États-Unis : Économie et loi martiale – La Sécurité intérieure se prépare-t-elle pour le prochain effondrement de Wall Street?
octobre 27, 2013
Des reportages indiquent que le département de la Sécurité intérieure (Department of Homeland Security, DHS) procède à une militarisation clandestine massive. Un article de l’Associated Press de février confirme que le DHS a une commande en cours pour 1,6 milliards de munitions. Selon une lettre d’opinion du Forbes , cette quantité est suffisante pour soutenir vingt ans de guerre d’une ampleur comparable à la guerre d’Irak. Le DHS a également fait l’acquisition des chars d’assaut lourdement armés, que l’on a vus errant dans les rues. De toute évidence, quelqu’un au sein du gouvernement s’attend à d’importants troubles civils. Il faut se demander pourquoi.
Des déclarations de l’ancien premier ministre britannique Gordon Brown révélées récemment et datant du plus fort de la crise bancaire en octobre 2008 jettent un certain éclairage cette question. Selon un article de BBC News du 21 septembre 2013 basé sur Power Trip, une autobiographie explosive du doreur d’image Damian McBride, ce dernier déclare que le premier ministre craignait que la loi et l’ordre s’écroulent pendant la crise financière. McBride cite Brown :
Si les banques ferment leurs portes, que les distributrices de billets ne fonctionnent pas, et que les gens vont au Tesco [une chaîne d’épicerie] et que leurs cartes ne sont pas acceptées, tout va exploser.
Si les gens ne peuvent pas acheter de nourriture, d’essence ou des médicaments pour leurs enfants, ils vont tout simplement se mettre à casser les fenêtres et se servir.
Et dès qu’ils verront ça à la télé, ce sera la fin, parce que tout le monde pensera que c’est acceptable, que c’est ce que nous devons tous à faire. Ce sera l’anarchie. Voilà ce qui pourrait arriver demain.
Comment faire face à cette menace? Brown a déclaré: « Nous devrons réfléchir : mettons-nous des couvre-feux? l’armée dans les rues? comment rétablir l’ordre? »
Dans son livre Power Trip, McBride écrit : « C’était extraordinaire de voir Gordon totalement sous l’emprise du danger représenté par ce qu’il s’apprêtait à faire, mais tout aussi convaincu que des mesures décisives devaient être prises immédiatement. » Il a comparé la menace à la crise des missiles Cuba.
La peur de cette menace a été réitérée en septembre 2008 par le secrétaire au Trésor étasunien, Hank Paulson, qui aurait averti que le gouvernement étasunien pourrait être obligé de recourir à la loi martiale si Wall Street n’était pas renfloué à la suite de l’effondrement du crédit.
Dans les deux pays, la loi martiale a été évitée lorsque leurs législatures ont succombé à la pression et renfloué les banques. Toutefois, de nombreux experts disent qu’un autre effondrement est imminent, et que cette fois-ci, les gouvernements ne seront peut-être pas si enclins à intervenir.
La prochaine fois SERA différente
La crise de 2008 a été déclenchée par une ruée, non pas dans le système bancaire classique, mais dans le système bancaire « parallèle », un groupe d’intermédiaires financiers non bancaires offrant des services semblables à ceux des banques commerciales traditionnelles, mais non réglementés. Ils comprennent les fonds spéculatifs et ceux négociés en bourse, les fonds du marché monétaire, des titres de créance et de capital-investissement, les courtiers en valeurs mobilières, la titrisation et les sociétés de financement. Les banques d’investissement et les banques commerciales peuvent également faire une bonne partie de leurs affaires dans l’ombre de ce système non réglementé.
Depuis 2008, le casino financier parallèle n’a fait que prendre de l’ampleur et il se peut que lors du prochain effondrement à la Lehman Brothers, le renflouement du gouvernement ne soit pas disponible. Selon les remarques du président Obama sur la loi Dodd-Frank le 15 juillet 2010, « en raison de cette réforme […] il n’y aura pas plus de renflouements financés par les contribuables, point ».
Les gouvernements européens évitent également les futurs renflouements. Le Conseil de stabilité financière (FSB) en Suisse a donc exigé des banques d’importance systémique de concevoir des « testaments biologiques » énonçant ce qu’elles feront en cas d’insolvabilité. Le modèle établi par le FSB les oblige à « recapitaliser » leurs créanciers. Il s’avère que la plus grande catégorie de créanciers des banques sont les déposants. (Pour un exposé plus complet à ce sujet, voir mon article précédent ici.)
Si les déposants ne peuvent pas accéder à leurs comptes bancaires pour obtenir de l’argent afin de nourrir leurs enfants, ils peuvent se mettre à briser des vitrines et à se servir. Pire, ils pourraient comploter pour renverser le gouvernement contrôlé par les financiers. Regardez ce qui se passe en Grèce, où la désillusion croissante face à la capacité du gouvernement de sauver les citoyens de la pire dépression depuis 1929, a déclenché des émeutes et des menaces de renversement violent.
La crainte que de tels événements se produisent explique peut-être l’espionnage généralisé des citoyens étasuniens autorisé par le gouvernement, l’utilisation de drones sur le territoire et l’élimination de l’application régulière de la loi et du « posse comitatus » (la loi fédérale interdisant à l’armée de faire respecter « la loi et l’ordre » sur des propriétés non fédérales). Les protections constitutionnelles sont balancées par la fenêtre en faveur de la protection de l’élite au pouvoir.
