La défaite impériale en Syrie et la naissance d’un monde bipolaire.
mai 26, 2013
BOUHAMIDI Mohamed
Par petites touches et sur le terrain, se dévoile la réalité des discussions entre Poutine, Lavrov et Kerry. Malgré son apparence de gag ou d’euphorie inopinée, l’idée de Hollande d’expliquer à Poutine où se trouvent les intérêts de la Russie, participe à ce dévoilement : l’accord russo-américain a surpris le pouvoir français.
De nombreuses analyses, sur les sites alternatifs, démontraient pourtant une nette répugnance de l’exécutif américain à intervenir directement dans la guerre faite à la Syrie. L’option américaine, depuis l’arrivée d’Obama, d’une « stratégie par l’arrière » comme l’a exposée Hillary Clinton dans l’agression de la Libye, n’était pas une option intermittente mais une nécessité des buts assignés à Obama par le système après les dégâts considérables financiers et de communication ou d’image de la guerre de démolition de l’Irak et d’occupation de l’Afghanistan. Cette « stratégie par l’arrière » ne signifiait pas l’absence US ni du théâtre d’opération ni de la direction des opérations. Sans la destruction des défenses aériennes libyennes et sans la fourniture des bombes et munitions US les avions anglais et français n’auraient pu mener leurs attaques avec autant de facilité.
L’annonce d’une conférence Genève II sur la Syrie a d’abord porté ce premier message que les USA avaient décidé quelque chose avec les Russes sans prévenir personne. Beaucoup d’observateurs et d’analystes attiraient l’attention que la ligne de résistance qui s’organisait autour de la Syrie à la politique d’agression US signifiait la fin du monde unipolaire issu de la fin de l’URSS et de la chute du mur de Berlin. Bien sûr la presse aux ordres continuait à expliquer le véto russo-chinois par la ressentiment et le désir de vengeance. La presse des oligarques n’a pas pour mission d’ouvrir les yeux des opinions publiques mais de droguer leurs cerveaux.
Il n’était pas dit, cependant, que la fin pressenti de ce monde unipolaire allait déboucher aussi brutalement sur un monde bipolaire. L’accord Russo-américain sur la Syrie n’est pas un nouveau Yalta et n’a pas l’ambition de l’être dans cette forme et en l’état actuel, mais il change substantiellement la donne. Il la change tellement que Cameron puis Netanyahou se sont précipités à Sotchi, que Cameron a prolongé le voyage vers Washington suivi d’Erdogan et que Hollande a mis ses conditions l’application de l’entente : Genève II doit enregistrer la reddition honteuse d’El Assad ou ne sera pas, et hors de question d’enregistrer la présence de l’Iran. On pourrait en rire si cette dénégation de la réalité n’était aussi triste pour le pays France.
Pourtant quelques heures après les discussions, Kerry confirmait la demande américaine de départ d’El Assad… de façon un peu vague, sans poser de calendrier et surtout sans en faire une condition de Genève II. Obama récidive en recevant Erdogan.
Quel élément a échappé à Hollande qui a réagi comme le partenaire trahi, le partenaire qu’on a poussé devant pour le lâcher au milieu des flots ? Qu’est-ce qu’Obama a expliqué à Erdogan pour que ce dernier continue à exiger le départ du président syrien en oubliant les armes chimiques, pièce essentielle pour une éventuelle intervention US ? Qu’est-ce que Netanyahu a compris pour oublier ces mêmes armes chimiques mais continuer à menacer ?
Il semble bien que Poutine, Kerry et Lavrov se sont entendus pour cerner la crise syrienne dans ses dimensions régionales et exclure par cet accord toute extension vers une crise mondiale. Il n’y aura donc pas d’implication américaine directe et, par conséquent, pas d’intervention de l’OTAN.
L’accord prend acte, par contre, de la dimension régionale. « L’israël », la Turquien et l’ Arabie saoudite, pourront continuer à agir contre l’état syrien et soutenir les mercenaires. L’Iran et le Hezbollah, voire une partie de l’état irakien pourront soutenir la résistance de l’armée et du peuple syriens. Les USA et la Russie pourront évidemment soutenir et coordonner les forces de leurs camps respectifs et pour suivre leurs propres buts mais en excluant tout acte pouvant les entraîner comme acteurs directs et donc risquer un conflit mondial. Sur ce plan, la France et l’Angleterre sont évidement hors jeu et hors de l’action des forces spéciales ou des aides militaires et financières.
Nous sommes entrés dans une phase de bipolarisation par la mise en place d’un dispositif de guerre contrôlée. La conférence « Genève II » sera le cadre ouvert d’une négociation régionale qui accompagnera la guerre sur le terrain jusqu’à ce que cette dernière finisse par convaincre l’un des acteurs de sa défaite. C’est déjà un pas immense des USA vers la reconnaissance de leur statut de puissance co-gérante du monde. Et un pas vers la reconnaissance de leur échec en Syrie.