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Interview à la revue Golias : La France, vis à vis de la Syrie, un rare cas de psychiatrie exacerbé


La France, en phase d’essoufflement, risque un phénomène d’hystérésis
L’imposture des grandes démocraties occidentales
L’imposture de l’idée même des révolutions arabes
Sous produit de la Mondialisation, le jihadisme planétaire a généré un Islam anthropophage

Golias – Pourquoi ce livre ?

René Naba : L’emballement pour l’Ukraine en 2022 a été à la mesure de la détestation de la France pour la Syrie en 2011 et surtout du mutisme assourdissant de la sphère occidentale à l’égard du Yémen, le plus pauvre pays arabe depuis 2015. Ce fait a induit en moi une réflexion profonde sur la nature des ressorts psychologiques de la société française face aux événements majeures de l’Histoire contemporaine.

Mieux, si l’Occident s’est mobilisé pour livrer des armes à l’Ukraine agressée, il s’était mobilisé, en sens inverse, via son alliance avec la Turquie et le Qatar, pour expédier des milliers de terroristes islamistes en Syrie, agressé, lui, par une coalition islamo-atlantiste.

Pis, au Yémen, l’Otan a envoyé des armes –non au Yémen agressé–, mais aux pétromonarchies, ses agresseurs en une belle illustration de la distorsion mentale et morale des «grandes démocraties occidentales». Pour mémoire, l’Occident, et plus précisément, la France et les États-Unis se sont impliqués directement dans ce massacre qui a fait jusqu’à présent plus de 250.000 victimes civiles yéménites. Selon l’enquête du média indépendant Disclose, et ses révélations sur les ventes d’armes, la France a ainsi fourni plus de 132 canons d’artillerie Caesar et 70 chars Leclerc ultra modernes qui ont été dirigés vers la frontière yéménite, dès leur réception. De surcroît deux frégates françaises participent au blocus naval qui affame plusieurs millions de Yéménites. Il est vrai que l’Arabie saoudite et les Émirats Arabes Unis relèvent de «l’Islam des lumières», théorisé par le philosophe du botulisme Bernard Henry Lévy et par extension appartiennent au «camp du bien», normalisateur avec Israël, et non à «l’axe du mal», selon la définition de George Bush Jr.

Journaliste de profession, qui plus est dans une institution, l’Agence France Presse, où la fantaisie est rarement de mise, je me suis appliqué la même approche méthodologique que celle à laquelle je m’étais astreint du temps de l’exercice de mon activité.

Une lecture fractale de l’Histoire m’a conduit à des conclusions ahurissantes. Une lecture fractale est une approche diatonique qui combine l’espace et le temps, l’histoire et la géographie, une lecture radicale en somme, qui ne signifie nullement une lecture extrémiste, mais une lecture qui consiste à prendre les choses par la racine.
Golias: Quelles sont les conclusions de cette approche ?

René Naba: 1 ère conclusion

Au survol d’un siècle, la France aura amputé la Syrie à trois reprises: Du Liban, pour en faire un fief maronite sous couvert de coexistence islamo-chrétienne; du District d’Alexandrette, pour en faire un cadeau à la Turquie, son ennemi de la 1 re Guerre Mondiale, sans doute au titre de gratification pour le génocide des Arméniens, quand bien même, la France, se pose, paradoxalement, en tant que «Protectrice des chrétiens d’Orient»;

La 3eme fois, au XXI me siècle, à l’occasion de la séquence dite du «Printemps arabe», en s’associant à nouveau avec le président islamiste de la Turquie, elle, «le pays de la laïcité», pour détruire la Syrie, ce pays anciennement sous son mandat, et y aménager une zone autonome kurde à Raqqa, dans le Nord Est de la Syrie.

Trois fois en un siècle. Cette fixation obsessionnelle révèle un rare cas de psychiatrie exacerbé à l’égard d’un pays qu’elle s’est acharnée à réduire à sa portion congrue, alors qu’elle se proposait au départ d’en faire «une Grande Syrie», à en juger par les instructions d’Aristide Briand, à son négociateur Georges Picot. En Syrie, le projet français ne manquait pourtant ni d’audace ni de grandeur. La France se proposait de constituer une «Grande Syrie» englobant Jérusalem Bethléem, Beyrouth, Damas, Alep, Van, Diyarbakir, jusque même Mossoul», c’est à dire un territoire englobant la Syrie, une partie du Liban, de la Palestine, de la Turquie et le nord kurdophone d’Irak.