La crise imminente du plafond de la dette
La prochaine crise à l’ordre du jour semble être prévue pour le 17 octobre, soit la date limite pour arriver à un accord sur un budget fédéral ou risquer des défauts de paiement sur les prêts gouvernementaux. Il s’agit peut être seulement d’une coïncidence, mais deux exercices à grande échelle sont prévus le même jour, le « Great ShakeOut Earthquake Drill » (Grand séisme) et le « Quantum Dawn 2 Cyber Attack Bank Drill » (L’aube quantique 2 Cyberattaque bancaire) Selon un article de Bloomberg sur l’exercice bancaire, on se prépare contre des attaques de pirates informatiques, d’espions étatiques et du crime organisé (fraude financière). Une personne interviewée a déclaré : « Votre compte bancaire en ligne pourrait être en panne […], vousi pourriez être incapables de vous connecter. » Cela ressemble à une répétition générale pour la Grande recapitalisation étasunienne.
Bien que tout cela soit de mauvais augure, il y a un bon côté. On peut considérer les recapitalisations et la loi martiale comme les derniers coups désespérés d’un dinosaure. Le plan d’exploitation financière responsable des pertes d’emplois et de maisons de millions de personnes tire à sa fin. Dans l’état actuel des choses, la crise constitue une opportunité pour les solutions plus durables en attente dans les coulisses.
D’autres pays confrontés à un effondrement de leur monnaie empruntée, fondée sur la dette, ont survécu et prospéré en émettant leur propre monnaie. Lorsque la monnaie rattachée au dollar s’est effondrée en Argentine en 2001, le gouvernement national a recommencé à émettre ses propres pesos, les gouvernements municipaux ont payé avec des « obligations annulant la dette » qui circulaient comme monnaie, et les quartiers transigeaient avec des monnaies communautaires. Après l’effondrement de la monnaie allemande dans les années 1920, le gouvernement a remis l’économie sur pied dans les années 1930 en émettant des bons MEFO qui circulaient comme monnaie. Quand l’Angleterre a manqué d’or en 1914, le gouvernement a émis des « livres Bradbury » semblables aux greenbacks émis par Abraham Lincoln pendant la guerre civile étasunienne.
Aujourd’hui, notre gouvernement pourrait éviter la crise du plafond de la dette en faisant quelque chose de semblable : il pourrait tout simplement monétiser quelques pièces d’un billion de dollar et les déposer dans un compte. Le gouvernement pourrait mettre cette alternative en œuvre immédiatement, sans passer par le Congrès ou changer la loi, comme indiqué dans mon précédent article ici. Elle n’aurait pas besoin d’être inflationniste, puisque le Congrès pourrait uniquement dépenser ce qu’il a adopté dans son budget. Et si le Congrès augmentait son budget pour les infrastructures et la création d’emplois, cela serait bon pour l’économie en réalité, car la thésaurisation et le remboursement de prêts ont considérablement diminué la masse monétaire en circulation.
Le commerce d’égal à égal et les banques publiques
Au niveau local, nous avons besoin de mettre en place un autre système qui offre une sécurité pour les déposants, finance les petites et moyennes entreprises, et répond aux besoins de la communauté.
L’économie sociale a déjà fait beaucoup de progrès sur ce front. Dans un article publié le 27 septembre, « Peer-to-Peer Economy Thrives as Activists Vacate the System », (L’économie sociale prospère alors que les activistes quittent le système), Eric Blair rapporte que le mouvement Occupons Wall Street est engagé dans une révolution pacifique dans lequel les gens abandonnent le système établi en faveur d’une « économie de partage ». Les gens font des échanges sans taxes, réglementation ou licence, et, dans certains cas, sans monnaie émise par le gouvernement.
Le commerce d’égal à égal se fait en grande partie sur Internet, où ce sont les commentaires des clients plutôt que la réglementation qui préservent l’honnêteté des vendeurs. Ce commerce commencé avec eBay et Craigslist et a connu une croissance exponentielle depuis. Il y a aussi le Bitcoin, une monnaie privée loin des regards indiscrets des régulateurs. Le logiciel est conçu pour échapper à l’espionnage de la NSA. Les prêts bancaires sont boudés en faveur du financement collectif. Les coopératives alimentaires locales constituent également une façon de se soustraire au système alliant les entreprises et les gouvernements.
Le commerce d’égal à égal fonctionne pour les échanges locaux, mais nous avons aussi besoin d’un moyen de protéger nos deniers publics et privés. Nous avons besoin de dollars pour payer au moins une partie de nos factures, et les entreprises en ont besoin pour acquérir des matières premières. Nous avons également besoin d’un moyen de protéger les revenus de l’État, déposés et investis à l’heure actuelle dans des banques de Wall Street grandement exposées aux produits dérivés.
Afin de répondre à ces besoins, nous pouvons mettre en place des banques publiques calquées sur le modèle de la Banque du Dakota du Nord(BND), notre seule banque dépositaire d’État. La BND est mandatée par la loi pour recevoir tous les dépôts de l’État et servir l’intérêt public. Idéalement, chaque État aurait une de ces « mini-Feds ». Les comtés et les villes pourraient en avoir eux aussi. Pour plus d’informations, voir http://PublicBankingInstitute.org .
Depuis des décennies on rapporte que des préparatifs sont en cours pour instaurer la loi martiale et cela ne s’est toujours pas produit. Espérons que nous pourrons éviter ce danger en nous dirigeant vers un système plus sain et plus durable rendant inutile l’action militaire contre les citoyens étasuniens.
Ellen Brown
Article original:
Martial Law and the Economy: Is Homeland Security Preparing for the Next Wall Street Collapse?, 7 octobre 2013
Traduction: Julie Lévesque pour Mondialisation.ca
Ellen Brown est avocate, présidente de l’Institut bancaire public, auteure de douze livres, dont le best-seller Web of Debt. Dans The Public Bank Solution,, son dernier livre, elle explore des modèles bancaires publics prospères dans le monde au cours de l’histoire. Elle a publié plus de 200 articles sur son blog EllenBrown.com.