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En Irak, les Yézidis, appelés à tort « adorateurs du Diable », sont menacés de génocide


En Irak, les Yézidis, appelés à tort « adorateurs du Diable », sont menacés de génocide

Publié par Gilles Munier
5 Août 2014,

Par Gilles Munier

Les djihadistes de l’Etat Islamique (EI) se sont emparés de la ville de Sinjar – entre Mossoul et la frontière syrienne – et de villages proches du barrage Saddam (1), au nord-est de la région de Ninive. Les peshmerga qui en assuraient la protection, sans cacher qu’ils envisageaient de les annexer dans la Région autonome du Kurdistan, s’apprêteraient à contre-attaquer. En attendant, la population a fui vers les montagnes kurdes ou est prise au piège entre les lignes des belligérants. On compte des centaines de civils tués et de blessés, voire plus. Et, ce n’est qu’un début.

La principale particularité de cette partie de l’Irak – outre son caractère éminemment stratégique – c’est d’être majoritairement peuplée de Yézidis, adeptes d’une des plus vieilles religions au monde, mais qui ne font pas partie des gens du Livre – chrétiens, juifs et éventuellement mandéens et zoroastriens – sont donc à convertir expressément à la religion musulmane ou être exterminés. Pour eux, considérés à tort comme des « adorateurs du Diable », pas de statut de dhimmi, moyennant le versement de la djzîa, impôt réservé aux non-musulmans – rétabli par les djihadistes de Daash en Irak et en Syrie – assurant leur protection. L’actuel calife Ibrahim, dit Abou Bakr al-Baghdadi, chef de l’Etat Islamique est, lui, un adepte des méthodes expéditives, ce qui ne présage rien de bon les concernant.

Je me suis rendu en pays yézidi à plusieurs reprises avant l’invasion américaine de 2003, et même vécu parmi eux : je peux témoigner que ce qui leur est reproché est de la pure diffamation.

Qu’est-ce que le Yézidisme (2) ?

La religion yézidie serait une survivance du mazdéisme originel dont les adeptes refusaient la réforme entreprise par Zoroastre. Le yézidisme serait donc une branche des « majous » reconnus comme « peuple de l’Ecriture » par le calife Omar. De ce fait, il devrait jouir de la protection réservée aux religions citées dans le Coran.

Le mot Yézidi dériverait du persan Yezd qui veut dire dieu. Les lettres YZD en écriture cunéiforme, trouvées sur une tablette mésopotamienne, confirment l’existence ancienne de leur croyance.

L’accusation d’être des « adorateurs du Diable », portée contre eux par les musulmans et les chrétiens d’Orient qui cherchent toujours à les convertir ou à s’emparer de leurs terres, est à l’origine des persécutions et des massacres dont ils sont victimes depuis des siècles, notamment sous l’Empire Ottoman. Les Yézidis se considèrent comme les « vrais Kurdes », faisant remarquer que ceux d’aujourd’hui sont issus pour une part de Yézidis convertis à l’islam et de Mèdes ayant envahi la région dans les temps anciens.

Au plan religieux, les Yézidis se présentent comme descendants directs d’Adam. Le premier homme, disent-ils, a mélangé son sperme à de l’argile pour leur donner naissance. Ils croient en un Dieu unique qui a pardonné au bout de 7000 ans à Iblis – le « Diable », dans le Coran – son refus de se prosterner devant Adam et l’aurait alors réintégré à la place qui était la sienne à la tête des Djinns, les Anges.

Le Yézidisme ancien a évolué sous l’influence des enseignements du cheikh Adi Ibn Musafir Al-Dimashqi, un élève du grand Cheikh soufi Abdelkader Al-Guilani (11/12ème siècle).

Cheikh Adi qui descendait, dit-on, du calife omeyyade Yazid – exécré par les chiites pour avoir fait tuer Hussein, petit-fils du Prophète – est enterré dans la vallée de Lalesh au dans le Région autonome du Kurdistan irakien, à une trentaine de kilomètres au nord de Mossoul. Son tombeau est devenu le principal lieu-saint yézidi.

Les Yézidis sont divisés en castes et ne font pas de prosélytisme. La polygamie est autorisée mais peu pratiquée. Ils ne mangent ni porc ni gazelle, mais peuvent boire de l’alcool. Ils reconnaissent Muhammad comme Prophète et Jésus comme Ange. Ils ont deux livres sacrés : le Kitab al-Jalweh – le Livre de la Révélation – dont l’auteur serait le soufi Hassan al Basri, et le Mushaf Resh – le Livre Noir – qui raconte la création du monde. Ils prient matin et soir en direction du soleil, croient à la métempsychose, à la transmigration des âmes, et immolent un taureau – sans doute une résurgence du culte de Mithra – lors de leur principale fête religieuse.

Appel à l’aide du prince Tahseen, chef spirituel des Yézidis

Le sort des chrétiens d’Orient – moins de 300 000 en Irak – préoccupe plus ou moins l’opinion publique occidentale, celui des Turkmènes – 3 millions – rencontre une certaine audience en Turquie et en Iran (quand ils sont chiites), mais celui des Yézidis – environ 600 000 et véritablement en danger de mort – n’intéresse pas grand monde. Ils n’ont aucun pays sur lequel s’appuyer, aucun groupe de pression pour défendre leur cause et leur existence.

Le 3 août dernier, le prince Tahseen Saïd – chef spirituel des Yézidis en Irak et dans le monde – a lancé un appel aux dirigeants irakiens, arabes, des Etats-Unis et de l’Union européenne, pour qu’ils assument leurs responsabilités humanitaires à l’égard de son peuple, actuellement massacré et persécuté à Sinjar et au nord-est de la région de Ninive (3). Sera-t-il entendu ? Ce serait un miracle…

Photo: Le paon (Malek Taous), symbole sacré des Yézidis

(1) Guerre et l’eau en Irak : La menace d’un nouveau déluge

(2) Large extrait de Les Yézidis dans la tourmente, (AFI-Flash, bulletin des Amitiés franco-irakiennes – 25/9/07) et du « Guide de l’Irak », par Gilles Munier (Jean Picollec Editeur, 2000)

(3) Leader of Iraq’s Yazidis Issues Distress Call, Appeals for Help Against ISIS

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