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Comment le Liban a fait de Macron un apprenti sorcier


Publié par Gilles Munier sur 8 Août 2021, 07:55am

Catégories : #Liban, #Macron

Un an après la visite spectaculaire du président français à Beyrouth, le bilan n’est pas glorieux. Si la faute en incombe avant tout à la partie libanaise, Paris aurait pu (beaucoup) mieux faire, au moins en rendant sa stratégie plus lisible.

Par Anthony Samrani (revue de presse : L’Orient-Le Jour – 6/8/21)*

Autant entrer tout de suite dans le vif du sujet : la responsabilité de l’échec de la mission française au pays du Cèdre incombe avant tout et surtout à la partie libanaise. Personne ne peut sauver un pays qui refuse de se sauver lui-même. Emmanuel Macron a le mérite d’avoir essayé, d’avoir mis la main à la poche, de ne pas avoir abandonné le Liban en proie à un fort isolement diplomatique. Et, jusqu’à preuve du contraire, personne n’a fait mieux ou n’a ne serait-ce que proposé une alternative plus efficace. Le Liban est si cassé qu’il est impossible de le réparer en quelques mois. Il était prétentieux, côté français, de penser pouvoir le faire, tout comme il était naïf, côté libanais, de croire qu’Emmanuel Macron – ou un autre – pouvait endosser dans ces circonstances le costume de l’homme providentiel. Dans les rangs des parties issues de la société civile, on a beaucoup reproché au locataire de l’Élysée d’avoir contribué à « relégitimer » la classe politique, en la plaçant au cœur de son initiative. Mais cette critique peut paraître injuste. Le pays était ingouvernable et ses dirigeants indéboulonnables bien avant que le chef de l’État français n’intervienne, et rien ne permet de penser que l’histoire aurait été différente s’il ne s’était pas invité dans ce bourbier. Le reproche semble témoigner d’une forme de frustration liée au propre sentiment d’impuissance des formations de l’opposition dont une partie attendait certainement beaucoup trop de Paris.

Reste malgré tout, un an après la première visite d’Emmanuel Macron (en tant que président) au Liban, un immense sentiment de gâchis. Et l’impression que la partie française a péché par orgueil, a fait preuve d’une certaine forme d’amateurisme et, surtout, a navigué à vue pendant des mois, rendant sa stratégie illisible et prêtant le flanc à toute sorte de théories plus ou moins farfelues.

Dès le départ, la relation entre Emmanuel Macron et le Liban a été construite sur un malentendu, entretenu par les propos contradictoires du président français. Ce dernier a organisé son voyage à Beyrouth dans des délais extrêmement courts en réaction à la double explosion du port, et manquait probablement de préparation. Dans les rues dévastées de Gemmayzé, il prononce, enivré par la foule, cette phrase qui lui coûtera cher au moment d’évaluer le bilan de son initiative : « Je vais leur proposer un nouveau pacte politique cet après-midi et je reviendrai pour le 1er septembre, et s’ils ne savent pas tenir leurs engagements, je prendrai mes responsabilités avec vous. » Le président a fait là une double faute. Un : il met le doigt sur la plaie, en pointant la nécessité d’un nouveau pacte politique, mais contredit ainsi les objectifs beaucoup plus pragmatiques de sa mission libanaise qui consiste à mettre le pays sur la voie des réformes le plus vite possible pour ralentir son effondrement. Deux : il laisse entendre qu’il pourra jouer les gendarmes et sanctionner les réfractaires sans en avoir à l’époque ni l’intention ni les moyens. C’est là le principal reproche que l’on peut faire à Emmanuel Macron : le décalage entre un discours grandiloquent qui promet de changer le monde – ou au moins le Liban –, et une politique beaucoup plus mesurée et plus en adéquation avec les moyens réels de la France au pays du Cèdre.

