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Dans les « provinces iraniennes », la vie sans Soleimani


Publié par Gilles Munier sur 5 Juin 2020, 05:23am

Catégories : #Iran, #irak, #Liban, #Syrie

Le général Soleimani

Après l’élimination du principal artisan de la politique régionale de la République islamique, le Hezbollah a été amené à jouer un rôle plus important, notamment en Irak.

Par Soulayma Mardan Bey, avec Antoine Ajoury (revue de presse : L’Orient-Le Jour – 3/6/20)*

De lui, on sait bien peu de choses. Est-il né dans le village de Ghassaniyé, dans le sud du Liban, ou à Najaf, ville sainte irakienne ? Est-il né en 1945, en 1959 ou en 1961 ? Absent des médias, il n’a, en apparence, ni la verve hâbleuse ni le charisme triomphant. Mais depuis quelque temps, il a le vent en poupe. Au point que les États-Unis ont annoncé une prime pouvant atteindre 10 millions de dollars pour toute information sur ses activités, ses réseaux et ses associés. Il se prénomme, au gré des circonstances, Jaafar ou Mohammad. Son nom ? Kawtharani.

Depuis l’élimination dans un raid américain, le 3 janvier dernier, de Kassem Soleimani – ancien commandant en chef de l’unité al-Qods au sein des gardiens de la révolution iranienne (IRGC) – et de Abou Mahdi al-Mouhandis – ex-leader de facto d’al-Hachd al-Chaabi (PMF), Mohammad Kawtharani fait l’objet d’une attention toute particulière. Et pour cause. C’est à cet homme, plutôt chétif, que reviennent momentanément en Irak les fonctions qui incombaient autrefois à Soleimani, l’ex-numéro deux iranien. Cette promotion n’est pas le fruit du hasard. Appartenant à la première génération militante du Hezbollah, Mohammad Kawtharani est, depuis de nombreuses années, à la tête des affaires irakiennes au sein du parti. Trait d’union entre Beyrouth et Bagdad, détenteur de la double nationalité, il a tissé des liens très forts avec les chefs de gouvernement irakiens successifs. C’est lui qui est envoyé en 2018 à Bagdad comme médiateur pour rencontrer les dirigeants paramilitaires, les soutenir dans leurs efforts à former un nouveau gouvernement et empêcher la dissolution de l’alliance du Fateh, bras politique des factions pro-Téhéran. Lui encore qui, la même année, fait pression sur le gouvernement de Adel Abdel Mahdi pour que les ministres nommés soient au goût de l’Iran et de la Syrie. Aux yeux des contestataires irakiens, il est l’un des cerveaux de la répression contre le soulèvement populaire amorcé en octobre 2019. Pour autant, malgré son expérience, ce passage soudain de l’ombre à la lumière révèle l’état d’affolement dans lequel se trouve la République islamique face au vide laissé par son général le plus emblématique. Et la place qu’a pris le Hezbollah, au moins pour un temps, dans la stratégie iranienne post-Soleimani.

Pour la République islamique, l’élimination de son homme fort ne pouvait pas plus mal tomber. Sous pression de toutes parts, dans le collimateur du mouvement de contestation irakien, indirectement pointé du doigt par le soulèvement libanais, à bout de souffle en Syrie, Téhéran se doit de réagir vite quand survient la mort de son « homme providentiel ». Sa présence dans la région n’est pas qu’une affaire de sécurité. Son engagement est idéologique ; l’enjeu quasi existentiel. « L’axe de la résistance » en dépend. Le nouveau commandant en chef de la brigade al-Qods, Esmail Qaani, n’a pas encore l’étoffe de son prédécesseur, d’autant moins dans ce monde arabe qu’il connaît peu, dont il ne parle pas la langue et où il n’a pas encore bâti de solides relations. Certes, il ne manque pas d’atouts et a déjà fait ses preuves en tant que commandant adjoint. Il a ainsi établi d’importants réseaux en Afghanistan et au Pakistan, et n’a cessé de les développer par la suite. Mais c’est peu – trop peu – pour prétendre à la reprise du flambeau. Avec la disparition de Soleimani, l’Iran a perdu le deuxième homme le plus puissant du pays après le guide suprême Ali Khamenei, l’adversaire le plus habile et le plus coriace des États-Unis, celui qui a dirigé d’une main de fer les terrains syrien et irakien, et les a presque transformés en nouvelles « provinces iraniennes ». « Avant tout, Soleimani a insufflé un sentiment de confiance et de fidélité parmi les supplétifs de l’Iran », explique Afshon Ostovar, professeur assistant sur les affaires de sécurité nationale au sein de la Naval Postgraduate School. Artisan – quasiment architecte – de la consolidation de « l’axe de la résistance » qui doit relier Téhéran à la Méditerranée, celui que l’on surnommait le « fantôme » était un héros national aux funérailles duquel l’ayatollah Ali Khamenei n’a pu retenir ses larmes. Doté d’un esprit vif et d’un sens aigu de la stratégie, il conjuguait son don d’ubiquité à des prédispositions certaines pour la mise en scène.