Face aux habiles négociateurs anglais, la Syrie, du fait de la France et contrairement à ses promesses, a été réduite à sa portion congrue au prix d’une quadruple amputation, délestée non seulement de tous les territoires périphériques (Palestine, Liban, Turquie et Irak), mais également amputée dans son propre territoire national du district d’Alexandrette. ((Cf à ce propos Paris 2 novembre 1915 (Archives du ministère des affaires étrangères) Instructions d’Aristide Briand, ministre des Affaires étrangères (1862-1932) à Georges Picot, consul de France à Beyrouth. Document publié dans «Atlas du Monde arabe géopolitique et société» par Philippe Fargues et Rafic Boustany, préface de Maxime Rodinson (Éditions Bordas)).

2eme conclusion: La France est un pays qui pratique la «fuite en avant»

La France pratique une fuite en avant pour se dégager d’un examen critique préjudiciable à son orgueil propre national: La défaite de Sedan (1870) a débouché sur la proclamation de la IIIe République, la capitulation de Retondes (1940) sur la IVe République; La capitulation de Dien Bien Phu (1954) sur la Ve République.

Cet évitement de responsabilité explique les récidives françaises. Une lecture fractale de l’histoire de France donnerait le bilan suivant: Unique grand pays européen à l’articulation majeure des deux «penchants criminels de l’Europe démocratique», -la traite négrière et le génocide hitlérien-, la France est aussi le seul pays au monde à exiger d’une de ses colonies une indemnité compensatoire à la rétrocession de son indépendance (Haïti). Bref: Le seul pays au monde dont le comportement erratique est aux antipodes de la rationalité cartésienne dont il se revendique.

3eme conclusion: La France est un pays de la bravache et de la fanfaronnade.

Lors du déclenchement de la II me Guerre Mondiale: le cri de ralliement des Français était «Nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts», quand Winston Churchill, le premier ministre britannique, promettait à son peuple «des larmes, des sueurs et du sang». Résultat, les Français ont capitulé après neuf mois de combat, quand le Royaume Uni servait de plate-forme à la reconquête de l’Europe et sa libération de l’Allemagne Nazie. La France a perdu de ce fait son statut de grande puissance, selon l’historien Marcel Gauchet. Elle n’a pas été repêché que grâce à son empire français, perdu depuis lors, et par la volonté des États Unis de disposer d’une base territoriale en Europe Occidentale à l’apogée de la guerre froide soviéto-américaine.
De l’inanité du discours performatif français.

Un discours performatif est un discours créateur de droit. Les Français en sont des adeptes convaincus, s’imaginant qu’il suffit d’affirmer péremptoire qu’ils sont les meilleurs pour l’être. Même schéma en Syrie: «Bachar devait tomber tous les quinze jours»… Résultat des courses, Nicolas Sarkozy et François Hollande ont quitté la scène politique, leurs deux ministres des affaires étrangères Alain Juppé (post gaulliste) et Laurent Fabius (post socialiste), à l’origine de prestations calamiteuses à leur passage au Quai d’Orsay, se trouvent, eux, promus au prestigieux Conseil Constitutionnel, en phase de congélation avancée. Drôle de promotion, sans doute au mérite, qui explique la désaffection de plus en plus grande des Français envers la chose publique.

Au terme d’une double décennie calamiteuse, le pays de la laïcité et de la loi sur le séparatisme apparaît ainsi comme le grand perdant de la mondialisation, le grand perdant de l’européanisation du continent sous l’égide de l’Allemagne, le grand perdant de la bataille de Syrie, de Libye et de Crimée, le grand perdant de la pandémie du Covid et de l’Afrique. Un bilan d’autant plus consternant que la France est ainsi le seul pays membre permanent du Conseil de sécurité à n’avoir pas réussi à produire un vaccin contre le Covid, alors qu’un petit pays de l’importance de Cuba a pu réaliser cet exploit. C’est dire l’ampleur de la déconfiture.