Deux autres options

Le président français a vendu une promesse qu’il n’était pas capable de tenir. Il a ensuite rectifié le tir, lors de sa seconde visite le 1er septembre – pour laquelle il était nettement mieux préparé –, mais il était déjà trop tard. Difficile de susciter pire sentiment en politique que celui de l’espoir déçu. Pouvait-il faire autrement ? Certainement. Avec de meilleurs résultats ? On peut en douter. On lui reproche d’avoir demandé à une classe politique qui a prouvé à maintes reprises son incapacité à mettre en œuvre les réformes nécessaires de le faire dans les plus brefs délais. On lui reproche d’avoir intégré le Hezbollah, la principale force contre-révolutionnaire, aux tractations censées préparer le changement. L’initiative française visait à obtenir des résultats concrets et rapides et non pas, au moins dans un premier temps, à soutenir la révolution. Elle a choisi de s’appuyer sur les forces politiques traditionnelles, qui bénéficient encore d’une assise populaire, bien que pour certaines largement réduites. Mais l’équation était dès le départ impossible : sans eux rien ne pouvait se passer, avec eux rien ne pouvait aboutir.

Emmanuel Macron aurait tout de même pu agir différemment. Deux autres options, au moins, s’offraient à lui. La première était d’aborder la situation avec plus de modestie et d’accepter de ne pas y jouer l’un des rôles principaux. Malgré toute son ambition dans la région, Vladimir Poutine agit par exemple avec beaucoup plus de discrétion sur la scène libanaise, pour un résultat toutefois tout aussi miséreux. Le président français n’aurait rien fait de plus, mais en évitant de prendre autant la lumière, il se serait au moins épargné une déconvenue qui renvoie la France à son statut de moyenne-grande puissance.

Mais Emmanuel Macron n’est pas homme à aimer les petits pas de l’ombre. Encore moins au Liban, considéré comme le dernier pré carré – est-ce vraiment le cas ? – français dans la région. « Il veut être l’homme de la relation franco-libanaise du XXIe siècle », nous confiait récemment un membre de l’équipe française. Le président a agi par intérêt (les siens et ceux de la France), mais surtout par conviction, celle qu’il ne fallait surtout pas abandonner le Liban, celle qu’il était capable de réussir là où tant d’autres ont échoué.

La seconde option consistait au contraire à se donner les moyens de ses ambitions. Emmanuel Macron a eu le verbe d’un Léviathan mais les moyens d’un fonctionnaire. Il n’a pas osé, par peur d’un changement trop brutal ou d’être accusé de néocolonialisme, mettre les deux pieds dans le plat libanais. Il aurait pu définir, dès sa première visite, un objectif à long terme et accepter de perdre la partie sur le temps court : soutenir les forces du changement (encore faut-il qu’elles se montrent à la hauteur de l’enjeu), sanctionner les responsables (en ayant conscience des limites d’un tel instrument), reconnaître un gouvernement de transition (avec tous les risques que cela comporte, notamment sur le plan sécuritaire). Une politique plus musclée n’était pas non plus une garantie de succès, mais aurait été plus en adéquation avec l’énergie dépensée par le président et ses équipes sur le dossier libanais. La critique est facile après coup, mais une meilleure lecture de la situation aurait peut-être permis de gagner du temps. Et aurait clarifié la stratégie française, clairement partagée entre une volonté d’obtenir des résultats rapides et d’éviter l’effondrement total du pays d’une part, et une envie de contribuer à la naissance d’un nouveau Liban d’une autre. « On n’enclenche pas des sanctions parce que des gens ne prennent pas leurs responsabilités politiques », avait affirmé le président français à l’occasion de l’anniversaire du centenaire du Grand Liban. Un peu moins d’un an plus tard, l’Union européenne a enfin adopté un cadre pour des sanctions adressées contre les dirigeants locaux. Dans celui-ci, l’UE considère comme passible de sanctions le fait « d’entraver ou de compromettre le processus politique démocratique en faisant obstacle de manière persistante à la formation d’un gouvernement, ou en entravant ou compromettant gravement la tenue d’élections ». Il était temps.

*Source : L’Orient-Le Jour

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