Suite à son décès, une question se pose alors : qui pour reprendre les diverses fonctions qui lui étaient dévolues ? « L’assassinat de Soleimani a provoqué un séisme dans toute la structure hiérarchique iranienne », résume Mohanad Hage Ali, spécialiste du Hezbollah et chercheur au sein du Carnegie Middle East Center. Du jour au lendemain, Téhéran en est réduit à contempler, ahuri, sa zone d’influence vidée du symbole le plus évocateur de sa toute puissance. Mais face à cette nouvelle configuration, que faire sinon accepter et s’adapter. Aucune personne ne peut, à elle toute seule, se substituer au défunt. Soit. Mais plusieurs le pourraient-elles ? Esmail Qaani n’est peut-être pas en mesure d’assumer toutes les fonctions, mais il est appuyé par un comité regroupant des membres haut placés de la brigade dont l’expérience n’est plus à prouver. Il pourra, de surcroît, compter sur les transformations significatives que son prédécesseur a initiées au sein de l’unité d’élite. Parce qu’elles ont été inspirées par la conjoncture régionale plutôt que par la simple personnalité de l’homme, la majorité de ces métamorphoses lui survivront. Il en va ainsi du passage progressif d’un déploiement de groupes miliciens divisés selon leurs nationalités à une « armée chiite multinationale », dit Ali Alfoneh, spécialiste de l’Iran au sein du Arab Gulf States Institute in Washington (Agsiw). Le guide suprême lui-même va jusqu’à évoquer des « combattants sans frontières ». « Esmail Qaani n’établira certainement pas un niveau de confiance identique à celui de Soleimani sur le court terme. Mais plus que la confiance, les relations de l’Iran avec ses supplétifs sont bâties sur l’argent et le soutien. Tant que ceux-ci continuent d’affluer, les liens resteront solides », analyse Afshon Ostovar.

« On s’est concentré sur l’homme et on a oublié l’organisation »

Certes, la mort de Soleimani constitue une indéniable perte pour la République islamique, mais elle a parfois pu faire oublier que « supermani » – surnom dont l’avait affublé un satiriste libanais – faisait partie d’un système dont il était l’émanation, y compris concernant certaines pratiques qui lui ont été intrinsèquement associées. Que l’on pense à son style de commandement ou à sa manière constante de se mettre en scène au front. « Ce n’est pas quelque chose qui lui est spécifique. Cela correspond à une culture d’organisation qu’adoptent tous les commandants au sein des IRGC », souligne Abdolrasool Divsallar, chercheur au sein du Middle East Direction Program de la European University Institute et professeur adjoint à l’Université catholique du Sacré-Cœur, basée à Milan. La focalisation sur Soleimani a effacé la puissance d’une structure hybride, au fonctionnement flou, mais parfaitement maîtrisé. « On s’est concentré sur l’homme et on a oublié l’organisation. C’est pourquoi on dit aujourd’hui que les fonctions de Soleimani ont été réparties entre plusieurs officiers. En réalité, cela a toujours été le cas », estime Ali Alfoneh.