De surcroît, sur le plan international, ses alliés historiques, -les États Unis et le Royaume Uni-, lui ont administré une gifle magistrale dans la transaction des sous marins australiens et la conclusion de l’alliance Aukus, l’excluant du Pacifique, la ravalant au rang de puissance moyenne, alors que la France, déjà reléguée au rang de pays affinitaire en Syrie, est en phase du retrait du Mali, signe indiscutable de son essoufflement.

Avanie supplémentaire, la France est désormais supplantée par la Russie dans son rôle de protection des minorités chrétiennes d’Orient. «C’est depuis Damas que Vladimir Poutine a entamé sa reconquête du statut de superpuissance et d’interlocuteur incontournable…C’est Damas qui détient la clé de maison Russie…. La grande Syrie est partie intégrante du grand ensemble orthodoxe allant de l’Orient aux Balkans et à la Russie. «C’est cette perception historique qui a amené la Russie actuelle à reprendre au pays du Cham (Bilad As Sham) le flambeau -que les Français lui ont longtemps disputé- de la «protection des chrétiens», assénera Michel Raimbaud, ancien ambassadeur de France, aux hiérarques néo-conservateurs du Quai d’Orsay dans son ouvrage «Les guerres de Syrie», dépité de la dégradation de son pays du rôle de «chef de file de la coalition internationale de la guerre de Syrie» au rôle d’«affinitaire».

La France est à un tournant de son histoire et opère ce virage de manière erratique, naviguant à vue en parant au plus pressé. A n’y prendre garde, elle risque un phénomène d’hystérésis, un astre, brillant certes, mais éteint…brillant uniquement dans l’imaginaire de ses anciens admirateurs, au titre du fantasme.
Golias: Quel jugement portez vous les bi-nationaux franco- syriens?

René Naba : Au vu de la lecture de ce bilan, les bi-nationaux franco- syriens devaient être terriblement assoiffés de notoriété, gorgé d’une grande vanité et d’une non moins grande cupidité pour se prêter à un tel simulacre, qui demeurera une tâche indélébile dans leur conscience. Pensaient-ils vraiment, ces paons, peser sur le cours du conflit. Ces expatriés pathétiques, sans aucune attache militante, sans la moindre tradition de lutte sur le terrain. Ces bureaucrates se sont révélés tout au plus des pantins. Leur sommeil doit être très agité, encore plus agité quand ils songent à l’accablement dont ils auront gratifié de leur ignominie, leur progéniture pour les générations à venir.

Très franchement entre la triplette constituée par le président Bachar Al Assad, son ministre des Affaires étrangères Walid al Mouallem et Bachar Al Jaafari, l’ambassadeur de Syrie à l’ONU et les têtards polymorphes mercenaires de l’opposition off shore pétromonarchique…«Y’avait pas photo». Le pouvoir syrien avait une parfaite maîtrise des rapports de force internationaux et une solide connaissance des dossiers quand l’opposition off shore, y compris des universitaires français du calibre de Bourhane Ghalioune et Basma Kodmani, ou Ahmad Sida et Riad Hijab fonctionnaient à la manière d’automates au ressort mal remonté. Pis; Spécialiste des Relations Internationales, Basma Kodmani s’est appliquée durant la durée de sa brève mandature au porte parolat de l’opposition offshore syrienne, à réclamer l’application du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies sur la Syrie, autorisant l’usage de la force contre son pays d’origine, ignorant gravement le fait que cette instance onusienne abritait deux pays alliés de poids de la Syrie, la Russie et la Chine, disposant du droit de veto.

La fonction d’un binational n’est pas d’être le porte-voix de son pays d’accueil, ni son porte-serviette, mais d’assumer avec vigueur la fonction d’interface exigeant et critique. Un garde-fou à des débordements préjudiciables tant du pays d’origine que du pays d’accueil. Dans l’intérêt bien compris des deux camps, le partenariat bi national se doit de se faire, sur un pied d’égalité et non sur un rapport de subordination de l’ancien colonisé, le faisant apparaître comme le supplétif de son ancien colonisateur en ce que l’alliance du Faible au Fort tourne toujours à l’avantage du Plus Fort.

