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Davutoglu devrait renoncer à la « solution militaire » en Syrie.


 

par Semih Idiz, Al-Monitor Turkey Pulse

12 mars 2013

Le ministre turc des affaires étrangères Ahmet Davuto?lu persiste à cravacher un cheval mort. Ayant échoué à convaincre Washington, lors de la récente visite de John Kerry en Turquie, de fournir des armes à l’opposition syrienne, il essaie maintenant d’amener l’Union Européenne (UE) à lever son embargo sur les armes en Syrie.

En séjour à Londres la semaine dernière pour une réunion internationale sur le Yémen, Davuto?lu a eu des discussions avec son homologue britannique, William Hague, pour essayer de le convaincre que l’opposition syrienne est sérieusement désavantagée parce que les armes nécessaires lui font défaut. Il n’avait pas ouvertement appelé l’UE à lever son embargo sur les armes, mais c’est bien là qu’il voulait en venir.

Interrogé par des journalistes pour savoir s’il voulait une levée de l’embargo, Davuto?lu a  indiqué de manière révélatrice : «Si un seul camp a les armes, à la fin, c’est le camp qui a les armes qui aura toutes les possibilités de vaincre l’autre camp. »

Davuto?lu a ajouté qu’il avait aussi soulevé récemment cette question avec le ministre allemand des affaires étrangères, Guido Westerwelle. Londres et Berlin avaient cependant indiqué être en faveur du maintien de l’embargo de l’UE. Hague, en particulier ,est préoccupé par les combattants islamistes en Syrie.

Des sources de l’UE à Ankara indiquent que pas moins de 500 membres du Jabhat al-Nosra, l’organisation combattante la plus efficace dans la lutte contre le régime Assad et dont l’objectif déclaré est d’instaurer une république islamique en Syrie, viennent d’Europe.

Le souci ne tient pas seulement à la victoire éventuelle en Syrie de cette organisation – qui est soutenue politiquement et en armement par Ankara. Les officiels de l’UE s’inquiètent aussi de ce que feront les membres Européens de cette organisation quand ils rentreront dans les pays d’où ils viennent. Davuto?lu et d’autres dirigeants Turcs maintiennent cependant que ces craintes européennes sont non seulement exagérées mais qu’elles jouent en faveur du président Al Assad. Questionné à ce sujet à Londres, Davuto?lu a répondu que ni la Libye, ni l’Egypte n’avaient adopté l’Islam radical en dépit des craintes relatives à une telle éventualité.

“Ils sont en guerre,” a-t-il dit des combattants de l’opposition syrienne. «Ils vont mourir. Il y toujours des slogans religieux dans la guerre.»

Il est cependant manifeste qu’il n’a pas vraiment réussi à convaincre ses partenaires européens de modifier leur position vis-à-vis d’organisations comme le Jabhat al-Nosra qui a déjà été classé comme organisation terroriste par les Etats Unis et qui, si on en juge par les informations, pourrait être bientôt classé dans la même catégorie par l’UE.

Compte tenu de l’échec de la Turquie sur cette question de l’armement, tout ce que Davuto?lu peut faire, c’est de se plaindre sur des bases de hautes valeurs morales que «La population souffre sur le terrain et la Turquie paye la facture. » mais la position d’Ankara soulève un certain nombre de questions essentielles.

Par exemple, il est vrai que «la Turquie paye la facture» pour les réfugiés Syriens de plus en plus nombreux qui arrivent à sa porte. Les responsables gouvernementaux donnent le chiffre de 600 millions de dollars pour l’instant et se plaignent de ne pas recevoir assez de soutien international sur ce problème.Quand les officiels turcs expriment ce genre de plainte, ils visent généralement les pays occidentaux. Fait étrange, on les entend rarement se plaindre d’un manque de soutien de la part des Etats pétroliers du Golfe, particulièrement le Qatar et l’Arabie Saoudite, pour qui l’éviction d’Al Assad est  devenu un objectif stratégique.

Dans le même temps, Ankara continue à se montrer timoré devant l’idée d’un règlement politique du conflit syrien dans l’hypothèse où Al Assad serait d’une manière ou d’une autre présent à la table de négociations, alors même qu’il n’est pas assis à cette table. C’est aussi ce que montre le lobbying exercé par Davuto?lu pour armer l’opposition.

Il ne semble cependant pas trop inquiet de risquer d’attiser ce qui est déjà une guerre par procuration dans la région, en livrant à l’opposition des armes lourdes pour combattre le régime.