Le nouveau numéro deux au sein d’al-Qods, Mohammad Hossein-Zadeh Hejazi, pourrait à cet égard jouer un rôle de premier plan. Ancien commandant de la milice Basij au sein des IRGC – cette organisation paramilitaire tant vantée par Soleimani pour mieux dénigrer l’impuissance de l’armée syrienne –, il aurait, en 2014, déménagé au Liban pour servir en tant que commandant de la force de l’unité d’élite iranienne dans le pays. Il y aurait œuvré âprement au renforcement de la puissance militaire du Hezbollah, notamment à travers un ambitieux projet d’obtention de missiles de précision. En plus de son expertise régionale, l’homme peut se prévaloir d’une grande polyvalence et d’une certaine sociabilité. « Hejazi est d’un tempérament plutôt extraverti. Il est meilleur pour traiter avec les gens. Qaani est en revanche plutôt introverti », note Ali Alfoneh. Sa nomination témoigne d’une chose : avec ou sans Soleimani, la politique iranienne au Moyen-Orient reste la même. « L’assassinat de Soleimani n’a pas changé la politique étrangère régionale de l’Iran. Ses objectifs, ses aspirations et son comportement général vont se poursuivre avec la même vigueur », assure Afshon Ostovar.

Surtout, Téhéran peut compter sur son allié le plus exemplaire – presque un canon du genre pour les autres supplétifs – le Hezbollah. Bénéficiant de l’aura de son chef, Hassan Nasrallah, le visage de Mohammad Kawtharani devient celui de l’Iran en Irak. Le territoire est familier. Le mouvement libanais s’y est même investi économiquement. « Sa présence est considérable en Irak, à travers le grand nombre de sociétés et d’entreprises libanaises dans le pays », évoque Ihsan al-Shammari, directeur du Iraqi Center for Political Thought.

De Beyrouth à Qom

L’ancrage est de longue date, mais c’est désormais tout un changement d’échelle qui s’opère. Le Hezbollah troque son rôle d’appui à la stratégie iranienne pour un rôle pivot. Les premiers signes de cette évolution sont apparus dans le sillage des funérailles de Soleimani, à travers les propos de Naïm Kassem, secrétaire général adjoint du parti, selon lesquels cet assassinat conférerait de nouvelles responsabilités au Hezb dans la région. « Suite à cette déclaration, le Hezbollah est devenu plus impliqué dans le dossier irakien », indique Mohanad Hage Ali. Plusieurs réunions prennent place dans le tumulte qui caractérise l’après-3 janvier. À Beyrouth, les chefs et officiels haut placés des groupes pro-iraniens en Irak se réunissent le 9 janvier autour de Hassan Nasrallah. On retrouve parmi eux les représentants des factions armées Asaib Ahl al-Haq, Kataëb Hezbollah, Kataëb Jound al-Imam, Kataëb Sayyed al-Chouhada et Kataëb al-Imam Ali. « Il y a eu une réunion à Beyrouth, c’est vrai. Un grand nombre de responsables irakiens sont venus ici, certains ont rencontré Kawtharani et d’autres ont rencontré Nasrallah », confirme Mohammad Afif Naboulsi, porte-parole du parti. « Mais ceci n’a pas un lien direct avec l’assassinat de Soleimani », soutient-il, avec fermeté.

Tantôt impresario, tantôt prescripteur, le parti de Dieu se doit d’unir les milices pro-iraniennes. Ces dernières sont en proie à de nombreuses divisions que la mort de Abdel Mahdi al-Mouhandis n’a fait qu’exacerber. De Bagdad à Beyrouth, c’est une seule et unique ligne de conduite qu’il faut dégager : présenter un front chiite homogène pour pousser les troupes américaines à se retirer de toute la région. Dans cette histoire, Mohammad Kawtharani semble surtout faire office d’exécutant et de courroie de transmission. « Son rôle est politique et relationnel. Il n’a aucun rôle militaire », assure Hisham al-Hashimi, spécialiste des questions sécuritaires en Irak. De Soleimani, il n’a ni la carrure ni l’influence. Et la place du chef est déjà prise. « Hassan Nasrallah a le premier et le dernier mot », certifie Mohammad Afif Naboulsi. « Quand Moustafa al-Kadhimi (Premier ministre irakien) ou Moqtada Sadr (clerc chiite irakien) viennent à Beyrouth, c’est Nasrallah qui s’assoit avec eux. Quelqu’un comme Kawtharani traite plutôt des réunions courantes », ajoute Mohanad Hage Ali.

