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Irak : les populations fuient la prédation corruptrice


Publié par Gilles Munier sur 29 Avril 2021, 07:15am

Catégories : #Irak

Par la rédaction de la Revue Internationale (revue de presse – 27/4/21)*

En Irak, ni le pétrole ni les milliards de l’aide au développement déversés chaque année par les États-Unis n’échappent à la machine dévastatrice de la corruption. Tous les acteurs économiques du pays, du simple citoyen aux entreprises, souffrent de la faillite d’un État incapable de faire respecter le droit. Aujourd’hui, les Irakiens, les entreprises et les investisseurs étrangers aspirent à fuir le pays, entravant encore le développement socio-économique d’un État en faillite.

Hassanein Mohsen est un irakien de 36 ans, chômeur et père de 4 enfants, domicilié dans la ville de Kerbala à une centaine de kilomètres au sud de Bagdad. Face à la corruption endémique, qui mine l’ensemble du pays et l’empêche de sortir de la misère, il envisage désormais de quitter définitivement l’Irak avec sa famille. Son histoire, racontée par l’AFP, est symptomatique de la corruption endémique irakienne. Qui, du simple policier désireux d’arrondir ses fins de mois jusqu’au ministre corrompu, a privé les pouvoirs publics de 400 milliards d’euros de budget — quatre fois le budget annuel de l’État?! – entre 2003 et 2020. Les salaires des fonctionnaires, souvent remis en espèce, sont en partie prélevés par les chefs de service. Les frontières sont contrôlées par des groupes armés, qui prélèvent des taxes sur les importations. Les agents de renseignements sont dépassés face à un phénomène devenu incontrôlable. En Irak, la corruption fait système.

La corruption du quotidien

Renouvellement des passeports, régularisation des impôts ou simple correction formelle sur un document officiel. Aucune tâche administrative, même la plus banale, n’échappe au bakchich. En mars dernier, l’AFP révélait qu’aux frontières du pays, des juntes, issues de partis politiques locaux, de chefs de tribu ou encore de milices religieuses s’accaparaient les droits de douane et une partie des importations. Des fonds détournés pour leurs intérêts personnels ou, parfois, leur propre agenda politique. Dans un pays où les infrastructures industrielles sont obsolètes et l’agriculture encore très familiale, le pétrole — et la rente qui y est associée — constitue l’une des seules richesses du pays. L’État central, débordé, est largement dépassé par le poids des structures tribales et des milices qui pullulent aux frontières et contrôlent une grande partie des échanges. Dans le pays, chaque «?moukhalles?» — nom donné aux agents assermentés des douanes — est peu ou prou affilié, par conviction ou intérêt, à un parti politique, une milice ou un mouvement religieux qui profitent de la manne financière de la corruption. C’est une véritable cartellisation du pays qui se dessine, mois après mois, dans ce pays éprouvé. Si l’État islamique n’est plus présent, de nouveaux acteurs contrôlant des pans entiers du territoire se sont substitués à sa violence.

Le phénomène systémique de la corruption a des conséquences d’autant plus dommageables sur le développement socio-économique du pays que l’Irak souffre encore des conséquences transversales de plusieurs années de guerre. Les services publics sont globalement sous-dimensionnés par rapport aux besoins du pays et les infrastructures en eau courante et électricité largement obsolètes. Des difficultés du quotidien qui s’ajoutent à la misère sociale dans un pays où un jeune sur 4 est au chômage.

Les grands groupes étrangers sont aussi victimes de la corruption

Classé à la 160e position de l’indice de Transparency International sur la perception de la corruption, l’Irak occupe les bas-fonds des classements internationaux. Les grands groupes étrangers qui tentent de s’implanter dans le pays peuvent aussi, ponctuellement, être victimes de cette absence de contrôle. Les investissements directs à l’étranger (IDE) dans le pays sont en chute libre depuis plusieurs années, les entreprises étrangères fuyant un pays où le cadre réglementaire est jugé insuffisant pour assurer leur protection.

Comme Orange, le géant français des télécoms, et l’émirati Agility qui ont, en 2011, acquis 44 % de l’opérateur Korek, fortement présent au Kurdistan Irakien, où l’emprise de la famille Barzani, le clan au pouvoir, et le statut de relative autonomie de la province, rendent encore plus délicats les contrôles de l’État central. Trois ans plus tard, en 2014, la Communications and Media Commission (CMC), le régulateur national, invalide le contrat et prive Orange et Agility de leurs parts dans Korek. Elles seront redistribuées par la suite aux anciens actionnaires du groupe. La décision de la CMC a évidemment été contestée par les parties lésées. Mais les recours juridiques étaient, dès le départ, peine perdue, dans un pays où l’indépendance de la justice est globalement inexistante.

Les deux groupes se tournent donc vers les tribunaux internationaux. Une requête est déposée par Agility en février 2017 en application de la Convention sur le règlement des litiges en matière d’investissements entre les États (CIRDI) et un tribunal est constitué en 2019, mais le CIRDI, contre toute attente, se prononce en faveur de l’Irak. Une décision qui déclenche l’indignation d’Agility, qui déplore que de nombreux aspects du dossier n’aient pas fait l’objet d’une enquête approfondie. Et, en premier lieu, le sujet de la corruption.

Car dans le cas Korek, les preuves à charge s’accumulent contre le régulateur irakien, dont plusieurs membres clés sont soupçonnés de corruption dans ce dossier ultra-épineux. Des faits pourtant connus et largement révélés dans la presse. Selon le Financial Times, un des cadres dirigeants de la CMC a gratuitement acquis une maison à Londres, par l’intermédiaire d’un avocat, Pierre Youssef, proche des anciens actionnaires de Korek. Juste avant que le régulateur ne décide d’«?exproprier?» — selon les mots d’Orange et d’Agility —, les deux anciens actionnaires. Un aspect du dossier qui, jusqu’à aujourd’hui, n’a pas beaucoup ému les tribunaux internationaux.

Une puissante mobilisation populaire

À la fin de l’année 2019, la société civile irakienne s’est massivement mobilisée contre la corruption endémique. La colère populaire a été réprimée dans le sang par le gouvernement. Le jeudi 3 octobre 2019, des tirs à balle réelle des forces de sécurité irakienne contre les manifestants ont fait une trentaine de morts et plusieurs centaines de blessés, notamment sur l’emblématique Place Tahrir, cœur de la révolution irakienne.

Depuis 2019, la répression a fait plus de 600 morts, selon les opposants au régime. En 2016, l’Irak était le 7e pays en termes de nombre de réfugiés fuyant la misère et la guerre, selon les données pour le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCNUR). La corruption, quant à elle, n’a pas reculé.

*Source : La Revue Internationale

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