Comme par hasard, Davuto?lu met de côté le fait que si l’opposition était armée comme il le souhaite, la Russie et l’Iran ,qui continuent à soutenir le régime Al Assad pour des visées stratégiques,  feront tout leur possible pour riposter en renforçant leur soutien militaire au régime.

Comme le premier ministre Recep Tayyip Erdogan, Davuto?lu se réfère constamment au sort des Syriens qui souffrent sous Al Assad. Il semble ne pas comprendre que livrer des armes à l’opposition à ce stade est la formule la plus sûre pour prolonger le conflit et accroître les souffrances des civils.

Beaucoup en Turquie et dans la région diront aujourd’hui qu’il sait en réalité tout ça, mais une victoire de l’opposition sunnite en Syrie est devenue un objectif stratégique si important pour le gouvernement Erdogan qu’Ankara est même prêt à envisager une guerre par procuration, avec plus de souffrances  pour atteindre son but.

Quoi qu’il en soit, ce qui est certain à ce stade, c’est que la politique  d’Ankara a eu pour résultat l’émergence d’un axe qui ne regarde plus d’un œil favorable la politique de la Turquie dans la région. La Turquie a en fait augmenté le nombre de ses ennemis et détracteurs au Moyen-Orient depuis le commencement du « printemps Arabe », ce qui contredit la vision de Davuto?lu d’une Turquie contribuant à la paix et à la stabilité dans la région.

Le problème pour Davuto?lu est que sa représentation intellectuelle du monde – il est professeur de relations internationales – est imprégnée d’une grande vision et de grandes perspectives pour la Turquie qui se sont avérées non seulement trop ambitieuses, mais aussi simplistes -eut égard aux situations réelles qui ont émergé sur le terrain.

Il semble par exemple ne pas comprendre, ou ne pas vouloir comprendre, qu’il n’y a pas d’autre choix à ce stade que d’aller vers un règlement politique en Syrie si ce qui est recherché est de mettre un terme au plus vite à l’effusion de sang et d’éviter que la crise alimente les divisions sectaires qui tendent à se creuser dans la région.

Kadri Gursel a aussi montré dans des articles perspicaces pour Al Monitor que la Turquie n’est pas à l’abri non plus des retombées négatives des divisions sectaires qui ont résulté de la crise syrienne, possédant elle-même ses propres lignes de faille ethnique.

En attendant la Turquie a annoncé cette semaine qu’elle avait appréhendé les auteurs de l’attentat à la voiture piégée, le mois dernier ,au point de passage frontalier avec la Syrie de Cilvegozu, qui  avait tué au moins 14 personnes, et blessé de nombreuses autres. Bulent Arinc, porte-parole du gouvernement, a déclaré mardi à la presse que les forces de sécurité turques avaient « effectué une opération digne du cinéma » pour arrêter quatre Syriens et un turc soupçonnés d’avoir organisé cet attentat.

Les officiels turcs disent que les auteurs – qui ont été appréhendés au cours d’une opération transfrontalière sur le sol syrien – étaient liés à des agents des services de renseignements syriens. Vrai ou faux, il reste à voir si Ankara se servira de cet incident contre le régime Al Assad dans une tentative aussi d’influencer la communauté internationale pour qu’elle arme l’opposition.

Le fait demeure cependant que les arguments de la Turquie sur la Syrie trouve peu d’écho à ce stade. Dans sa dernière analyse hebdomadaire intitulée «Les lignes de faille irakiennes et turques,» Al Monitor l’a bien résumé dans son propos de conclusion : «Les signes d’une tendance en faveur d’une solution politique méritent l’attention et la priorité, car la poursuite d’une solution militaire signifie seulement plus de tragédies et de destructions pour la Syrie et la région.»

Le plus tôt Erdogan et Davuto?lu admettront ce fait évident et cesseront de ramer à contre-courant, le mieux ce sera pour la Turquie, pour le peuple syrien et pour la région dans son ensemble.

Semih Idiz est un collaborateur d’Al-Monitor’s Turkey Pulse. Il couvre en tant que journaliste depuis 30 ans les affaires diplomatiques et de politique étrangère pour les grands journaux turcs. Ses articles d’opinion peuvent être lus dans la version en langue anglaise de Hurriyet Daily News. On peut aussi le lire dans Taraf. Ses articles ont été publiés dans le Financial Times, le Times, Mediterranean Quarterly et Foreign Policy magazine et il intervient souvent sur BBC World, VOA, NPR, Deutche Welle, divers médias israéliens el Al Jazeera.

 

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