Les différentes rencontres post-Soleimani répondent aussi à un autre objectif : faire basculer une bonne fois pour toutes Moqtada Sadr, le trublion de la scène politique irakienne, du côté de Téhéran. Après leur réunion au Liban avec le numéro un du Hezbollah, les chefs miliciens irakiens se rendent le 13 janvier à Qom où ils s’entretiennent avec M. Sadr. Au lendemain de cette entrevue, le leader populiste appelle les Irakiens à se rassembler en nombre contre la présence américaine dans le pays. De par sa capacité à mobiliser les foules, Moqtada Sadr est souvent comparé à Hassan Nasrallah, bien qu’il n’en ait pas le talent d’orateur et malgré le fait que ses relations avec l’Iran héritent d’une histoire en dents de scie. Toutefois, l’homme relève, au vu des circonstances, d’un moindre mal aux yeux de Téhéran. Ce dernier peut compter sur son rendement autrement plus significatif que celui de leaders irakiens plus conventionnels, incapables de répondre efficacement aux défis qui se sont posés depuis le début de l’année, notamment concernant la nomination d’un nouveau Premier ministre.

« Nous serons là où nous le devons »

L’extension du Hezbollah par-delà les frontières libanaises pour embrasser de plain-pied les affaires iraniennes en Irak n’a rien de surprenant. Elle n’est, en somme, que l’apogée de sa montée en puissance dans la région, depuis son intervention active en Syrie auprès du régime Assad. « C’est le modèle le plus abouti que l’Iran peut à présent dupliquer. Je pense qu’il y aura désormais plus de liberté dans la gestion des opérations pour les acteurs locaux comme le Hezbollah », avance Abdolrasool Divsallar.

Lorsque dans un discours prononcé en 2013, Hassan Nasrallah reconnaissait officiellement l’engagement de ses hommes sur le front syrien, il haranguait la foule en se fendant d’un solennel « nous serons là où nous le devons ». Une phrase qui deviendra devise, s’affichant partout, en banderoles, sur les panneaux, voire en chanson. C’est d’ailleurs en Syrie que l’alliance libano-irakienne affidée à l’Iran a pris – jusque-là – le plus d’ampleur. « Outre la scène irakienne et le combat contre le groupe État islamique, il y a aussi la scène syrienne. Cette dernière est au cœur de la coopération entre le parti chiite libanais et les groupuscules chiites irakiens », résume Ihsan Shammari.

Des liens extrêmement solides unissent Téhéran à la faction libanaise. Pendant de nombreuses années, Kassem Soleimani a constitué le chaînon manquant entre le guide suprême et Hassan Nasrallah. Selon ses propres dires, il aurait, en 2006, passé la plupart des 34 jours de guerre au Liban, alors que les bombes israéliennes pleuvaient sur une partie du pays. Pour de nombreux Libanais, l’ex-homme fort iranien est une véritable icône de la « Résistance », au point qu’une statue géante lui a été dédiée, après sa mort, dans le village de Maroun el-Ras, dans le sud du pays. Hassan Nasrallah n’a eu de cesse de louer son tuteur iranien, évoquant « l’harmonie psychologique, spirituelle et intellectuelle » qui les soudait. « Le général Kassem Soleimani était un ami proche de Imad Moghniyé (responsable militaire du Hezbollah tué en 2008 à Damas, NDLR) qu’il tenait en haute estime. En revanche, il n’en semble pas être de même pour Hassan Nasrallah. Soleimani lui a reproché d’avoir provoqué la guerre de 2006 sans l’autorisation préalable de Téhéran », nuance toutefois Ali Alfoneh. Après Soleimani, le chef du Hezbollah est l’homme le plus populaire au sein du réseau régional iranien. Il y est perçu comme le fer de lance de la résistance à Israël ; celui qui, à l’orée du nouveau millénaire, a libéré le sud du Liban et, en 2006, donné du fil à retordre aux Israéliens. Il est le seul à pouvoir faire valoir une autorité quasi incontestable. « Il y a une sorte de raisonnement impérial chez les Iraniens, qui, parfois, se traduit par la désignation d’un des hommes dans la région qu’ils traitent vraiment comme l’un des leurs. Nasrallah fait partie de ceux-là », décrypte Mohanad Hage Ali. Mais si le Hezbollah est aujourd’hui l’une des cartes maîtresses, il ne peut pas à lui seul répondre aux velléités hégémoniques iraniennes, d’autant plus que le parti de Dieu doit aussi affronter ses propres défis en interne. « Le Hezbollah ne vise pas à remplacer Kassem Soleimani », insiste Mohammad Afif Naboulsi. En Irak, le Hezbollah jouit d’un prestige certain auprès des milices pro-Téhéran, mais cette relation n’est pas, à proprement parler, hiérarchique. « Il y a une différence entre le Hezbollah, perçu comme un ami fidèle qui les soutient activement, et les gardiens de la révolution, qui sont considérés comme les patrons », observe Hisham al-Hashimi. Contrairement à Soleimani qui avait réussi à tisser des liens profonds, complexes et en partie fondés sur la peur avec les deux principaux partis kurdes irakiens, le mouvement libanais n’a d’influence que sur les factions affidées à Téhéran. « Il faut nuancer le poids du Hezbollah en général. Sa sphère d’influence est limitée aux partis chiites pro-iraniens », analyse Ihsan al-Shammari.