De la même manière, le devoir d’un intellectuel arabe et musulman dans la société occidentale est de faire conjuguer Islam et progressisme et non de provoquer une abdication intellectuelle devant un islamisme basique, invariablement placé sous les fourches caudines israélo-américaines.
Golias: Comment analysez vous le comportement de la presse française dans la couverture de la guerre de Syrie?

René Naba : Les journaux jadis de référence ont fait office d’amplificateurs des thèses du pouvoir dans la grande tradition des régimes autocratiques qu’ils dénoncent avec véhémence par ailleurs. Ainsi le Journal Libération se distinguera par deux bévues monumentales, commises précisément par son spécialiste maison, soutenu par sa béquille syrienne de service, en annonçant coup sur coup, l’éviction du général Ali Mamlouk, responsable de l’appareil sécuritaire du Syrien, et surtout la qualification d’un chef de l’opposition mercenaire pétro monarchique, Riad Hijab comme un «homme de taille», alors qu’il s’agissait tout bonnement d’un «homme de paille».

Quant au Journal Le Monde, il a transformé ses colonnes en meurtrières y logeant des blogs toxiques et fantaisistes, tel Nabil Ennsari, un islamiste qatarophile marocain, qui noircira des pages entières du journal de déférence sur les turpitudes du président syrien, mais ne pipera mot sur les ignominies de son Roi du Maroc, dont la thèse, comme de juste, a porté sur le Mufti de l’Otan, le millionnaire, Youssef Al Qaradawi, l’homme qui passera dans l’histoire pour avoir abjurer l’Otan de bombarder la Syrie, un pays qui à livré trois guerres contre Israël. Jamais Le Monde n’a enjoint à son digitaliste islamiste de publier une enquête, voire même une information sur ce «Royaume du bagne et de terreur» qu’est le Maroc. Une deuxième meurtrière était animée par un «œil borgne sur la Syrie», en raison de sa vision hémiplégique du conflit: Ignace Leverrier, ancien chiffreur de l’ambassade de France à Damas, démasqué depuis longtemps depuis Beyrouth et désigné sous le sobriquet d’Al Kazzaz pour ridiculiser son camouflage. De son vrai nom, Pierre Vladimir Glassman, le blogueur du Monde signait sous le pseudonyme de la traduction française de son nom patronymique Leverrier pour Glassman, ce qui a donné en arabe «Al Kazzaz».

Les Français s’imaginent être plus malin que les autres. Mieux: Trois anciens résidents français à Damas étaient aux avant postes de la guerre médiatique, faux nez de l’administration. Outre Pierre Vladimir Glassman, l’ineffable François Burgat, ancien Directeur de l’Institut Français pour le Proche Orient, qui glanera le sobriquet de M. BURQA, en raison de ses œillères idéologiques;

Enfin Jean Pierre Filiu, célèbre pour son «épectase sur le chemin de Damas», qui passera à la postérité pour avoir comparé la guerre de Syrie à la guerre d’Espagne, confondant les «Brigades Internationales» animée d’un idéal républicain, disposé à mourir pour défendre la République et l’instauration d’un Califat rétrograde par des mercenaires terroristes shootés au captagon, ignorant par là-même que «mourir pour Teruel faisait sens, s’ensauvager à Raqqa un contre sens».
Golias: La Syrie a été le premier pays à reconnaître l’Indépendance du Donbass en Ukraine, pourquoi un tel un empressement?

René Naba : Un empressement qui se présente comme une réponse du berger à la bergère.

La Syrie, emboîtant le pas à la Russie, son sauveur, a été en effet le premier pays à reconnaître l’indépendance de deux provinces séparatistes russophones d’Ukraine (province de Donetsk et de Lougansk), le 22 Février 2022. Une décision qui apparaît comme une réplique lointaine à l’occupation de facto par les États Unis du Nord-est de la Syrie; des encouragements des Américains à une sécession kurde de cette zone pétrolifère; Enfin à l’aménagement dans le secteur d’Idlib, sous contrôle de la Turquie, d’un rebut pour les jihadistes refoulés des autres provinces de Syrie, avec l’accord tacite de Washington.

