israël avait saisie en 2009.

L’aide à ces groupes a été maintenue pendant un certain temps, puis s’est considérablement accrue l’an dernier. Israël, qui auparavant soutenait des centaines de combattants, est passée à des groupes comprenant des milliers de rebelles. Le renforcement de l’aide a coïncidé avec un changement plus global de la politique d’Israël en Syrie. Après les appels lancés à l’administration américaine et au Kremlin, qui n’ont pas permis d’obtenir un accord garantissant que les milices soutenues par l’Iran seraient tenues à distance du sud de la Syrie, Israël a adopté une politique plus agressive.

Son armée de l’air a commencé à frapper plus loin à l’intérieur du territoire syrien, ciblant non seulement les livraisons d’armes iraniennes au Hezbollah, mais aussi les bases iraniennes dans tout le pays.

Deux des groupes soutenus par Israël ont été identifiés officiellement : Forsan al-Jolan (les Chevaliers du Golan), une faction basée dans la ville frontalière de Jubata al-Khashab à Quneitra, et Liwaa Omar bin al-Khattab, basée à Beit Jinn, une ville jouxtant le Mont Hermon.

Contrairement à d’autres soutiens étrangers à l’opposition syrienne, Israël a fait peu d’efforts pour organiser et consolider son programme d’aide. L’État hébreux s’est apparemment appuyé sur ses relations bilatérales avec certains chefs rebelles, en leur acheminant directement de l’aide.

Selon les rebelles du sud de la Syrie, ces dirigeants communiquaient par téléphone avec les autorités israéliennes et les rencontraient parfois en face à face sur le plateau du Golan, occupé par Israël. Lorsque ces chefs changeaient de groupe ou de lieu, l’aide israélienne les suivait. D’autre part, lorsque des dirigeants ont été tués ou démis de leurs fonctions en raison de luttes de pouvoir internes, l’aide israélienne à leurs anciennes factions a été interrompue.

Forsan al-Jolan était la faction favorite d’Israël. L’année dernière, ses rangs ont cru de plusieurs centaines de combattants grâce à une augmentation du financement israélien, affirment certains de ses membres. Elle a également servi d’intermédiaire pour distribuer des armes fournies par Israël à d’autres groupes. Cela a conféré au groupe une influence démesurée à la fois à Quneitra et dans la province voisine de Daraa.

Israël a également utilisé sa puissance de feu pour appuyer les factions rebelles combattant la branche locale de l’État islamique dans le bassin du Yarmouk. Selon les rebelles, les journalistes et les résidents locaux, Israël a frappé à partir de drones les dirigeants de l’État islamique et lancé des missiles de précision contre des soldats, des fortifications, des véhicules de l’EI lors des combats contre les rebelles. Israël n’a pas apporté de soutien militaire équivalent aux attaques des rebelles contre les forces du régime.

L’aide humanitaire et militaire d’Israël a conduit de nombreux résidents du sud de la Syrie à considérer l’État hébreux comme un allié. Israël a fait connaître son programme dénommé « Bon Voisin » en arabe, qui comprend des opérations humanitaires dans le sud de la Syrie et l’accueil de certains Syriens dans les hôpitaux israéliens.

Y., un combattant de Forsan al-Jolan, me l’a dit il y a quelques mois : « Israël est le seul pays a avoir des intérêts dans la région ainsi qu’un peu d’humanité, et qui porte assistance à des civils ».

Mais, au moment où les troupes loyales à Assad, appuyées par les forces russes et iraniennes, ont réaffirmé leur contrôle sur une part grandissante du territoire syrien, Israël a cherché d’autres moyens pour garantir ses intérêts le long de la frontière.

En juillet dernier, des responsables israéliens sont apparemment parvenus à un accord avec la Russie qui a permis le retour des forces du régime à l’ouest de Daraa et de Quneitra, les zones jouxtant le plateau du Golan. En échange, la Russie aurait promis de retenir les milices appuyées par l’Iran à 80 kilomètres du plateau du Golan et de ne pas s’opposer aux frappes israéliennes contre des cibles iraniennes en Syrie.

Même après le début de l’offensive d’Assad dans le sud de la Syrie, de nombreux Syriens de la région gardaient espoir qu’Israël empêcherait au moins le régime de reprendre la province limitrophe de Quneitra. Des milliers de personnes ont fui vers la région voisine du plateau du Golan, mais Israël n’est pas intervenu pour les protéger.

Un dirigeant d’une communauté locale de l’ouest de Daraa, qui a accepté de parler à la condition d’être identifié sous le nom d’Abu Khaled, a déclaré qu’il s’était vite rendu compte que se fier à Israël avait été une erreur.

« Croyez-moi, Israël regrettera de ne pas avoir dit la vérité sur ce qui s’est passé dans le sud de la Syrie. Dans notre ville et aux alentours, nous nous sommes réconciliés à contrecœur avec le régime, mais cette réconciliation va avoir des répercussions sur Israël dans un avenir proche », a-t-il dit.

Alors que les forces du régime approchaient, certains des rebelles ont contacté leurs correspondants israéliens et ont demandé l’asile, craignant les représailles des forces d’Assad. Les autorités israéliennes ont réagi en autorisant quelques commandants rebelles avec leurs familles proches à pénétrer en Israël dans la nuit du 22 juillet. D’autres ont été refoulés.

On ne sait toujours pas où se trouvent ces commandants et leurs proches. Selon les Syriens, des rumeurs affirment que certains se trouveraient en Israël, d’autres en Jordanie. Un ancien commandant a informé ses subordonnés qu’il était arrivé en Turquie.

Quant aux combattants de base, la plupart ont choisi de rester chez eux et de se rendre au régime plutôt que de fuir vers Idlib, la dernière enclave tenue par les forces rebelles. Certains ont été arrêtés, apparemment pour avoir collaboré avec Israël, tandis que d’autres ont rejoint des milices pro-régime, voire même l’armée syrienne pour échapper aux représailles du régime.

Elizabeth Tsurkov est journaliste et chargée de recherche au Forum for Regional Thinking [Forum pour une réflexion régionale, NdT], un think tank israélien.

Source : Foreign Policy, Elizabeth Tsurkov, 06-09-2018

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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