Décentralisation

Plutôt que de combler l’absence d’un homme par une somme d’individualités aisément identifiables, Téhéran pourrait privilégier le retour aux sources, à la culture du secret qui a longtemps caractérisé le fonctionnement de la force al-Qods avant que ne s’en empare Kassem Soleimani. Sous l’égide de ce dernier, une unité d’élite au fonctionnement plutôt clandestin s’est muée en redoutable force de mobilisation populaire. Sans Soleimani, le caractère spectaculaire qui lui a été allié est amené à se dissiper. « Les Iraniens vont aller vers un style de commandement régional plus décentralisé. Ils n’auront pas une grosse tête comme Soleimani qui peut être facilement identifiée et éliminée », avance Abdolrasool Divsallar. Une méthode déjà largement éprouvée par le passé. Au cours du conflit meurtrier qui a opposé l’Iran à l’Irak entre 1980 et 1988, l’organisation paramilitaire des pasdaran avait acquis son style de leadership et une capacité à combattre dans des contextes asymétriques, en déléguant notamment la prise de décision à de petits groupes opérant de manière partiellement indépendante contre des forces beaucoup plus importantes.

Le renouement avec un style de commandement moins personnalisé ne manque pas davantage. La force al-Qods peut ainsi mener ses opérations de manière plus discrète, plus sûre et en plus grande harmonie avec les autres institutions, et notamment avec le ministère des Renseignements et de la Sécurité (MOIS). Soleimani avait en effet suscité de nombreuses critiques au sein de celui-ci. Des fuites de documents générées par des officiers du MOIS stationnés en Irak entre 2013 et 2015, en pleine guerre contre l’EI, en attestent. On y exprime des inquiétudes relatives aux tactiques brutales du commandant et de ses milices, et on y reproche à Soleimani de s’aliéner les communautés arabes sunnites, créant par là les conditions idéales pour justifier une nouvelle présence américaine. Ces accusations étaient restées lettres mortes.

Dans « l’empire iranien », les limites du règne de Soleimani ont été éclipsées par l’éclat du personnage aux yeux du guide suprême, conjuguées à son aura auprès d’une partie de ses sujets. Sa mort les met en évidence, inaugurant un nouveau chapitre, mais au cœur d’un même livre. Kassem Soleimani a su faire preuve d’une ardeur conquérante quasi impériale dans ses engagements régionaux, au point de se confondre avec la mission « civilisatrice » iranienne d’exportation de la révolution. De ce point de vue, son legs – lui-même héritier de la guerre Iran-Irak – lui survivra. Il s’agit pour la République islamique d’en adapter les contours à son absence, de réajuster la forme pour ne rien compromettre sur le fond. Avec la force al-Qods, c’est sa raison d’être qui est en jeu.

*Source : L’Orient-Le Jour

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