La France, président en exercice de l’Union Européenne, pour le 1er semestre 2022, a reçu de plein fouet ces deux camouflets diplomatiques (l’annexion du Donbass et sa reconnaissance par la Syrie), alors qu’elle battait en retraite au Nord-Mali, abandonnant en douceur son projet de création d’un état kurde dans la province de Raqqa, dans le Nord de la Syrie. Le précédent président français de l’Union Européenne, Nicolas Sarkozy, avait essuyé pareille déconvenue en Géorgie, le 8 Août 2008, avec l’annexion de l’Abkhazie et de l’Ossétie du sud.

L’humiliation est cuisante pour la France en ce que la reconnaissance du Donbass par la Syrie s’est doublée d’une visite du président Bachar Al Assad à Abou Dhabi, le 20 mars 2022, première visite du président syrien à un pays arabe depuis la guerre déclenchée par la coalition islamo-atlantiste contre son pays, il y a douze ans. Une humiliation d’autant plus cuisante que cet Émirat est protégé par une base française, l’ennemie irréductible du syrien que la presse française qualifie de «Bachar» avec une désobligeance qui masque mal le dépit haineux d’un vaincu. Épilogue de cette épreuve de force, l’hégémonie israélo-américaine sur le Moyen Orient n’est plus ce qu’elle était, ni la vigueur des contestataires à l’imperium atlantiste…. Une parfaite illustration de l’adage selon lequel la vengeance est un plat qui se mange froid.
Golias: Pourquoi tant de haines?

René Naba : L’animosité réciproque entre la France et la Syrie remonte à la conquête de la Syrie et la bataille de Khan Maysalloune.

La trahison de la France lors des négociations Sykes Picot conduira le ministre syrien de la défense, Youssef Al Azmeh, en personne, à prendre les armes contre les Français pour la conjurer à Khan Maysaloun (1920), dans laquelle il périra ainsi que près de 400 des siens dans la bataille fondatrice de la conscience nationale syrienne. Depuis lors la Syrie a tenu la dragée haute à la France s’opposant frontalement à toutes ses équipées en terre arabe. La duplicité française et la voracité turque ont ainsi obéré la crédibilité de l’opposition syrienne de l’extérieur dans sa contestation du régime baasiste.

Alexandrette, au lendemain de la 1 ère Guerre Mondiale, a constitué la faille initiale, du fait français. La riposte oblique de la Syrie à la France s’est faite en trois temps. Un des plus célèbres non dit de la diplomatie syrienne, l’amputation du district d’Alexandrette, a constitué une blessure secrète qui a servi de moteur à la revendication nationaliste syrienne pendant une large partie du XX me siècle au point que Damas a longtemps refusé de constituer un groupe d’amitié France-Syrie à l’Assemblée du peuple syrien.

La Syrie aura l’occasion de rendre la monnaie de sa pièce à la France, dans une riposte oblique en trois temps:

La première fois, lors de la guerre d’indépendance de l’Algérie, précisément, dans le prolongement de l’hospitalité accordée au chef nationaliste algérien Abdel Kader Al Djazaïri. Le premier groupe de volontaires arabes à rallier la Révolution algérienne a été un groupe de baasistes syriens mus par un sentiment de solidarité pan-arabe, parmi lesquels figuraient Noureddine Atassi, futur président de la république, et, Youssef Al Zouayen, futur ministre des Affaires étrangères, qui trouveront d’ailleurs, tous les deux, asile en Algérie à leur éviction du pouvoir.
La deuxième fois, avec l’alliance de revers conclue entre la Syrie et l’Iran durant la guerre Irak-Iran de la décennie 1980, prenant en tenaille l’Irak soutenu par la France au point se hisser au rang de cobelligérant.
La troisième fois: Dernier et non le moindre de la riposte subliminale de la Syrie à la France aura été le fait d’avoir fait office de verrou arabe du Liban au grand dam de la France, et surtout de constituer la principale voie de ravitaillement stratégique du Hezbollah libanais, le cauchemar absolu d’Israël, de l’Otan et des pétromonarchies réunis.

