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En Irak, rivalités intra-sunnites dans l’arène chiite


Publié par Gilles Munier sur 31 Juillet 2021, 18:22pm

Catégories : #Irak, #Iran, #Etats-Unis

Khamis el-Khanjar

Alors que le scrutin – compromis – d’octobre approche, les dissensions au sein du leadership sunnite se font de plus en plus vives.

Par Soulayma Mardam Bey (revue de presse : L’Orient-Le Jour – 31/7/21)*

La conversation WhatsApp s’est propagée comme une traînée de poudre. Vendredi dernier, un face-à-face écrit a opposé deux figures proéminentes issues de la communauté sunnite en Irak : Mohammad el-Halboussi, président du Parlement, et Khamis el-Khanjar, à la tête du parti al-Machrou’ al-Arabi et de l’alliance parlementaire Azem.

« J’ai essayé de te croire plus d’une fois et j’ai ignoré les aboiements de tes chiens et les méfaits que tu as commis contre les nôtres, dans l’espoir que tu changerais de cap », a lancé le premier au second, qui lui a rétorqué : « Comme nous n’avons pas le même poids, je n’utiliserai pas les mêmes mots que toi, mais je te promets que je resterai un défenseur des droits de ma communauté, cette communauté que tu as déçue de peur de compromettre ta position. »

Le ton est explicitement hostile ; les termes franchement injurieux. En filigrane, ils reflètent moins les divisions politiques que les appétits personnels qui minent le leadership sunnite alors que les régions libérées du joug mortifère de l’État islamique croupissent toujours sous le poids de la marginalisation et des manœuvres miliciennes des factions pro-Téhéran. Si les forces sunnites principales n’avaient pas hésité à former l’alliance de l’axe national après les élections de 2018 afin de faire valoir une position plus solide dans la formation du gouvernement, cette volonté affichée de parler d’une même voix s’est vite effritée du fait des conflits opposant ses représentants initiaux.

La dernière escarmouche intervient dans un contexte particulier, marqué par l’annonce du retour des premières familles à Jurf al-Sakher, dans la province de Babylone. Dans cette petite localité à majorité sunnite située sur les rives de l’Euphrate, près de 120 000 résidents ont été contraints à l’exil au gré de sa prise par l’EI en 2014 puis de la guerre menée contre le groupe jihadiste par les forces de sécurité et la coalition paramilitaire du Hachd al-Chaabi (PMF), largement liée à Téhéran. Une ville symbolique, interdite d’entrée après sa délivrance de l’emprise de Daech et aujourd’hui contrôlée par les milices chiites.

Or, selon la presse locale, ces premiers retours ont été permis grâce à l’entremise de Khamis el-Khanjar auprès du chef de la diplomatie iranienne sortant, Mohammad Javad Zarif, lors d’une visite récente de ce dernier à Bagdad. Pour les partisans de Khanjar, il s’agit d’une victoire pour la communauté sunnite, la première étape d’un parcours qui, à terme, devrait autoriser tous les habitants à retrouver leur terre après un examen de sécurité. Tous, à l’exception des familles de combattants de l’État islamique. Pour les partisans de Halboussi en revanche, le blanc-seing accordé par Téhéran à Khamis el-Khanjar ressemble à une tentative de ce dernier pour galvaniser l’appui dont il pourrait bénéficier en vue des élections prévues en octobre.

Certains vont même plus loin et insinuent qu’un deal aurait été tissé avec les milices chiites qui règnent sur le territoire pour permettre le retour d’une partie de la population en échange d’un abandon de la majorité des zones de la localité.

D’un rapprochement à l’autre

Originaire de Falloujah, dans la province d’al-Anbar, Khamis el-Khanjar a longtemps œuvré dans les coulisses de la scène sunnite irakienne, sponsorisant politiciens et combattants avant d’émerger comme une figure politique de premier plan. Ce magnat des affaires est soupçonné d’avoir soutenu financièrement les sit-in d’al-Anbar contre le gouvernement de Bagdad en 2012-2013 avant de devenir en 2018 un membre de l’alliance parlementaire Binaa soutenue par l’Iran. De son côté, Mohammad el-Halboussi, natif de la même province, est – comme son adversaire – l’un des hommes sunnites les plus puissants du pays. Mais, d’après diverses analyses, il tire moins sa force de sa base populaire que de sa proximité avec le Fateh, bras politique des PMF. Une alliance dont il tente depuis quelque temps de se détacher pour se rapprocher de l’homme fort irakien, le clerc chiite populaire et populiste Moqtada Sadr, dont les relations avec la République islamique sont en dents de scie. Les raisons qui opposent ces forces depuis de longs mois sont multiples, nourries par des ambitions territoriales dont témoigne la concurrence qu’elles se sont livrées par le passé autour de la nomination des gouverneurs de provinces.

L’animosité entre Mohammad el-Halboussi et Khamis el-Khanjar est à l’image des dissensions politiques intracommunautaires en Irak. Au sein du système confessionnel, la communauté chiite domine. Et au sein de celle-ci, l’alliance du Fateh – bras politique de la coalition paramilitaire du Hachd al-Chaabi – est à couteaux tirés avec le Mouvement sadriste. Des lignes de fractures autour desquelles se greffent les composantes kurdes et sunnites formant l’édifice politique. Jadis pourfendeur des alliés de la République islamique en Irak, et plus particulièrement de Nouri el-Maliki dont il blâmait le sectarisme anti-sunnite en 2012, Khamis el-Khanjar se range derrière eux après la défaite de l’EI – à laquelle les PMF ont grandement contribué – pressé par Kassem Soleimani, ex-commandant en chef de l’unité d’élite al-Qods au sein des gardiens de la révolution éliminé par les États-Unis en janvier 2020. Le tout, sur fond de tensions régionales et internationales. Alors que Mohammad el-Halboussi est perçu par Téhéran comme étant proche de Washington et de Riyad, Khamis el-Khanjar, détenteur des nationalités qatarie, turque et jordanienne, et aujourd’hui sous le coup de sanctions américaines, leur a tourné le dos dans le sillage de la crise diplomatique de 2017.

Cette inimitié intracommunautaire survient dans un contexte sécuritaire délétère. À l’arbitraire qu’imposent les milices chiites en Irak, s’ajoute la résurgence de l’EI qui s’est dernièrement manifestée par l’attentat sanglant commis dans le quartier populaire de Sadr City à Bagdad le 19 juillet et tuant près de 30 personnes. À peine 24 heures après l’attaque, les slogans sectaires ont fleuri sur les réseaux sociaux, ravivant le discours autour d’une collaboration sunnite avec le groupe jihadiste. Particulièrement en vogue, les hashtag #Tarmiyah_nous_fait_sauter – du nom d’une ville à majorité sunnite située à environ 50 kilomètres au nord de la capitale irakienne – ou encore #L’EI_est-sunnite. L’agence de presse Rudaw rapporte également qu’un tweet d’un journaliste proche des PMF datant de juillet 2020 a refait surface, dans lequel il expose sans détour qu’il n’y a « de solution au dilemme chronique du terrorisme à Tarmiyah qu’en reproduisant l’expérience de Jurf al-Sakher et en la transformant en une “zone dépeuplée” ».

Dans ces circonstances, la discorde au sein du leadership sunnite semble plus que jamais éloignée des défis auxquels sa base sociale est confrontée. Et le regain des discours sectaires en dissonance avec la revendication phare de l’intifada d’octobre : la fin du système confessionnel pour qu’enfin les Irakiens puissent avoir « une patrie ».

*Source : L’Orient-Le Jour

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