Au delà de la solidarité témoignée lors de la guerre d’indépendance de l’Algérie, la Syrie et l’Algérie sont les deux principaux pivots de la présence russo-chinoise en Méditerranée sur le flanc sud de l’Otan. L’axe Damas-Alger, aux deux extrémités de la Mer Méditerranée, constitue le centre de gravité pérenne du militantisme arabe pro-palestinien, depuis la défection de l’Égypte et sa cavalcade solitaire vers la paix avec Israël. De surcroît, l’Algérie et la Syrie sont les deux pays arabes, –avec le Liban du fait de la présence du Hezbollah– à mener une politique étrangère qui préserve les intérêts à long terme du Monde arabe, et, à ce titre, partenaires privilégiés des grandes puissances contestataires à l’ordre hégémonique occidentale la Chine, La Russie, l’Iran, et, l’Afrique du Sud pour le continent noir.

Lors de la guerre de Syrie, pas un terroriste algérien ne s’est rendu depuis l’Algérie pour combattre la Syrie, de l’aveu d’un des opposants de première heure au régime baasiste. L’affaire avait été fermement verrouillée par les appareils sécuritaires des deux pays. Les rares islamistes algériens qui avaient combattu en Syrie sont des Algériens de la diaspora, tout comme ceux qui ont commis des actes terroristes dans les pays occidentaux sont des algériens titulaires d’une double nationalité que cela soit les Frères Kouachi (attentat de Charlie hebdo), Hedi Nemmouche (geôlier d’otages français dans le nord de la Syrie) ou même Mohamad Merah (Toulouse).

L’Algérie a effectué un retour remarquable sur la scène diplomatique internationale en obtenant, en tandem avec l’Afrique du Sud, la suspension d’Israël du statut d’observateur au sein de l’Union Africaine, formant dans la foulée une task force avec l’Afrique du Sud, le Nigéria et l’Éthiopie pour prévenir des turbulences futures au sein de l’organisation africaine.
Golias: Quelles conclusions tirer-vous de cette décennie de guerre?

René Naba : Au terme de séquence décennale, la démocratie n’a cessé de régresser dans le Monde arabe, entrant dans une ère de glaciation, de même que l’idée même de démocratie, du fait d’une triple imposture:

L’imposture des grandes démocraties occidentales,
L’imposture de l’idée même des révolutions arabes.

L’imposture d’une fraction importante des démocrates arabes, particulièrement les dissidents de la vieille garde: Abdel Halim Khaddam, un laquais qui mérite bien son nom, Mouncef Marzouki (Tunisie), Azmi Bishara (Palestine), Michel Kilo et Borhan Ghalioune (Syrie), enfin Walid Joumblatt (Liban). Sans oublier Tawakol Karman, Prix Nobel de la Paix 2011, la plus grande escroquerie intellectuelle et morale du Printemps arabe. Première femme arabe et deuxième femme musulmane (après Shirine Ebadi – Iran en 2003) à être nobélisée, la yéménite Tawakol Karman constitue une imposture ambulante.

Sœur de Safa Karman, journaliste à Al Jazeera, la chaîne transfrontière arabe du Qatar, chef de file de la contre révolution néo-islamiste dans le Monde arabe, cette activiste est en fait membre du Parti Al Islah, la branche yéménite de la confrérie des Frères Musulmans et son ONG «Women Journalist Without Chains» émargeait sur le budget de la National Endowement for Democracy, la NED, fondée en 1983 par le président ultra-conservateur américain Ronald Reagan. Un sous-marin de l’administration américaine en somme.

Une telle stratégie aberrante a débouché sur la régression de la démocratie dans le Monde arabe, la régression de l’idée même de démocratie, perçue désormais comme une machination de l’Occident pour perpétuer sa domination dans la zone. Voire même une répulsion de l’Occident par les authentiques démocrates arabes. Un contre sens stratégique absolu.

Consternant est le nombre invraisemblable d’Arabes dont le cerveau a été virusé par un islam toxique au point de se comporter en zombies criminogènes, générant une islamophobie généralisée dans la sphère occidentale, desservant au premier chef la cause qu’ils sont supposés servir, la cause de l’Islam d’abord, la cause de la Palestine, ensuite, la cause des Arabes enfin. Dans l’histoire de l’humanité, il est difficile de recenser pareille déflagration mentale.
Golias: Votre bilan du djihadisme planétaire est accablant. Pourquoi une telle sévérité?

René Naba : Sous produit de la Mondialisation, le jihadisme planétaire a généré un Islam anthropophage.

Le bilan de la double décennie du XXI me siècle est éloquent: Les six «sales guerres» de l’époque contemporaine sont situées dans la sphère de l’Organisation de la Conférence Islamique (Syrie, Irak, Afghanistan, Somalie Yémen et Libye) générant 600 millions d’enfants musulmans pâtissant de la pauvreté, de la maladie, des privations et de l’absence d’éducation, que 12 pays musulmans comptent le taux le plus élevé de mortalité infantile et que 60 % des enfants n’accèdent pas à la scolarité dans 17 pays musulmans, alors, qu’en contrechamps, les dépenses d’armement des pays arabes se sont élevés à 165 milliards de dollars …….. De quoi réhabiliter l’ensemble des pays arabes sinistrés par la guerre.

Sous produit de la Mondialisation, le djihadisme planétaire a généré un Islam anthropophage en ce que les victimes sont dans leur quasi-totalité des musulmans.

La psychiatrie arabe dispose là d’un terrain d’observation fertile Elle devra un jour s’attacher prioritairement à interpréter cette singulière prédisposition des binationaux franco-syriens à se dévoyer pour une fonction supplétive de deux pays (France-Turquie) à l’origine du démembrement de leur partie d’origine, Alexandrette (Syrie) et de cautionner la destruction par leurs alliés du Mémorial édifié par les Arméniens en souvenir du génocide turc à Deir Ez Zor.

Les Arabes n’ont pas vocation à être des éternels harkis, la force supplétive des guerres d’autodestruction du Monde arabe et de sa prédation économique par le bloc atlantiste, ni à configurer leur pensée en fonction des besoins stratégiques de leurs prescripteurs occidentaux.

L’intérêt à long terme du Monde arabe n’est pas réductible à la satisfaction des besoins énergétiques de l’économie occidentale. En un mot, le Monde arabe n’a pas vocation à servir de défouloir à la pathologie belliciste occidentale.

Loin d’être un exercice jubilatoire de ma part, ce bilan se veut un cri d’alarme pour une prise de conscience en vue de bannir la morgue du débat public français et procéder à une analyse concrète d’une situation concrète afin de prévenir de nouveaux désastres. La démocratie ne saurait être à sens unique, exclusivement dirigée contre les pays arabes à structure républicaine.
Pour aller plus loin sur ce thème

Génocide arménien : Le jeu trouble de la France au Moyen Orient https://www.renenaba.com/genocide-armenien-le-jeu-trouble-de-la-france/
Le Mic Mac de la France dans son projet de création d’un état kurde à Raqqa. https://www.madaniya.info/2018/01/05/le-mic-mac-de-la-france-dans-son-projet-de-creation-dun-etat-sous-controle-kurde-a-raqqa-en-syrie/

René Naba

Journaliste-écrivain, ancien responsable du Monde arabo musulman au service diplomatique de l’AFP, puis conseiller du directeur général de RMC Moyen-Orient, responsable de l’information, membre du groupe consultatif de l’Institut Scandinave des Droits de l’Homme et de l’Association d’amitié euro-arabe. Auteur de « L’Arabie saoudite, un royaume des ténèbres » (Golias), « Du Bougnoule au sauvageon, voyage dans l’imaginaire français » (Harmattan), « Hariri, de père en fils, hommes d’affaires, premiers ministres (Harmattan), « Les révolutions arabes et la malédiction de Camp David » (Bachari), « Média et Démocratie, la captation de l’imaginaire un enjeu du XXIme siècle (Golias). Depuis 2013, il est membre du groupe consultatif de l’Institut Scandinave des Droits de l’Homme (SIHR), dont le siège est à Genève et de l’Association d’amitié euro-arabe. Depuis 2014, il est consultant à l’Institut International pour la Paix, la Justice et les Droits de l’Homme (IIPJDH) dont le siège est à Genève. Editorialiste Radio Galère 88.4 FM Marseille Emissions Harragas, tous les jeudis 16-16H30, émission briseuse de tabous. Depuis le 1er septembre 2014, il est Directeur du site Madaniya.
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